Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Les premiers temps de la dynastie mandchoue correspondent à une grande prospérité et à un nouvel essor culturel. Un fait capital marque toute la période : l’accroissement démographique ; estimée à 150 millions d’habitants vers 1600, la population de l’Empire passe à 300 millions en 1787, puis à 430 millions peu avant 1850. Certains démographes chinois commencent déjà à s’inquiéter et parlent de limiter les naissances. Corollaire de cette croissance, l’émigration outre-mer ; le phénomène est ancien, et, dès le xiiie s., nous savons qu’il existait des colonies chinoises au Cambodge et à Java, mais il va prendre désormais une ampleur considérable. La plupart des émigrés viennent des provinces maritimes : Guangdong (Kouang-tong) et Fujian (Fou-kien) ; ils forment dans les ports des « mers du Sud » (Indochine et Insulinde) des minorités puissantes, enrichies par le commerce et disposant souvent de leurs temples et de leurs écoles ; le mouvement peut être rapproché de celui des Européens déshérités qui, vers le même temps, s’embarquent pour les Amériques.

Durant les premiers règnes de la dynastie, et notamment sous les empereurs Kangxi (K’ang-hi, 1661-1722) et Qianlong (K’ien-long, 1736-1796), la Chine connaît un nouveau moment d’apogée. Au début, les troupes mandchoues, réparties en huit « bannières », campent comme en pays conquis, mais les vainqueurs sont peu nombreux (guère plus de 200 000 hommes) ; très tôt, les empereurs cherchent à rallier les éléments influents de la société chinoise ; le Grand Conseil, d’abord réservé à des dignitaires mandchous, est remplacé par un organisme où les Chinois ont accès ; le confucianisme reste en honneur, ainsi que le système de recrutement par examens ; soucieux de flatter les habitants du bas Yangzi, les empereurs Qing se rendent à plusieurs reprises en voyage « dans le Sud ».

Cependant il apparaît que le gouvernement n’en reste pas moins très autoritaire ; un nouveau code est promulgué (le Code des grands Qing), qui punit très sévèrement le crime de rébellion.

De plus, les Chinois se voient, en principe, interdire tout contact avec les minorités non chinoises de l’Empire, qui se trouvent directement placées sous l’autorité des Mandchous (« minoritaires » eux aussi).

À ce moment, l’Empire atteint en effet des limites territoriales qu’il n’avait jamais connues et qu’il ne connaîtra plus jamais. Les principaux succès sont marqués à la frontière du Nord-Ouest, où les Kalmouks (aussi appelés Eleuthes) essaient pendant un temps de constituer un empire central autonome (comprenant la Dzoungarie, le Turkestan et une partie de la Mongolie) ; sous l’impulsion d’un chef ambitieux, Galdan (1676-1697), les Eleuthes sont d’abord victorieux (1688), mais les Mandchous reprennent bientôt l’offensive, s’assurent l’appui du clergé lamaïque et concèdent certains avantages aux Russes (traité de Nertchinsk en 1689), afin que les Kalmouks soient pris à revers. Pour finir, une campagne militaire bien conduite permet aux Qing de rétablir leur autorité sur toute l’Asie centrale. Dans le Sud-Ouest, les choses ne vont pas aussi bien, et les minorités nationales, alors désignées du terme générique et injurieux de Miao, se soulèvent à plusieurs reprises contre les Chinois, qui cherchent à leur prendre les terres cultivables ; mais les révoltes finissent par être réprimées, et, en 1767 et 1788, les Chinois se risquent même jusqu’en haute Birmanie, où ils parviennent à établir leur suzeraineté.

De même que les premiers Ming avaient veillé à rétablir dans les campagnes une situation acceptable, de même les premiers Qing cherchent à rétablir un équilibre, sérieusement compromis par plusieurs années de guerre et de brigandage. Passé les premières mesures oppressives, le gouvernement adopte une attitude plus libérale ; il accorde la propriété aux métayers dont les maîtres ont disparu pendant les troubles ; il instaure un impôt équitable en argent, qui est déclaré « immuable » ; il reprend le système des greniers, qu’il développe et perfectionne. Des travaux d’irrigation et d’endiguement rendent des terres à la culture ; de nouvelles plantes venues d’Amérique, comme le tabac et peut-être le maïs, sont introduites. L’artisanat se développe parallèlement et prend des allures « industrielles » (on a même parlé d’une forme élémentaire de « capitalisme »). Il se crée un véritable prolétariat dans les manufactures, et les annales ont gardé le souvenir de plusieurs émeutes ouvrières.

La classe des marchands, qui a su s’assurer une place importante dès l’époque des Song, continue à progresser. Elle profite de l’intensification des échanges interrégionaux et des appuis qu’elle peut avoir dans l’Administration (monopole, trafic des grains) ; ses membres s’organisent en associations et créent des banques. Néanmoins, on n’assiste pas à la formation, comme en Europe, d’une véritable « bourgeoisie » ; une des raisons de cette différence doit, sans doute, être cherchée dans le rôle prépondérant de l’État, qui, en Chine, est omniprésent ; il n’y a pas eu ici de franchises urbaines, et dans toutes les cités ce sont les mandarins, représentants de l’autorité impériale, qui ont toujours exercé le contrôle essentiel.

Le xviie et le xviiie s. voient s’épanouir un nouvel âge d’or de la culture chinoise. À Pékin, qui s’embellit alors de plusieurs palais impériaux, et dans toutes les villes où se trouvent regroupés fonctionnaires et marchands, on trouve d’importants foyers de réflexion et de création artistique. À signaler avant tout une pléiade de « philosophes » et de savants, encore mal étudiés, mais qui peuvent soutenir la comparaison avec les grands esprits de notre siècle des lumières ; les uns, tels Li Zhi (Li Tche, 1527-1602), Wang Fuzhi (Wang Fou-tche, 1619-1692), Gu Yanwu (Kou Yen-wou, 1613-1682), remettent en cause les fondements mêmes de la société et dissertent sur les vices du régime et sur la notion de pouvoir ; les autres compilent de gros traités de botanique, d’agriculture et de technologie qui font penser aux travaux de nos encyclopédistes. L’essor des arts (céramique, peinture) et surtout de la littérature nous est mieux connu ; le développement du théâtre (et notamment de l’Opéra de Pékin) ainsi que celui du roman consacrent l’avènement de la langue parlée.