Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

chanson (suite)

Ce renouvellement de la chanson bénéficie de nouveaux moyens de diffusion : le cinéma parlant (le Chanteur de jazz et le Fou chantant, d’Al Jolson, sont projetés à Paris en 1928), la radio et le disque. Ainsi, Jean Sablon (dont l’interprétation du Pont d’Avignon en jazz est restée un modèle) est le premier chanteur français à utiliser toutes les ressources d’un nouvel « instrument », le micro.

Charles Trenet

Né à Narbonne en 1913, Trenet est d’abord décorateur aux studios de Joinville. Il monte un numéro de duettistes avec Johnny Hess (1933-1936), puis criante seul à partir de 1937.

Sur les instances de l’éditeur Raoul Breton, Maurice Chevalier (1888-1972), dont la popularité est alors considérable, accepte de créer Y’ a d’ la joie et rend ainsi célèbre le jeune auteur-compositeur, qu’il présente au public du Casino de Paris. Trenet obtient un prix du Disque avec Boum (1938) et s’impose définitivement avec Je chante, la Route enchantée, Fleur bleue.

Son exubérance d’interprète le fait surnommer « le Fou chantant ». Mais sa fougue séduit la jeunesse. Les thèmes de ses chansons correspondent aux aspirations des travailleurs qui viennent de découvrir la nature grâce aux conquêtes sociales du Front populaire. Ses œuvres réunissent la poésie et la cocasserie, la nostalgie et la loufoquerie en des images parfois insolites, comme si cet ami de Max Jacob avait popularisé le surréalisme (la Folle Complainte, Une noix). Ch. Trenet a poursuivi sa carrière bien après la Seconde Guerre mondiale, la plupart de ses chansons devenant de grands succès internationaux, comme la Mer, l’Ame des poètes, Coin de rue, etc.


« Amour-Toujours », mélodrame et réalisme

Mais la radio des années 30 diffuse aussi avec succès un répertoire plus conventionnel : Berthe Sylva, qui interprète des chansons mélodramatiques (les Roses blanches), reçoit 16 000 lettres d’auditeurs après une émission à Radio-Toulouse. Les chansons d’amour restent les plus nombreuses, et elles sont loin d’avoir toutes la légèreté de la Fleur bleue de Trenet.

Dans la tradition d’Aristide Bruant, un genre est particulièrement fourni, la chanson réaliste, qui présente tout un peuple de filles perdues, de marins nostalgiques, de mauvais garçons et de rôdeurs traînant dans les ports, les quartiers tristes et les petits bals louches. De grandes interprètes comme Fréhel (elle chante depuis le début du siècle, mais elle adopte le style réaliste dans une seconde carrière vers 1923) et comme Damia (surnommée « la Tragédienne de la chanson ») ont assuré le passage de ce style du caf’conc’ au music-hall. De son côté, Yvonne George, prématurément disparue en 1930, a imposé des chansons de matelots, tandis que Marie Dubas alternait fantaisie, poésie et réalisme et que Lys Gauty s’essayait à un réalisme vivifié par l’expressionnisme allemand de B. Brecht et K. Weill (l’Opéra de quat’ sous) avant de sacrifier à la rengaine (le Bistrot du port). Mais c’est Édith Piaf qui devait surtout illustrer la chanson réaliste.

La radio convient à une nouvelle génération d’interprètes qui, à la suite de Jean Sablon, vont apprendre à se servir du micro comme d’un instrument. Le temps des chanteurs à voix est fini ; commence celui des chanteurs de charme. L’œil langoureux, la main câline, le cheveu luisant, ils chantent l’amour d’une voix suave ; l’engouement du public féminin est prodigieux, décuplé par le cinéma et par la presse du cœur.

Ainsi, la carrière de Tino Rossi (né en 1907) commence à l’Alcazar de Marseille en 1927 et passe par le Casino de Paris en 1931. Les étapes en sont marquées par des chansons le plus souvent signées de Vincent Scotto : O Corse, île d’amour, Marinella, Tchi-tchi, etc.

Avec Tino Rossi, il faut citer Jean Lumière, Guy Berry, Reda Caire, André Pasdoc, qui seront suivis plus tard, jusqu’après la guerre, par André Claveau, puis par Georges Guétary et Luis Mariano (davantage chanteurs d’opérettes). Parmi les interprètes féminines s’imposent Lucienne Boyer, avec Parlez-moi d’amour (1930), puis Éliane Célis, Lina Margy, Marie-José, etc.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, alors que la France, insouciante, fredonne toujours Tout va très bien Madame la Marquise (André Hornez-Paul Misraki) en attendant de reprendre en chœur au début des hostilités Nous irons pendre notre linge sur la ligne Siegfried, la chanson présente un panorama vaste et varié de genres très divers, où l’humour a aussi sa place dans un style hérité du caf’conc’ avec Georgius (« l’amuseur public numéro un »), Félix Paquet, Marcelle Bordas, etc., tandis que de prestigieuses vedettes de music-hall continuent avec succès une carrière internationale : Mistinguett et Maurice Chevalier (v. music-hall).

Édith Piaf

Édith Gassion, dite Édith Piaf (Paris, 1915 - id. 1963), naquit dans la rue, à Belleville. C’est dans la rue qu’elle chantait lorsqu’elle fut embauchée par un directeur de cabaret, Louis Leplée, en 1935. Il la baptisa « la Môme Piaf ». Elle connut un succès rapide avec le Fanion de la Légion, C’est lui que mon cœur a choisi, Y’ a pas d’ printemps, etc. Ce succès ne devait plus se démentir. Presque jusqu’à son dernier jour elle chanta sur scène l’amour merveilleux et trompeur, la fatalité, la misère et l’espérance d’une voix mystérieuse et prenante, que Jean Cocteau comparait à « une haute vague de velours noir ». Elle écrivit quelques-unes de ses chansons, mais fit surtout appel à Raymond Asso, Henri Contet, Michel Emer, Marguerite Monnot, Louiguy, etc. Elle a marqué la chanson d’une personnalité devenue légendaire : le public ne distinguait plus sa vie réelle des histoires qu’elle interprétait.

Le jazz et la chanson

L’influence du jazz sur la chanson française est constante depuis les années 30. Elle s’est faite en trois étapes principales.

Les premières chansons de Jean Tranchant (1933) empruntent au jazz son tempo marqué, ses syncopes, son orchestration (grâce à Django Reinhardt et Stéphane Grappelli) sans renier la tradition française. C’est la même alliance que réussissent Mireille et Jean Nohain, puis Charles Trenet, qui prend au jazz l’exubérance, la virtuosité, le sens du rythme. Mais cette première époque, tragiquement conclue par la guerre de 1939, n’aurait connu qu’un « faux jazz », estime Boris Vian vingt-cinq ans plus tard.