Charpentier (Marc Antoine) (suite)
Mais il ne s’en tient pas à cette formule de l’opéra ou de l’oratorio chrétien. Comme Josquin Des Prés a jeté les fondations du motet polyphonique en Europe, Charpentier, dans ses motets autant que dans ses psaumes, poursuivant l’effort de musiciens mineurs comme Thomas Gobert († 1672) ou Étienne Moulinié († apr. 1668), a travaillé à l’éclosion du motet concertant sous toutes ses formes. Sans avoir servi à Versailles, peut-être est-il autant que Lully, par les exemples réitérés qu’il en a donnés, à l’origine du psaume versaillais.
Le créateur va d’ailleurs plus loin dans le domaine de la messe, puisque, ici, les textes de Jean de Bournonville (v. 1585-1632), de François Cosset (v. 1620 - apr. 1682) et de Jean Mignon (v. 1640 - apr. 1694) sacrifient toujours à une esthétique polyphonique qui est de tradition au sanctuaire, alors que Charpentier, avant même l’introduction du grand orchestre à Notre-Dame de Paris, s’efforce de diversifier au maximum la paraphrase de l’ordinaire : messe à 4 voix et instruments, messe à 8 voix et 8 instruments, messe dialoguée avec des orgues, messe sur des thèmes de noëls, messe pour 4 chœurs et instruments, messe pour 6 voix et symphonie, messe pour double chœur et 4 parties instrumentales... Il est juste de rappeler que le créateur de la messe concertante n’a pas été suivi par ses élèves, puisque le grand motet a fini par l’emporter à Versailles. Mais, là encore, Charpentier est un précurseur qui annonce les messes concertantes de François Giroust, de Haydn, de Mozart et de Beethoven, sans parler des romantiques. Ajoutons que le musicien est un des premiers à utiliser au maximum les possibilités offertes par les instruments et que, loin de les grouper toujours par familles, il recherche des instrumentations raffinées : clavecin et orgue (Josué), cromorne et cordes (le Jugement de Salomon), violons, flûte, trompette, musette, timbales, basson (Epithalamio).
Enfin, ce chantre de la musique sacrée se double d’un théoricien de valeur offrant, en ses Règles de la composition, dédiées à son élève le duc d’Orléans, une gamme de prescriptions utiles concernant la composition et l’instrumentation. On lui doit également des Remarques sur les messes à 16 parties d’Italie.
Charpentier et notre époque
C’est l’honneur de l’école française de musicologie que d’avoir découvert ce musicien dans les soixante-dix dernières années. Bornons-nous à citer quelques jalons de l’histoire de cette résurrection : le Malade imaginaire (Saint-Saëns, 1894), le Reniement de saint Pierre (Alexandre Guilmant, 1897), la Couronne de fleurs (Henri Busser, 1907), airs du Malade imaginaire (Julien Tiersot, 1925), Messe de minuit (Letocart, 1927), quatre noëls (Amédée Gastoué, 1939). C’est, semble-t-il, le livre que Claude Crussard a consacré à Charpentier en 1945 qui explique l’intérêt soudain porté par l’école musicologique française puis l’école américaine à la musique sacrée et profane de Charpentier. De 1945 à nos jours, Guy Lambert s’est consacré à la publication des pages majeures de la musique religieuse, alors que des extraits de la tragédie de Médée étaient enregistrés sous la direction de Nadia Boulanger : ce disque ouvrait une série d’une quarantaine d’enregistrements qui ont contribué à établir l’incontestable autorité du musicien.
N. D.
C. Crussard, Un musicien français oublié : Marc Antoine Charpentier (Floury, 1945). / R. W. Lowe, Marc Antoine Charpentier et l’opéra de collège (Maisonneuve et Larose, 1966).