Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Les forces nationales, quant à elles, étaient plus que jamais victimes de faiblesses congénitales reflétant le manque d’unité du pays et les vices du système social, ces lacunes étant aggravées par l’incurie de l’Administration et l’immensité du théâtre d’opérations. C’est ainsi que, le choix des recrues restant soumis à l’arbitraire des notables, la conscription frappait le plus souvent les individus les moins aptes physiquement et moralement au dur métier de soldat, et qui, de plus, avaient à parcourir à pied des milliers de kilomètres pour rejoindre leurs unités. Sur les 14 millions de mobilisés durant la guerre sino-japonaise, plus d’un tiers devaient déserter ou périr avant d’avoir atteint le front. La médiocrité des services de ravitaillement, l’inexistence du service de santé condamnaient les troupes à la sous-alimentation et au pillage, les blessés et les malades à la mort faute de soins. Enfin, dès les premiers mois de la guerre de 1937-1945, l’armée nationale manqua sérieusement de matériels et de munitions ; cette situation se perpétua jusqu’à l’organisation, en 1943, par les Américains, d’un courant régulier de ravitaillement. De fait, l’armée nationale ne fut pas privée d’appuis extérieurs : depuis 1928, une mission allemande (colonel Bauer, généraux von Seeckt, Wetzell et Falkenhausen) avait amélioré sensiblement l’instruction d’une trentaine de divisions ; elle fut remplacée en 1938 par une modeste mission française (général Berger) et par une forte participation soviétique (général Cherbatchev) ; en 1941 arriva une mission américaine (général Magruder) appuyée d’une centaine de pilotes volontaires, les Flying Tigers du colonel C. L. Chennault, qui infligèrent de lourdes pertes à l’aviation japonaise.

En définitive, si, en raison de leur faiblesse, de la carence du commandement et de l’absence de toute tactique cohérente, les forces nationales furent incapables de remporter des succès décisifs, elles n’en combattirent pas moins avec beaucoup de courage, réussissant parfois — comme ce fut le cas pour les troupes engagées en Birmanie sous commandement allié — à se montrer égales à leurs adversaires. De toute manière, en 1945, les forces de Jiang Jieshi (Tsiang Kiai-che) figuraient incontestablement au nombre des vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.


1945-1949. Troisième guerre révolutionnaire : la conquête de la Chine entière par l’armée rouge

De la capitulation japonaise (août 1945) au printemps 1947 s’ouvrit une période de négociations dominée par la course au désarmement des troupes japonaises et aux territoires qu’elles venaient d’abandonner ; l’enjeu était de première importance en raison de l’énormité des stocks de matériels à récupérer et de l’importance stratégique des territoires en cause, notamment dans la Chine du Nord. En fait, la majeure partie du matériel japonais étant revenu (comme celui qui fut livré par les États-Unis) aux forces de Jiang Jieshi (Tsiang Kiai-che), celui-ci disposait à la fin de 1945 d’un potentiel énorme, évalué à près de 200 divisions opérationnelles et d’une aviation de 500 appareils, dont 200 chasseurs. Quant aux territoires évacués par les forces japonaises, leur récupération fut plus favorable aux communistes, qui purent ainsi augmenter d’environ un tiers la superficie qu’ils contrôlaient.

Cette compétition ne tarda pas à provoquer des heurts, parfois très sérieux, entre les deux armées, notamment en Mandchourie. En juillet 1946, les forces communistes avaient pris le nom d’armée populaire de libération (A. P. L.). Elles comptaient alors environ 900 000 hommes, plus 2 200 000 miliciens (chiffres cités en avril 1945 au VIIe Congrès du parti) contre 92 000 en 1937. Après l’échec, malgré une tentative de médiation américaine, des négociations entamées en 1945 avec le Guomindang, l’A. P. L. reprit l’offensive en mars 1947 par une infiltration massive en Chine centrale ; en deux ans et demi, elle va chasser de tout le territoire les forces nationales, de plus en plus démoralisées, qui se rendront souvent sans combattre, par unités entières : Jiang Jieshi (Tsiang Kiai-che) n’eut d’autre ressource que de se réfugier à Taiwan (T’ai-wan) avec les débris de ses troupes.


1949-1957. De l’armée de partisans à l’armée moderne

Devenus maîtres de la Chine le 1er octobre 1949, les dirigeants communistes se virent dans l’obligation de faire passer l’A. P. L. de la condition de force militaire d’un parti insurrectionnel à celle d’une armée régulière permanente. Cette mutation fut facilitée par les circonstances : durant les dernières années de la guerre de libération, les forces communistes avaient bénéficié d’apports considérables en hommes et en matériels, résultant de la désagrégation des armées du Guomindang (Kouo-min-tang) ; l’U. R. S. S., de son côté, commençait à leur fournir du matériel (blindés, artillerie, avions). En application du traité d’alliance sino-soviétique du 14 février 1950, des conseillers militaires russes vinrent en Chine en grand nombre et réorganisèrent les unités sur le type soviétique. S’étant trouvée engagée en Corée un an à peine après la fin de la guerre civile, l’A. P. L. allait accélérer sa transformation à la faveur de cette campagne. En 1953, elle comptait 2 500 000 hommes et 2 000 avions, et sa flotte commençait à se constituer. L’alignement sur les autres armées du monde fut parachevé en 1955 avec la loi sur le service militaire obligatoire, l’octroi d’un statut aux officiers, la hiérarchisation des soldes, la création de grades et d’insignes de grade, la nomination de maréchaux.

Ainsi, en cinq ans, l’A. P. L. était-elle devenue une armée moderne, mais dont l’organisation, les structures, les matériels et les procédés tactiques étaient, dans une large mesure, d’origine ou d’inspiration soviétique, ce qui était de nature à heurter le sentiment national des dirigeants politiques de la Chine. Il y avait toutefois plus grave encore : de révolutionnaire, l’armée était devenue conservatrice ; elle n’était plus « au service du peuple », mais constituait une classe privilégiée ; le corps des officiers devenait « professionnaliste ». Avant 1949, l’armée rouge était une force révolutionnaire, démocratique, égalitaire, en symbiose étroite avec le peuple, dont elle avait su se faire aimer, restaurant ainsi le prestige de la condition militaire, ruiné par les exactions successives des troupes des seigneurs de guerre et du Guomindang. Rentrée victorieuse de Corée, où elle avait tenu en échec l’armée américaine, considérée comme la première du monde, elle prit conscience de son individualité ; de nombreux officiers s’intéressèrent plus à leurs activités militaires qu’au travail politique ; de plus, se sentant les égaux des officiers des autres armées du monde, ils se considéraient comme des « professionnels » et, ce faisant, se « séparaient du peuple ». Or, pour les communistes chinois, le « professionnalisme », dans l’armée comme dans les autres corps, représente la pire des déviations. En outre, la conception maoïste veut que l’armée ne se limite pas à sa mission de défense ; elle doit aussi encadrer la nation en tant que représentant du pouvoir politique et participer étroitement aux tâches de production.