Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chemin de fer (suite)

Les pays de l’Europe du Nord-Ouest et les États-Unis doivent à leur puissante industrie d’être en tête des mouvements de marchandises, exprimés en tonnages bruts chargés, comme en tonnes-kilomètres transportées. Ailleurs, les relations demeurent généralement moins intenses. Cependant, comme la densité d’équipement demeure parfois faible hors des régions industrialisées, le trafic écoulé par kilomètre de voie peut être aussi fort dans un espace qui échappe à l’industrialisation, comme c’était le cas dans la Russie prérévolutionnaire.

Les transports de marchandises ne sont qu’un des éléments de l’activité ferroviaire : les voyages se multiplient très vite. À longue distance, l’ouverture de marchés nationaux, la vogue naissante du tourisme intensifient les va-et-vient sur certains itinéraires. Aux alentours des grandes villes, les dessertes de banlieue permettent l’élargissement rapide des zones de peuplement urbain et créent des mouvements pendulaires massifs.

À la veille de la Première Guerre mondiale, le chemin de fer est le grand principe d’organisation de l’espace : les pays industrialisés lui doivent la large diffusion de beaucoup de leurs activités de transformation, la naissance de réseaux commerciaux à l’échelle des nations, l’affermissement des réseaux urbains et la brusque explosion, le long des voies divergentes, des grandes métropoles. Les zones colonisées ne participent que peu à ces transformations : elles ne sont vivifiées par le rail que dans la mesure où elles sont susceptibles de fournir des produits de base au manufacturier européen. L’écoulement des étoffes, le seul possible dans ce monde misérable, ne nécessite guère d’équipements modernes : en tant que débouché, le tiers monde ne demande pas l’investissement lourd que constitue la construction des lignes ferrées.


L’apparition de la concurrence

La seconde phase de l’histoire ferroviaire est une longue crise. Ses causes sont faciles à saisir : elles tiennent à des innovations qui créent au rail des concurrents souples et à une organisation commerciale qui accentue l’effet de l’innovation technique.

Le chemin de fer est imbattable lorsqu’il s’agit d’organiser des échanges réguliers, portant sur de grandes masses, entre des points très éloignés. Mais les charges augmentent considérablement lorsque les envois sont fractionnés et destinés à des points variés : les opérations de triage se multiplient. Pour les envois légers, il est souvent plus facile de consacrer un wagon par colis que de procéder à des transbordements : l’avantage de l’économie du transport par grande quantité disparaît. Le rail ne dessert pas tout ce qui impose des ruptures de charge à l’arrivée et au départ.

L’automobile se trouve dans une situation très différente. Il est difficile de lui confier des envois qui excèdent une vingtaine de tonnes, et les acheminements n’ont pas la régularité de ceux qui sont assurés par le rail : les intempéries sont beaucoup plus gênantes pour le routier. La zone des coûts moins que proportionnels à la distance est beaucoup plus courte que pour le rail ; mais, dans la mesure où les charges fixes au départ et à l’arrivée sont plus faibles, on évite les ruptures de charge et on livre directement au client. Les prix de revient sont généralement beaucoup plus élevés que pour le rail, mais les conditions de financement des infrastructures sont si différentes que les tarifs ne reflètent pas les mêmes réalités : le rail est presque toujours dans l’obligation de financer directement la totalité de ses infrastructures ; la route est payée par la collectivité, et son entretien ne repose que partiellement sur le transporteur.

Dans le domaine des déplacements de personnes, l’automobile a des avantages plus sensibles encore : il est désagréable de se plier aux servitudes d’horaires rigides, d’avoir à attendre des correspondances ou à gagner des gares lointaines. L’automobile donne une liberté totale. Elle ne perd ses avantages que pour les longs trajets, où elle est moins rapide que le rail et impose une fatigue supplémentaire.

Le chemin de fer n’était pas fait pour affronter la concurrence de l’automobile. Sa position de monopole l’avait conduit à fixer des tarifs qui favorisèrent les transporteurs routiers. Les barèmes dégressifs ? Ils limitent les possibilités du camionnage sur les liaisons à longue distance, mais ils lui font gagner beaucoup sur les petites distances, où il est avantagé par la possibilité de livrer directement. La tarification ad valorem ? Elle conduit à un écrémage : on laisse au chemin de fer les produits pondéreux, pour lesquels le prix couvre à peine les charges variables ; on sollicite la clientèle qui expédie des produits de valeur et l’on prive le chemin de fer de sources de revenus qui lui étaient nécessaires.

L’obligation d’assurer des relations régulières, de faire face à toute demande multiplie enfin les charges du chemin de fer : il doit payer un personnel nombreux, bien organisé sur le plan syndical et qui parvient vite à obtenir une durée de travail limitée. Ainsi se trouve menacée ou compromise la situation financière de la plupart des compagnies ferroviaires.

Leurs organismes de gestion essayèrent de réagir contre les formes nouvelles de concurrence : dans le domaine des tarifs, il était difficile de renoncer à la publication de barèmes généraux, qui est un des avantages essentiels qu’assure le rail. Mais, pour éviter que les concurrents ne profitent de secteurs particulièrement rentables, il fallait revoir les principes mêmes d’élaboration des barèmes, renoncer à faire payer les coûts fixes aux seules marchandises de qualité, ne plus adopter de structures de prix sans rapport avec les charges réelles du transport.

L’absence du barème peut constituer un avantage pour le concurrent routier : il peut offrir des conditions particulièrement avantageuses pour s’assurer d’un fret de retour ou pour s’attirer la fidélité de sa clientèle. Les compagnies ferroviaires ont donc cessé de pratiquer presque exclusivement des tarifs publics : pour les envois en nombre ou pour les envois réguliers, le prix résulte d’un marchandage ; il est très souvent tenu secret.