Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Charlemagne ou Charles Ier le Grand (suite)

Apparemment plus faible parce que plus proche du cœur du regnum Francorum et plus isolée du reste du monde, la Bretagne n’est paradoxalement jamais définitivement soumise, malgré les expéditions punitives menées dans cette contrée par le sénéchal Audulf en 786, par le comte Gui en 799 et par une dernière armée en 811. Aussi faut-il se contenter de renforcer la marche militaire de Bretagne, installée à l’est de la Vilaine dès le début du règne et rattachée sur le seul plan administratif au gouvernement royal des territoires de l’ouest, entre Seine et Loire, constitué en 789 ou 790 au profit de Charles le Jeune, fils aîné couronné de Charlemagne.

En fait, l’insoumission réelle de la Bretagne laisse ouverte une plaie béante au flanc maritime et occidental de l’Empire carolingien, plaie que doivent rapidement élargir les Normands, apparus dès la fin de 799 ou le début de 800, et contre lesquels Charlemagne essaie de mettre en place dès 800 des flottilles qu’il base notamment à Boulogne-sur-Mer et à Gand en 810 et avec l’appui desquelles il tente d’imposer au roi des Danois la paix illusoire de 813.

Charlemagne et les Saxons

Païens endurcis qui occupaient une fraction importante de la plaine de l’Europe du Nord comprise entre les Pays-Bas à l’ouest et l’Elbe à l’est, entre la Hesse et le Harz au sud et les mers du Nord et Baltique au nord, les Saxons étaient répartis au viiie s. en quatre nations : celle des Westphaliens, ou Saxons de l’Ouest, entre la Lippe et la Weser ; celle des Angariens, dans le bassin de ce dernier fleuve ; celle des Ostphaliens, ou Saxons de l’Est, entre la Leine et l’Elbe ; celle des Nordalbingiens, implantés dans l’actuel Holstein au nord de l’Elbe. Multipliant les opérations de pillage aux confins austrasiens du regnum Francorum, depuis plusieurs siècles, les Saxons avaient accepté parfois de payer tribut à ce dernier, notamment au terme des expéditions punitives menées contre eux par Charles Martel, puis par Pépin le Bref. Mais, dès le retrait des troupes adverses, ils avaient toujours repris leurs opérations dévastatrices.

Ne tenant d’abord aucun compte de l’expérience de ses prédécesseurs, Charlemagne pensa pouvoir venir à bout de leur résistance en menant contre eux entre 772 et 777 de sévères mais rapides campagnes, accompagnées de prises d’otages. Il en fut ainsi en 772, où l’idole des Angariens, Irminsul, fut détruite. Mais, profitant du départ de Charlemagne pour l’Italie, les Saxons firent, en 773, une incursion en Hesse, ce qui amena les Francs au terme d’une seconde campagne, en 774, non seulement à prendre de nouveaux otages, mais aussi à occuper de manière permanente les forteresses de Sigiburg sur la Ruhr et de Heresburg au nord de la Hesse. Enfin, à de nouvelles incursions saxonnes en 776, Charlemagne riposta par une troisième campagne, qui se solda dès l’été de cette même année par la soumission apparemment définitive de tous les Saxons ; ceux-ci acceptèrent de recevoir le baptême à Paderborn, où se tint la diète qui, en 777, jeta les bases d’une organisation ecclésiastique des pays conquis, dont la fraction sud-ouest, entre la Hesse et la Lippe, venait d’être transformée en une marche militaire. Cette tentative de pacification échoua devant la résistance des Saxons, désormais animée par un chef westphalien, Widukind, qui, profitant de l’expédition de Charlemagne en Espagne, passa à l’offensive dans la vallée du Rhin en 778. Le roi franc dut alors changer de méthode et substituer aux raids punitifs antérieurs des opérations visant à la conquête systématique de la Saxe. Après les deux campagnes de 780 et de 781, dont la seconde atteignit l’Elbe, Charlemagne divisa en 782 les territoires occupés en comtés administrés par des chefs saxons ralliés. La destruction d’une armée franque, en 782, obligea le souverain à modifier une nouvelle fois sa politique saxonne. Associant désormais la conquête et la terreur, il écrasa aussitôt l’ennemi à Verden, puis exécuta en moins de vingt-quatre heures 4 500 prisonniers. Poursuivant sans interruption entre 783 et 785 les opérations en Saxe, où il hiverna même en 784, Charlemagne contraignit finalement Widukind à capituler, à lui prêter serment de fidélité et même à accepter le baptême, qu’il reçut à Attigny en 785 ; en même temps, il promulgait une législation de terreur par la capitulatio de partibus Saxoniae, qui punissait de mort les crimes de paganisme et d’atteinte à la sûreté de l’État ; enfin, en 787-88, il faisait créer les évêchés de Brème, de Verden et de Minden, l’évangélisation devant être, dans sa pensée, le moyen par excellence de consolider son œuvre de pacification.

En fait, cette politique de répression extrême ainsi que l’âpreté du clergé à lever la dîme ne firent qu’exacerber l’esprit de résistance du peuple saxon, qui devait se soulever de nouveau en 793. Massacrant un détachement de troupes franques partant combattre les Avars, détruisant ou incendiant des églises, les révoltés contraignirent Charlemagne à changer encore d’attitude. Cette fois, il réussit. Il allia le recours à la force à la pratique de larges concessions et parvint en effet à pacifier définitivement le pays au terme d’une nouvelle décennie de guerres. En quatre ans, les territoires saxons situés au sud de l’estuaire de la Weser furent pacifiés par le roi et par son fils Charles, qui durent même y hiverner en 797-98 avant de procéder, entre 798 et 804, à la déportation systématique des populations irréductibles de la Wimodie (entre les estuaires de la Weser et de l’Elbe) et de la Nordalbingie (entre les estuaires de l’Elbe et de la Trave), au profit de colons francs dans le premier cas et de colons slaves, les Obodrites, dans le second. Mais, dans les territoires saxons plus méridionaux, Charlemagne avait, entre-temps, substitué un régime d’entente au régime d’exception constitué par la capitulatio de 785. Inauguré en fait dès cette date par la rédaction de la lex Saxonum, qui visait à conserver aux Saxons le bénéfice des dispositions essentielles de leur droit national en les unifiant et en les accordant à la situation née de la conquête franque, ce régime d’entente fut défini par le capitulare Saxonicum, promulgué en octobre 797 par l’assemblée mixte d’Aix-la-Chapelle, à laquelle participaient non seulement des évêques et des comtes francs, mais aussi des représentants des trois peuples saxons déjà soumis : westphalien, angarien et ostphalien.

Remplaçant la peine de mort par l’amende royale de 60 sous (bannum) ou par des compensations particulières, le capitulare faisait entrer la Saxe dans le droit commun et rendait possibles sa pacification et sa conversion définitive à l’abri de la marche danoise de Nordalbingie, où les Obodrites furent renforcés à partir de 808 par des troupes franques.

Ainsi, par sa ténacité et par son aptitude à s’adapter avec souplesse aux conditions du moment, Charlemagne avait réussi à étendre son Empire jusqu’aux rives de l’Elbe, là où Auguste avait rêvé, mais en vain, de fixer les limites du sien.