Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Le plus ancien livre des légistes est Guanzi (Kouan-tseu). Ce nom est celui d’un ministre de l’État de Qi (Ts’i), Guan Zhong (Kouan Tchong, 647 av. J.-C.), qui procéda à des réformes bénéfiques pour le peuple. Confucius, bien qu’il l’ait critiqué pour certaines négligences dans les rites, le loua hautement pour ses services rendus au peuple. Ce livre est une compilation des œuvres des légistes, qui tous se proclamaient disciples de Guan Zhong.

Au ive s. av. J.-C., Shang Yang (Chang Yang, ? - 338 av. J.-C.), Shen Buhai (Chen Pou-hai) et Shen Dao (Chen Tao) étaient les trois éminents penseurs légistes. Selon le confucianisme, le souverain doit régner par la vertu. C’est sa qualité d’homme qui doit inspirer le respect et l’obéissance au peuple. Shang Yang considère cette idée comme dépassée. D’après lui, le souverain doit régner par la loi (« fa »). Si la loi est toujours strictement appliquée, l’État sera en ordre. Et cela n’a rien à voir avec la vertu du souverain. D’après Shen Dao, pour que la loi puisse être appliquée, il faut donner l’autorité, zhi (« chih »), au souverain. Sans le pouvoir absolu du souverain, la loi resterait lettre morte. Cette autorité est accordée par la noblesse et le peuple. Mais ce pouvoir une fois obtenu, il faut savoir l’exercer. En le maniant mal ou en en abusant, le souverain risque de le perdre. Il faut donc qu’il connaisse la technique de gouverner : « shu », notion mise en avant par Shen Dao, selon lequel le souverain doit nommer lui-même ses fonctionnaires, récompenser ceux qui sont loyaux et punir les perfides. Sa tâche consiste à juger les hommes non selon leurs qualités morales mais selon leur aptitude à remplir leurs fonctions.

C’est dans le livre Hanfeizi (Han Fei-tseu) que l’on trouve une synthèse des idées légalistes des ive et iiie s. av. J.-C. Han Fei est un descendant de la maison royale de l’État de Han. En compagnie de Li Si (Li Sseu), il étudia sous Xunzi (Siun-tseu), le grand maître confucéen. Écrivain au style éloquent, il fut l’auteur d’un ouvrage en cinquante-cinq chapitres qui porte son nom. Par suite d’une intrigue de Li Si, il meurt en prison en 233 av. J.-C. dans l’État de Qin (Ts’in), cet État même qui, en appliquant ses principes, avait conquis les autres États. Han Fei développe longuement l’idée de technique de gouvernement. Le souverain possède deux leviers de gouvernement : la récompense et le châtiment. C’est par la récompense qu’il s’assure de la loyauté de ses sujets, et par le châtiment qu’il se fait craindre de ceux qui osent lui désobéir.

Opposés à la féodalité, les légistes condamnent toutes les anciennes institutions et traditions, ainsi que les rites et la musique. Selon eux, les vrais rapports entre les différentes classes de la société ne sont que contradictions et luttes. Même entre parents et enfants, ils ne voient qu’un rapport d’intérêt. Une mère tendre peut donner un fils ingrat. Ce n’est pas par sa vertu que le souverain peut obtenir l’obéissance du peuple. Il faut oser reconnaître cette vérité : que le souverain est, par essence, sans bonté, et le sujet, sans loyauté. Ainsi, l’ordre moral est retranché de l’ordre politique, comme dans la théorie de Machiavel.

La pensée des légistes a trouvé son application et prouvé son efficacité dans le pays de Qin (Ts’in), qui, devenu rapidement puissant grâce à son ministre Li Si, ancien condisciple de Han Fei, unifia la Chine. Sous le règne des Qin, les livres philosophiques furent brûlés, des lettrés enterrés vivants et des groupements privés interdits. Ce sont là des conséquences logiques de la pensée légiste. Il est intéressant de noter que, tout comme Han Fei, Li Si fut condamné à mort et exécuté selon les lois implacables qu’il avait lui-même établies. Mais un système aussi machiavélique n’est pas supportable pendant longtemps en temps de paix. La dynastie Qin ne dura que quinze ans.

À l’époque des Han, l’État choisit le confucianisme comme doctrine orthodoxe ; mais ses structures s’inspirèrent de l’esprit légaliste. Cet esprit ne fut jamais tout à fait absent tout le long de l’histoire chinoise. Sévèrement condamnée en tant que philosophie, la doctrine légiste sera considérée comme connaissance et technique indispensable pour celui qui gouverne.


L’école du yinyang

Le mot yang signifie « la clarté du soleil », et le mot yin, l’ombre. Dans l’école philosophique du yinyang, ces deux notions désignent deux principes ou deux forces fondamentales du cosmos. Le yang représente la masculinité, l’activité, le mouvement, le chaud, la lumière, etc. ; le yin représente la féminité, la passivité, le repos, le froid, l’obscurité, etc. Tous les phénomènes de l’univers ont été créés par l’interaction de ces deux forces.

Cette pensée est mentionnée pour la première fois dans le livre Discours des États, livre compilé vers le ive ou le iiie s. av. J.-C., qui rapporte l’explication d’un sage de l’époque sur un tremblement de terre : « Quand le yang se cache et ne peut sortir et le yin est comprimé et ne peut trouver d’issue, des tremblements de terre se produisent. »

On voit là une tentative d’expliquer les phénomènes de la nature par une vue matérialiste. Un autre courant de pensée essayait d’interpréter la structure de l’univers par les cinq éléments : eau, feu, bois, métal et terre. Les cinq éléments sont mis en corrélation avec les saisons et les points cardinaux :
eau ; nord ; hiver
bois ; est ; printemps
feu ; sud ; été
métal ; ouest ; automne.
La terre est au centre et n’a pas de saison qui lui corresponde. Ce schéma en cinq parties se trouve aussi dans les phénomènes humains, par exemple les cinq fonctions : la tenue extérieure, la parole, la vue, l’ouïe et la pensée.

La théorie des cinq éléments est exposée pour la première fois dans le chapitre « Hong Fan » du Shujing (Chou-king), Livre des documents (ive ou iiie s. av. J.-C.). Malgré un certain occultisme, on y trouve un désir d’expliquer le mystère de la nature, et nous pouvons y voir les germes d’une pensée scientifique.