Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

La prose connaît sous les Song une floraison extraordinaire. La diffusion de l’imprimerie et l’élévation du niveau culturel favorisent la parution d’ouvrages très divers appelés notes (biji [pi-ki]), touchant à tous les domaines de la connaissance : journaux de voyage, recueils d’anecdotes bizarres, correspondances, études archéologiques, encyclopédies. Le style en est aisé, souple et direct. Sans prétendre à une valeur littéraire en soi, certains de ces livres, écrits par de grands artistes, sont remarquables par leur élégance sobre et distinguée. Les grandes histoires générales, écrites à titre privé, sont ainsi dues au talent et au courage de lettrés célèbres par leurs poèmes ou leur rôle politique. Citons la Nouvelle Histoire Tang (Xin Tangshu [Sin T’ang-chou]) et l’Histoire des Cinq Dynasties (Wudai shi [Wou-tai-che]), rédigées sous la direction d’Ouyang Xiu (Ngeou-yang Sieou, 1007-1072), personnage remarquable comme homme d’État, écrivain et poète qui est à l’origine de la renaissance Song. Citons aussi le Miroir général pour bien gouverner (Zizhi tongjian [Tseu-tche-t’ong-kien]), histoire générale de la Chine écrite par le grand lettré et Premier ministre Sima Guang (Sseu-ma Kouang, 1019-1086). Quant à la prose artistique des Song, elle est beaucoup plus agréable à lire, plus souple et plus légère que celle des Tang. Comme les poètes de la même époque, les écrivains abordent des sujets variés, alliant l’art de bien gouverner à l’art de vivre heureux. Su Dongpo (Sou Tong-p’o ou Su Shi [Sou Che], 1036-1101), le plus grand poète des Song, est également passé maître dans l’essai en prose. Les deux Fu de la Falaise rouge (Chibi fu [Tch’e-pi-fou]) sont les chefs-d’œuvre du genre : après la poétique description du paysage sauvage du Yangzi (Yang-tseu), mêlée de réminiscences historiques, l’auteur évoque avec un ami l’éternelle brièveté de la vie humaine et la douceur de l’ivresse. Nul n’égalera jamais l’aisance stylistique de Su Dongpo, qui concilie avec élégance description et réflexion, réalisme et lyrisme, érudition et simplicité. Le style du guwen (kou-wen) restera à l’honneur pour la plupart des écrits en prose, excepté le roman et le théâtre, qui utilisent la langue vulgaire. À l’époque Qing (Ts’ing), la littérature, sclérosée et submergée par l’érudition, ne sera plus qu’une mosaïque de citations.


La poésie

On peut dire que la poésie est l’essence même de la littérature chinoise. Plus de la moitié des auteurs célèbres sont poètes, tous sont amateurs de poésie. Elle fleurit à toutes les époques, depuis la haute Antiquité jusqu’à nos jours, sur toutes les bouches, depuis le couplet du paysan aux champs jusqu’à l’élégie de l’empereur dans son palais. Grâce à la faveur impériale qui lui confère un immense prestige social, elle est présente partout, animant les distractions comme les événements graves : elle préside aux banquets, aux jeux de société, elle tient lieu de correspondance, de billets doux, mais elle permet aussi aux candidats d’être reçus aux examens et offre au ministre une manière élégante de conseiller l’empereur. Si la poésie est la reine de tous les arts, on ne saurait la dissocier des autres Muses, surtout de la musique, à qui son destin reste lié. Trois genres fondamentaux de la poésie chinoise ne se conçoivent pas sans musique : les yuefu (yue-fou), chansons des Han, les ci (ts’eu), poèmes à chanter des Song, et les qu (k’iu), poèmes à chanter des Yuan. En dehors de ces poèmes, dont la métrique et la prosodie restent en principe tributaires des mélodies qui les ont vus naître, les poèmes réguliers sont souvent psalmodiés ou tout au moins accompagnés d’instruments de musique. La conception purement et uniquement littéraire de la poésie reste assez rare. Avec la musique, l’art en rapport le plus étroit avec la poésie est la calligraphie. Si presque tous les poètes sont musiciens, beaucoup sont aussi calligraphes. Composer un poème est une chose, le chanter une autre et savoir l’écrire une troisième, également importante. Les poèmes sont les sujets favoris des calligraphes : gravés sur pierre, puis estampés, copies et originaux circulent dans l’Empire à la grande joie des collectionneurs. Parfois, on calligraphie un poème sur une peinture, mêlant ainsi trois arts dans une même œuvre.

On retrouve dans l’abondante production poétique chinoise les deux grandes tendances dont il a été question dans l’introduction. Elles s’incarnent, dès le premier âge de cet art, dans deux anthologies qui servent de modèles et de points de repère, le Classique des vers (Shijing [Che-king]) et les Élégies de Chu (Chuci [Tch’ou-ts’eu]). Les confucianistes défendent, en invoquant le Shijing, la théorie didactique : la poésie sert à l’instruction morale ; elle sert aussi de commentaire social pour les dirigeants. Quant à la forme, beaucoup moins importante que le fond, elle doit être élégante et correcte, sans fioritures inutiles, et respecter le sens de la mesure. La meilleure façon d’écrire est de se replonger aux sources de la simplicité antique et d’imiter les Anciens. Au contraire, la lignée poétique issue des Élégies de Chu prône avant tout la liberté : liberté dans l’expression des sentiments, sans crainte de la démesure ; liberté dans les idées, sans la caution de l’Antiquité ; liberté de la forme au mépris des règles établies ; liberté dans le style, amateur d’innovations. À la tradition réaliste, avec des poètes comme Du Fu (Tou Fou) et Bo Juyi (Po Kiu-yi), s’oppose la tradition romantique avec des poètes comme Tao Yuanming (T’ao Yuan-ming) et Li Bo (Li Po). Sous les Song, ces deux thèmes d’inspiration fusionnent chez les grands génies, tels Su Dongpo (Sou Tong-p’o) et Lu You (Lou Yeou), qui combinent avec aisance élans patriotiques et descriptions lyriques. Ainsi, le balancement des écrivains et des époques entre les deux tendances, bien qu’un peu arbitraire, sert de fil directeur au cours de la longue histoire de la poésie chinoise.