Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chavín de Huantar (suite)

Quant au site fameux de Cerro Sechín, dans la vallée de Casma, il pose un problème actuellement non résolu : nous devons avouer notre ignorance quant à l’origine de ces extraordinaires stèles, gravées de guerriers debout, de prisonniers enchaînés, de têtes coupées amoncelées. L’hypothèse la plus probable, fondée sur des comparaisons d’ordre stylistique, est que Cerro Sechín est un site légèrement postérieur à Chavín.


Origine et diffusion de Chavín

Le style de Chavín ne fut que la manifestation artistique d’un culte, et l’expansion de ce style est due plus, sinon uniquement, à une diffusion pacifique d’idées religieuses qu’à une conquête à proprement parler. L’horizon chavín correspond donc à une entité culturelle, non à un véritable État ou empire unifié.

Mais la question se pose de savoir si le site de Chavín de Huantar — le plus célèbre et le plus représentatif de la période — est réellement le lieu d’origine du culte du félin. J. C. Tello le pensait ; R. Larco Hoyle, au contraire, voyait dans la culture côtière de Cupisnique le berceau de l’art de Chavín, d’où il se serait ensuite diffusé vers les Andes. Plus récemment, d’autres spécialistes ont soutenu que ce style dérivait de la culture olmèque du Sud mexicain. En dépit de toutes ces hypothèses, il existe quelques raisons de croire que le culte du félin et l’art chavín sont originaires de la région centre-nord du Pérou, mais non du site même de Chavín de Huantar — où cet art semble apparaître brusquement, sans phase d’élaboration, et qui n’aurait été que le lieu de culte le plus important.


La culture de Chavín

Si Chavín est avant tout synonyme d’une forme d’expression artistique et religieuse hantée par le thème du félin, il ne faut cependant pas négliger les autres aspects culturels et économiques qui donnent son originalité à cette période de la préhistoire péruvienne, entre le ixe et le iiie s. avant notre ère. L’agriculture est déjà relativement développée ; le maïs, cultivé depuis près de dix siècles, constitue la source principale d’alimentation, avec la calebasse, le haricot, la yuca, l’arachide, la pomme de terre dans les régions andines. La pêche continue de fournir un appoint important aux groupes établis sur la côte. Les zones de culture et d’habitat sont surtout localisées autour de l’embouchure des rivières, où se pratique déjà l’irrigation artificielle. Il ne semble pas exister de véritables centres urbains, et les édifices connus sont tous des temples ou, du moins, des centres cérémoniels. Mais les villages se multiplient, petits groupes de maisons à une pièce aux murs d’adobe ou de pierre, couvertes d’un toit de paille, contrastant avec la magnificence des constructions dédiées aux divinités.

Avec l’évolution de l’agriculture et de la sédentarisation naissent les loisirs et la spécialisation des tâches ; les arts et la technologie se développent. La très belle poterie de cette période montre déjà une grande maîtrise technique. Les tissus de coton sont d’usage courant. Enfin, la culture de Chavín a fourni quelques-uns des plus beaux objets d’or du Pérou, et probablement les plus anciens d’Amérique : à Chongoyape, dans la vallée de Lambayeque, les tombes ont livré des couronnes, des masques, des ornements de nez et d’oreilles, des colliers fabriqués en fines plaques d’or martelé et repoussé, tous ornés de motifs représentant des serpents et des félins aux crocs saillants. L’os, la coquille, le bois, les pierres dures sont également façonnés en objets délicats ornés du félin de Chavín.

Les morts sont enterrés dans le désert, au fond de fosses profondes ; quelques offrandes funéraires les accompagnent : vases de céramique, instruments de travail, écuelles de calebasse contenant des épis de maïs ou des haricots.

La culture de Chavín, qui était parvenue à donner une certaine homogénéité au Pérou, décline assez brusquement vers le iiie s. avant notre ère. L’unité disparaît, les liens culturels et religieux se relâchent. Le culte du dieu-félin est peu à peu oublié, et les temples sont abandonnés ou réoccupés par des populations qui ajoutent de nouvelles constructions, souvent édifiées avec les matériaux des édifices primitifs. Chaque vallée, chaque région commence à développer des caractéristiques locales, qui feront de la période suivante une phase de différenciation très accusée, où tous les éléments chavín auront disparu ou se seront amalgamés aux nouveaux archétypes régionaux.

D. L.

➙ Amérique précolombienne.

 J. C. Tello, Chavín (Lima, 1960).

Chawqī (Aḥmad)

Poète et dramaturge arabe d’Égypte (Le Caire 1868 - id. 1932).


Deux signes contradictoires, le cosmopolitisme et le nationalisme égyptien, ont dominé la vie et l’œuvre de Chawqī. Dans son ascendance paternelle et maternelle règne une remarquable diversité ethnique. Son père, petit fonctionnaire au Caire, le destine à l’interprétariat en français et le pousse vers des études juridiques. Chawqī est distingué par le khédive Tawfīq, qui l’envoie en France pour compléter ses études ; durant quatre années passées à Montpellier, puis à Paris — il vient d’atteindre ses vingt ans —, il met à profit ses vacances pour voyager en France, en Angleterre et en Algérie. De retour au Caire en 1893, il parvient à gagner l’estime du nouveau khédive ‘Abbās Ḥilmī II, qui l’envoie, l’année suivante, à Genève comme chef de la délégation égyptienne au Congrès des orientalistes. Depuis plusieurs années déjà, Chawqī s’est fait connaître comme poète officiel ; l’ode qu’il récite au Congrès des orientalistes à la gloire de l’Égypte depuis la plus haute antiquité donne le ton de son inspiration à cette époque. En 1898, il réunit en un recueil ses premiers poèmes avec une introduction très suggestive sur ses conceptions littéraires. Vers le même temps, semble-t-il, il esquisse ou compose certains de ses drames historiques. En politique, le poète épouse sans réserve la cause du khédive ‘Abbās et ses sympathies pour le sultan Abdülhamid II. En 1906, il reste muet lors du soulèvement des fellahs de Dinchawai. Mais la grande voix de son ami Mustafā Kāmil et le souvenir du cheikh Muḥammad ‘Abduh lui rappellent son devoir sans, pour autant, l’amener à rompre avec le khédive et le sultan. Sa résidence de Karmet ibn Hānī accueille alors tout ce que l’Égypte compte d’écrivains et d’intellectuels, et reste ouverte à tous les solliciteurs. En août 1914, la guerre le surprend à Istanbul ; en hâte, il regagne Le Caire, mais c’est pour se voir signifier par l’autorité britannique, au début de 1915, l’ordre de s’exiler. Avec sa famille, Chawqī s’installe à Barcelone. Circonstance heureuse, qui lui permet de se plonger dans le passé de l’histoire de l’Occident musulman. En découvrant Cordoue et Grenade, le poète ouvre en effet à son lyrisme des voies nouvelles et compose un de ses drames, la Princesse d’Andalousie (Amīra al-Andalus). En 1919 lui arrive enfin la permission tant attendue de regagner Le Caire. Il a cinquante et un ans. L’accueil enthousiaste des étudiants lui révèle ce que son nom et son œuvre représentent pour eux. Les douze années qui vont suivre sont partagées entre la vie politique — Chawqī entre au Sénat en 1924 — et la production poétique ; Chawqī se fait alors le chantre de la nation égyptienne, dont il dit les luttes pour son indépendance, ses espoirs et ses sacrifices. Il ne rompt cependant point avec son cosmopolitisme ; presque chaque été il revient en France et fait des croisières au Liban et en Syrie. Son ami Ḥāfiẓ Ibrāhīm le proclame « Prince des poètes » (« amīr al-chu′arā’»), et lui-même s’écrie : « Ma poésie a été chant de joie lors de l’allégresse de l’Orient, et sa consolation dans ses tristesses. » C’est dans cette atmosphère d’apothéose qu’il s’éteint au Caire en 1932.