Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles-Albert (suite)

Giuseppe Mazzini, encore inconnu, avait cru pouvoir lui adresser dès son accession au trône une lettre où il l’incitait à prendre la tête d’un mouvement national d’émancipation des dominations étrangères imposées à l’Italie. Ce manifeste audacieux ne pouvait que procurer à son auteur la certitude de son arrestation dès qu’il révélerait sa présence sur le sol piémontais, car il était clair que le révolutionnaire génois n’envisageait l’avenir de l’Italie que sous forme unitaire et républicaine et non sous celle d’une confédération d’États souverains, qui était encore à l’époque la thèse de Vincenzo Gioberti dans sa Primauté morale et politique des Italiens (Primato morale e civile degli Italiani, 1843) et de la plupart des hommes politiques préoccupés de l’avenir de la péninsule. La tentative mal conçue d’invasion de la Savoie au début de 1834 par quelques éléments mazziniens infiltrés même dans l’armée régulière fit naître dans l’esprit du roi la crainte que ce mouvement bénéficiât du concours d’autorités françaises et contribua beaucoup à mettre Charles-Albert en défiance à l’égard de Louis-Philippe et de son gouvernement. La rébellion fut durement réprimée, mais le roi, dans un message au principal magistrat chargé des poursuites, manifesta nettement qu’il voulait, néanmoins, que la justice fût strictement respectée.

Avec les années 40 grandit l’espoir que Charles-Albert demeurerait fidèle à son passé de champion des libertés politiques et de l’indépendance nationale. Deux de ses intimes publièrent alors — le comte Cesare Balbo avec ses Espérances de l’Italie (Le Speranze d’Italia, 1844) et le marquis Massimo d’Azeglio avec ses réflexions sur les Derniers Événements de Romagne (Gli Ultimi Casi di Romagna, 1846) — des livres qui traduisaient ouvertement les vues des libéraux modérés du royaume de Sardaigne et qui furent lus à travers toute l’Italie. Charles-Albert se sentit encouragé à prendre ses distances vis-à-vis des procédés d’intimidation autrichiens.

L’élection du cardinal G. M. Mastai Ferretti (Pie IX) comme pape en 1846, sa décision presque immédiate d’accorder une amnistie aux condamnés politiques et la mise en route de réformes rendirent palpable que, même dans l’État pontifical, quelque chose était changé, ce qui devint une certitude quand, le 10 mars 1848, fut formé à Rome le ministère laïque G. Antonelli - G. Recchi et, le 14, accordée par Pie IX une Constitution. Charles-Albert ne pouvait faire moins que de l’imiter. Il donna de nouveaux gages d’accord aux libéraux, parmi lesquels commençait à émerger Cavour*, et le 4 mars 1848 fut promulgué, parmi de touchantes manifestations d’amour de la population pour son roi, le Statut constitutionnel, qui allait régir la Sardaigne d’abord, puis toute l’Italie pendant un siècle.

Le régime n’eut pas le temps de se renforcer par une pratique tempérée du gouvernement parlementaire : les révolutions* de février et de mars 1848 allaient placer Charles-Albert devant la nécessité de faire une guerre de libération nationale avant qu’elle soit réellement préparée militairement et politiquement. L’enthousiasme du peuple de Turin devant la victoire des Milanais contre la garnison et la police autrichiennes au cours des glorieuses « Cinq Journées » (8-22 mars 1848) et l’appel adressé aussitôt par ces derniers à Charles-Albert pour qu’il vienne les aider avec les seules forces régulières organisées de longue date en Italie ne lui laissaient pas d’autre issue que de se mettre à la tête de l’armée ; il le fit avec une spontanéité confiante qui semblait devoir associer à jamais la dynastie de Savoie et les populations de l’Italie du Nord. Aux derniers jours de mars 1848, les troupes piémontaises franchissaient le Tessin et traversaient parmi les ovations presque toute la Lombardie, les Autrichiens ayant reculé d’un coup jusqu’au Mincio pour se retrancher dans les forteresses de leur redoutable Quadrilatère.

La plupart des autres gouvernements et même le pape avaient promis d’associer leurs forces à celles de Sardaigne. Le roi de Naples Ferdinand II annonçait un corps de 15 000 hommes. Les étudiants des universités toscanes s’armaient, sous la conduite de leurs professeurs, en milices improvisées ; Modène, Parme et surtout Milan fournissaient d’autres volontaires. Au total, Charles-Albert disposait d’environ 90 000 hommes, dont 60 000 Piémontais, 6 000 Toscans et 3 000 Émiliens sur les bords du Mincio, tandis que le général Giovanni Durando (1804-1869) amenait 17 000 soldats pontificaux vers l’embouchure du Pô, auxquels sera confiée par la suite la défense de Vicence sur les arrières de l’ennemi, et que quelque 5 000 Lombards cherchaient, par les rives du lac de Garde, à envahir le Trentin.

Les Piémontais obtinrent d’abord quelques succès du 8 au 10 avril à Goito, à Valeggio et à Monzambano, en saisissant les ponts de la partie centrale du Mincio entre les citadelles de Mantoue et de Peschiera. Le roi commença à faire le siège de cette dernière. Au nord de Vérone, il poussa une pointe jusqu’à Pastrengo, sur l’Adige, et risqua une tentative sur Vérone elle-même, où le feld-maréchal Joseph Radetzky (1766-1858), qui ne commandait plus qu’à 50 000 hommes, mais attendait des renforts, avait établi sa principale défense et où on avait fait espérer à Charles-Albert que la population était prête à s’insurger. Mais il n’en fut rien, et il fallut rétrograder. Les opérations se limitèrent alors à investir Peschiera. Autour de Mantoue, il ne restait plus que les 6 000 jeunes Toscans, qui, dans un combat inégal, le 29 mai, contre 35 000 hommes que Radetzky comptait lancer sur la rive droite du Mincio pour surprendre les Piémontais et faire entrer vivres et renforts dans Peschiera, luttèrent jusqu’au soir dans les villages de Montanara et de Curtatone, et permirent ainsi aux Piémontais de déjouer complètement le lendemain, au pont de Goito, la manœuvre du vieux maréchal. Le 30 mai, Peschiera capitulait.