Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charpentier (Marc Antoine) (suite)

Mais il ne s’en tient pas à cette formule de l’opéra ou de l’oratorio chrétien. Comme Josquin Des Prés a jeté les fondations du motet polyphonique en Europe, Charpentier, dans ses motets autant que dans ses psaumes, poursuivant l’effort de musiciens mineurs comme Thomas Gobert († 1672) ou Étienne Moulinié († apr. 1668), a travaillé à l’éclosion du motet concertant sous toutes ses formes. Sans avoir servi à Versailles, peut-être est-il autant que Lully, par les exemples réitérés qu’il en a donnés, à l’origine du psaume versaillais.

Le créateur va d’ailleurs plus loin dans le domaine de la messe, puisque, ici, les textes de Jean de Bournonville (v. 1585-1632), de François Cosset (v. 1620 - apr. 1682) et de Jean Mignon (v. 1640 - apr. 1694) sacrifient toujours à une esthétique polyphonique qui est de tradition au sanctuaire, alors que Charpentier, avant même l’introduction du grand orchestre à Notre-Dame de Paris, s’efforce de diversifier au maximum la paraphrase de l’ordinaire : messe à 4 voix et instruments, messe à 8 voix et 8 instruments, messe dialoguée avec des orgues, messe sur des thèmes de noëls, messe pour 4 chœurs et instruments, messe pour 6 voix et symphonie, messe pour double chœur et 4 parties instrumentales... Il est juste de rappeler que le créateur de la messe concertante n’a pas été suivi par ses élèves, puisque le grand motet a fini par l’emporter à Versailles. Mais, là encore, Charpentier est un précurseur qui annonce les messes concertantes de François Giroust, de Haydn, de Mozart et de Beethoven, sans parler des romantiques. Ajoutons que le musicien est un des premiers à utiliser au maximum les possibilités offertes par les instruments et que, loin de les grouper toujours par familles, il recherche des instrumentations raffinées : clavecin et orgue (Josué), cromorne et cordes (le Jugement de Salomon), violons, flûte, trompette, musette, timbales, basson (Epithalamio).

Enfin, ce chantre de la musique sacrée se double d’un théoricien de valeur offrant, en ses Règles de la composition, dédiées à son élève le duc d’Orléans, une gamme de prescriptions utiles concernant la composition et l’instrumentation. On lui doit également des Remarques sur les messes à 16 parties d’Italie.


Charpentier et notre époque

C’est l’honneur de l’école française de musicologie que d’avoir découvert ce musicien dans les soixante-dix dernières années. Bornons-nous à citer quelques jalons de l’histoire de cette résurrection : le Malade imaginaire (Saint-Saëns, 1894), le Reniement de saint Pierre (Alexandre Guilmant, 1897), la Couronne de fleurs (Henri Busser, 1907), airs du Malade imaginaire (Julien Tiersot, 1925), Messe de minuit (Letocart, 1927), quatre noëls (Amédée Gastoué, 1939). C’est, semble-t-il, le livre que Claude Crussard a consacré à Charpentier en 1945 qui explique l’intérêt soudain porté par l’école musicologique française puis l’école américaine à la musique sacrée et profane de Charpentier. De 1945 à nos jours, Guy Lambert s’est consacré à la publication des pages majeures de la musique religieuse, alors que des extraits de la tragédie de Médée étaient enregistrés sous la direction de Nadia Boulanger : ce disque ouvrait une série d’une quarantaine d’enregistrements qui ont contribué à établir l’incontestable autorité du musicien.

N. D.

 C. Crussard, Un musicien français oublié : Marc Antoine Charpentier (Floury, 1945). / R. W. Lowe, Marc Antoine Charpentier et l’opéra de collège (Maisonneuve et Larose, 1966).

chartisme

Puissant mouvement d’émancipation ouvrière qui anima l’Angleterre moderne. Avec la Commune de Paris, le chartisme est la plus importante tentative révolutionnaire d’origine prolétarienne au xixe s.



La naissance du chartisme et son apogée

Le chartisme est né sous la pression de facteurs immédiats (les déceptions ouvrières consécutives à l’agitation politique pour la réforme électorale de 1832 et à l’agitation syndicale de 1833-34 ; la mise en application de la nouvelle loi des pauvres de 1834 et l’hostilité à la « bastille », que constitue l’asile, ou workhouse) et de causes lointaines (la vitalité de la tradition radicale d’émancipation démocratique ; la pénétration de la révolution industrielle, qui entraîne la crise des vieux métiers artisanaux et condamne à l’indigence la fraction la plus évoluée, la plus instruite et la plus indépendante du monde ouvrier). Tout ce potentiel révolutionnaire vient s’investir dans un mouvement de revendication principalement politique, mais les ouvriers lui donnent également un caractère de combat social. Soulèvement ouvrier contre l’ordre imposé par les classes dirigeantes, le chartisme a fait une impression considérable sur Engels (alors fixé à Manchester) et sur Marx. Lénine l’a qualifié de « premier mouvement révolutionnaire du prolétariat appuyé authentiquement sur les masses et politiquement organisé ».

En 1836, un groupe d’artisans londoniens, parmi lesquels on compte des radicaux, des owénistes, des syndicalistes, fonde l’Association des travailleurs de Londres. Animée par William Lovett et Henry Hetherington, l’Association déclenche une campagne d’agitation pour le suffrage universel. L’idée est de rallier la classe ouvrière à un programme susceptible de faire l’union de tous les mécontents ; en cas de succès de la réforme politique, la voie serait ouverte pour procéder à la réforme de la société dans un sens de justice et d’égalité. Si le suffrage universel est la revendication première, c’est qu’il apparaît comme la condition de toute rénovation sociale. Il s’agit d’arracher les leviers de commande à une oligarchie de privilégiés installée par la force et la ruse. Ce qui importe, c’est de contrôler la loi, donc l’État, et ainsi de libérer les « classes utiles », les travailleurs, de l’asservissement auquel les condamnent les « classes stériles », l’aristocratie et la bourgeoisie. Dans toute la Grande-Bretagne, l’agitation se répand sous l’impulsion d’associations analogues à l’Association des travailleurs de Londres et à l’Union politique de Birmingham. En mai 1838, la « Charte du peuple », cri de ralliement du mouvement, suscite un écho extraordinaire parmi les travailleurs. Ceux-ci considèrent qu’ils ne doivent compter que sur eux-mêmes pour faire aboutir leurs revendications. Le journal chartiste, le Northern Star, tire à 50 000 exemplaires. Deux grandes voix irlandaises, celles d’O’Connor et d’O’Brien, viennent rejoindre le mouvement et enflammer les foules de prolétaires affamés et exploités. L’appel aux « vestes de futaines » et aux « mentons mal rasés » d’Angleterre jette l’inquiétude parmi les classes dirigeantes, qui réagissent avec une extrême fermeté en envoyant l’armée rétablir l’ordre. Mais au cours de l’année 1839, alors que culmine l’agitation avec la réunion à Londres de la Convention chartiste, ou « Parlement du peuple », les chefs sont paralysés par leurs divisions. Modérés (ou adeptes de la « force morale ») et extrémistes (ou partisans de la « force physique ») s’affrontent en débats stériles. Certains proposent la grève générale sous forme d’arrêt du travail pendant un mois (le « mois sacré »). Le gouvernement sévit, fait arrêter plusieurs des leaders, et l’agitation retombe.

Une nouvelle phase du chartisme commence avec la création de l’Association nationale pour la Charte. Stimulée par la dépression économique, la nouvelle campagne chartiste atteint son point culminant en 1842, mais, de nouveau, la faiblesse de la classe ouvrière se heurte à la force et à la résolution des classes dirigeantes.