Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

château (suite)

Vers le château classique

À Bury, dans le Loir-et-Cher (1514-1524, détruit), l’aire rectangulaire close, divisée en quatre cases égales, montre l’amorce d’une distribution : un des rectangles est occupé par le logis en U et, latéralement, un second forme la basse-cour ; du logis, on descend dans le jardin, et de là dans le potager, c’est-à-dire dans les deux derniers rectangles, situés en contrebas.

La composition en plan et en niveaux trouve un de ses exemples les plus évolués à Verneuil (détruit) où. dans un premier temps, vers 1565, Jacques Ier Androuet Du* Cerceau avait établi un jeu de cinq niveaux sur un axe principal, recoupé transversalement par ceux des jardins. Aux angles de la plate-forme du château proprement dit, des bastions à orillons montraient la persistance des préoccupations d’ordre défensif. Par son plan-masse aussi, Verneuil marquait une étape importante. On trouvait bien à Écouen, trente ans plus tôt, un quadrilatère à pavillons d’angles possédant une aile plus basse vers l’entrée ; mais c’est sur le modèle mieux composé de Verneuil que Salomon de Brosse devait, par des retouches successives à Montceaux, à Coulommiers, au Luxembourg, à Blérancourt enfin, entre 1610 et 1620, mettre au point le thème du château classique : un corps de logis, avec avant-corps central et pavillons latéraux esquissant un retour d’équerre, va occuper désormais la seule partie arrière de la plate-forme, dégagée sur les trois autres faces et mise en valeur par la ceinture creuse de ses fossés.

Il restait, une fois le thème défini, à établir entre les éléments des rapports d’harmonie, une hiérarchie des parties conforme à l’esprit classique. Ce sera l’œuvre d’un François Mansart* à Blois (1635) ou à Maisons (1642), d’un Louis Le Vau* au Raincy (v. 1640) ou à Vaux-le-Vicomte* (1656). Il appartiendra à André Le Nôtre*, dans ces deux derniers châteaux, puis dans le complexe palatial de Versailles*, de compléter l’organisation des masses construites en l’étendant à l’ensemble du site.


Châteaux et jardins

Longtemps, le jardin était resté un élément mineur, un espace clos, « secret ». Celui de Gaillon, entouré de galeries, gardait encore l’atmosphère d’un cloître. Puis la géométrie des bastions avait abouti à transformer les terrasses en autant de parterres, à en étudier l’animation par un jeu savant de fontaines et de plans d’eau, à ménager les vues au point de réduire le château à la fonction d’un belvédère. Ici encore, il faut citer un exemple disparu : Richelieu, réalisé par Jacques Lemercier à partir de 1631. Tout l’espace environnant y était asservi à la galerie où, dans un cadre d’objets précieux et de sujets historiques, était révérée la personne du cardinal. C’était déjà Versailles, tout au moins dans la beauté statique de ses volumes construits.

Mais, lorsque les perspectives vont s’irradier vers l’infini, lorsque la nature entière va être soumise par Le Nôtre aux jeux d’une composition orchestrée pour célébrer la gloire du souverain, à la façon des ensembles cosmiques orientaux, on atteindra cette fois à la plénitude de l’espace baroque. Tous les princes d’Europe ont voulu en avoir autant. Un Joseph Effner à Munich, un Johann Balthasar Neumann* à Würzburg, à Bruchsal et à Brühl, bien d’autres encore ont interprété Versailles, éprouvé la difficulté de traduire à une échelle moindre (sauf le cas de la Favorite, lié à l’urbanisation de Karlsruhe, 1715) une conception qui n’admettait pas le médiocre. Pour en éviter l’écueil, et à l’exemple de la France encore, l’Europe remplace le solennel et le grandiose par les virtuosités et la fantaisie du rococo : ainsi Georg Wenzeslaus von Knobelsdorff à Potsdam (v. Berlin).

Dès le début du xviiie s., en effet, une réaction se fait jour qui répudie la grande peinture d’histoire au profit des « fêtes galantes » et du paysage, et adapte les décors de grotesques aux turqueries et aux chinoiseries. Cet exotisme répond à un besoin d’évasion, de rêve, qui va préparer un nouvel art des jardins et, en attendant, s’accorde avec le désir de demeures plus simples et plus confortables.

L’influence de l’Angleterre contribue à expliquer de telles tendances. La tradition médiévale était restée vivace dans un pays où la noblesse, en contact plus étroit avec la nature, était moins portée qu’ailleurs à adopter des modes peu compatibles avec son climat. Ainsi, au xvie s., la « bay-window », héritée du gothique perpendiculaire, tend à transformer les murs en parois vitrées, même dans les constructions massives (en 1580, Wollaton Hall, près de Nottingham, offre encore un aspect de donjon). On a pu dire de tel château élisabéthain qu’il avait plus de verre que de pierre. Cet esprit subsiste, un siècle plus tard, sous le décor baroque. L’ambiance militaire de Blenheim, près d’Oxford (1705), peut s’expliquer par son caractère de présent fait à un général victorieux ; il n’empêche que son architecte, John Vanbrugh*, traite les jardins de Castle Howard selon un esprit qui ne doit rien à Le Nôtre, et construit pour lui-même un castel gothique.

Au xviiie s., le « palladianisme » triomphe, et le plan central de la Rotonda est adopté par lord Burlington à Chiswick (1727), par Colin Campbell à Mereworth, près de Maidstone (1723)... Cet art, à travers les variantes d’un John Wood ou d’un William Kent, va conduire à la simplicité néo-classique. Il s’accompagnera d’une conception nouvelle des jardins, dite « anglo-chinoise », dont Kew, tracé par William Chambers*, offre un des premiers exemples. En dépit de leur nom, ces jardins seront ornés de fabriques tour à tour mauresques, grecques, romaines, gothiques ; ils n’en resteront pas moins des jardins anglais, paysagistes, des tableaux « naturels » composés comme ceux des peintres ou des littérateurs.

À cette heure, le château véritable n’existe pratiquement plus ; l’élégante demeure portant encore ce nom s’achemine vers la grosse maison bourgeoise du xixe s., qui, elle, n’aura aucun droit à usurper un titre aboli avec les privilèges seigneuriaux.

H. P.

➙ Architecture / Fortifications / Jardins (art des).