Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charles V le Sage (suite)

En fait, seuls l’autorité et le prestige de ce souverain malade et chétif, qui saura, en moins de dix ans, rejeter presque totalement les Anglais hors de France et se faire reconnaître comme l’un des arbitres de l’Occident par l’empereur Charles IV, venu lui rendre visite à Paris en 1372, permettent d’expliquer que l’unité du royaume n’ait pas été atteinte par la constitution de partis aristocratiques autour des « princes des fleurs de lys ».

Mais, en disparaissant, victime d’une crise cardiaque, le 16 septembre 1380, deux mois après du Guesclin, Charles V laisse à son jeune fils un royaume miné à l’intérieur par de puissantes forces de dissociation et, au moins temporairement, privé de ressources par sa décision dernière de supprimer les fouages pour assurer le salut de son âme.

P. T.

➙ Capétiens / Cent Ans (guerre de) / Guesclin (Bertrand du) / Marcel (Étienne) / Paris / Valois.

 Sources. Ch. de Pisan, le Livre des fais et bonnes meurs du sage roy Charles V (collection Michaud et Poujoulat, II, Didot, 1836). / J. Froissait, Chroniques (t. I-VII, Renouard, 1859-1874 ; t. VIII-XI, Laurens, 1888-99). / Les « Grandes Chroniques de France » (Champion, 1920-1938 ; 9 vol.). / The Chronicle of Jean de Venette (New York, 1953).
A. Coville, les Premiers Valois et la guerre de Cent Ans, 1382-1422 (dans Histoire de France, sous la dir. de E. Lavisse, Hachette, 1901). / R. Delachenal, Histoire de Charles V (A. Picard et fils, 1909-1931 ; 5 vol.). / J. Calmette, Charles V (A. Fayard, 1945). / B. Chevalier, l’Occident de 1280 à 1492 (A. Colin, coll. « U », 1969).

Charles VI le Bien-Aimé

(Paris 1368 - id. 1422), roi de France (1380-1422).


Fils de Charles V et de Jeanne de Bourbon, dauphin du Viennois (1368-1380), puis roi de France, Charles VI aurait dû commencer à régner seul en 1382, en vertu de l’ordonnance de Charles V de 1374, qui fixait la majorité des souverains à quatorze ans. Il n’en fut rien, les oncles du jeune souverain, qui s’étaient emparé du pouvoir soit à titre de régent (Louis d’Anjou), soit à titre de gardes de la personne royale (Philippe de Bourgogne et son cousin Louis II de Bourbon), ayant profité de la faiblesse de leur pupille pour conserver le contrôle du gouvernement jusqu’au 2 novembre 1388.

Sacré à Reims le 25 octobre 1380, Charles VI se trouve aussitôt confronté avec une situation très difficile en raison de la misère croissante de la population, longtemps éprouvée par les épidémies, par la guerre et par la fiscalité. S’insérant d’ailleurs dans un mouvement d’ensemble qui incite à la révolte les travailleurs de toute l’Europe occidentale, les jacqueries rurales et les soulèvements urbains se multiplient, dirigés à la fois contre les riches et les puissants. Débutant en 1379 en Flandre, où Filips Van Artevelde anime une nouvelle révolte hostile au pouvoir comtal, le mouvement gagne en 1381 les villes du Languedoc et surtout en 1382 celles de langue d’oïl, où le nécessaire rétablissement, par les états de Paris en mars 1381, des fouages supprimés par Charles V à son lit de mort, puis celui de la gabelle et des aides en 1382 provoquent de nombreuses insurrections urbaines qui se propagent de Rouen (Harelle en février) à Paris (soulèvement des Maillotins en mars) en passant par Amiens, Saint-Quentin, Caen, Falaise, Orléans, Mantes, Reims, Laon, Soissons et Lyon.

Populaires ou bourgeois, ces mouvements, qui menacent l’ordre établi, sont réprimés avec vigueur par le roi sous l’impulsion de ses oncles Louis d’Anjou et surtout Philippe de Bourgogne. Après avoir châtié Rouen du 29 mars au 6 avril 1382, après avoir vaincu les tisserands flamands de Van Artevelde à Rozebeke le 27 novembre 1382, l’ost royal brûle Courtrai le 18 décembre 1382, occupe Paris le 11 janvier 1383 et enfin soumet Orléans le 18 avril ; pendant ce temps, le duc Jean de Berry rétablit l’ordre en Languedoc.

En fait, l’éloignement de Jean de Berry de la capitale, de même que l’aventure italienne du duc d’Anjou, laisse le jeune souverain sous l’influence exclusive de Philippe le Hardi. Soucieux, avant tout, de la défense de ses intérêts, ce dernier fait épouser à Charles VI Isabeau de Wittelsbach, fille du duc de Bavière, Étienne II, le 17 juillet 1385, puis il l’oblige à porter inutilement secours à sa tante la duchesse de Brabant, menacée par le duc de Gueldre, Guillaume de Juliers. Réussissant, d’autre part, à rejeter à la mer les Anglais, qui sont intervenus en Flandre à partir de mai 1383, puis en Aunis en 1388, Charles VI impose à Richard II les signatures des trêves d’août 1388, qui inaugurent un rapprochement durable entre la France et l’Angleterre.

Dans ces conditions, le roi se sent assez fort pour se déclarer majeur le 2 novembre 1388. Renvoyant ses oncles il rappelle les serviteurs de son père : Bureau de La Rivière, Jean Le Mercier, Jean de Montagu, Olivier de Clisson que les Grands qualifient avec mépris de « Marmousets », mais dont la compétence est incontestable. Instituant la Cour des aides et celle du Trésor (ordonnance de Saint-Germain-en-Laye du 2 avr. 1390), invitant le roi à remédier aux abus commis en Languedoc par Jean de Berry (voyage de Charles VI en province de septembre 1389 à janvier 1391), ils réussissent à rétablir l’ordre social et financier. Disposant dès lors de recettes évaluées à 2 millions de livres tournois, dans un royaume où l’activité des banquiers lucquois fait de Paris l’une des grandes places financières de l’Europe, Charles VI peut à la fois entretenir la Cour la plus luxueuse d’Europe et envisager d’intervenir en Italie pour soutenir les intérêts de son frère Louis, qui a épousé en 1387 la fille du seigneur de Milan, Valentine Visconti.

Malheureusement victime peut-être d’une lourde hérédité maternelle, Charles VI est frappé d’une première crise de folie dans la forêt du Mans le 5 août 1392.