Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique romaine (suite)

La culture de l’Afrique païenne

La culture punique d’époque romaine nous est connue seulement par quelques inscriptions, dont les plus récentes ne descendent pas plus bas que le début du iie s. apr. J.-C., et par des monuments (statues en terre cuite et stèles) qui attestent une décadence rapide de l’art carthaginois (v. Carthage), lui-même d’ailleurs fort pauvre. Les Numides ont créé une écriture originale (dont le tifinagh des Touaregs modernes dérive) et un art représenté surtout par les stèles religieuses de Tunisie centrale. Mais la romanisation étouffe ces cultures au cours du iie s. apr. J.-C.

C’est à cette époque que vit le grand écrivain païen d’Afrique et fidèle d’Isis, Apulée ; philosophe mondain assez peu scrupuleux, accusé de magie pour avoir séduit une femme riche beaucoup plus âgée que lui, il arrive à une haute situation vers 160-170. Son roman, les Métamorphoses (ou l’Ane d’or), et son plaidoyer lors du procès de magie tracent une image vivante de la société impériale.

En art, les Romano-Africains ont surtout manifesté leur tempérament propre dans l’architecture et dans la mosaïque. Une œuvre édilitaire gigantesque fut accomplie entre la fin du ier s. apr. J.-C. et le milieu du iiie. Elle a en grande partie subsisté dans les villes de l’intérieur, désertées à partir du xie s. L’exploration de celles-ci n’est encore que très partielle : un dixième à peine des sites reconnus ont été jusqu’ici plus ou moins complètement dégagés. Au point de vue de l’urbanisme, on distingue deux formules, entre lesquelles existent d’ailleurs des intermédiaires : la colonie romaine au tracé géométrique, dont le centre de Timgad offre l’exemple le plus parfait ; la civitas indigène, dont les rues épousent capricieusement les courbes du terrain, mais qui insèrent dans leur lacis des « blocs » régis par les principes de l’urbanisme classique (Thugga [Dougga] en est le meilleur exemple). La ruine la plus impressionnante d’Afrique est, sans aucun doute, la plus orientale : Leptis Magna, la ville de Septime Sévère, avec son forum et sa basilique gigantesques, offerts par l’empereur à ses concitoyens. Les sculptures de l’arc à quatre baies dédié au même Septime Sévère offrent un exemple traditionnel de la fusion d’un courant baroque venu d’Italie avec les tendances primitivistes que les artisans africains avaient héritées des Numides. Peu sensibles à la plastique, les Africains avaient la passion de la couleur. Si leurs peintures ont presque entièrement disparu, ils nous ont légué la plus riche collection de mosaïques de tout le monde antique. C’est seulement à la fin du ier s. apr. J.-C. que se manifeste une école originale, dont les premiers chefs-d’œuvre ont été découverts à Zliten, en Tripolitaine ; dans la première moitié du iie s., les principaux ateliers sont installés en Byzacène (Tunisie orientale) et à Carthage. Les modèles viennent d’Italie, mais, dès le début, les mosaïstes africains manifestent pour le décor figuré et coloré un attrait qui distingue à première vue leurs productions. Très vite aussi, ils s’affranchissent des principes de composition illusionnistes que les écoles hellénistiques avaient empruntés à la peinture. Au iiie s., la production s’étend à tout le pays : de grands tableaux figurés, inspirés soit par la vie quotidienne (scènes de chasse), soit par la religion locale (triomphe de Bacchus et de Vénus), sont associés à des compositions ornementales lourdes et richement colorées, à l’apparence de tapis.

G. Ch. P.


Archéologie de l’Afrique chrétienne

Les luttes auxquelles a donné lieu pendant plus d’un siècle le schisme donatiste expliquent bien des caractères des monuments chrétiens en Afrique. Ceux-ci ont été détruits et reconstruits ; ils ont changé de mains et, de ce fait, ont été transformés, sans doute pour obéir aux obligations d’une liturgie différente. L’imprécision des textes, le mauvais état de conservation de monuments souvent modestes et mal construits n’ont pas encore permis de retracer avec quelque précision l’histoire de ces remaniements. Si la plus grande des basiliques de Timgad est certainement la cathédrale donatiste, on ne peut assurer que la grande église découverte à Hippone (Bône, auj. Annaba) soit celle de saint Augustin.

Le procès-verbal de la perquisition du gouverneur dans la maison des chrétiens de Cirta, au cours de la persécution de 303, nous montre l’église encore installée dans un édifice semblable à une habitation privée. Mais, dès 324, l’église de Castellum Tingitanum (Orléansville, auj. El-Asnam) est une basilique* à cinq nefs, avec une abside orientée. Et, dès lors, comme dans le reste du monde romain, la forme basilicale sera de règle, avec, en général, trois nefs seulement.

Les églises sont très nombreuses mais, le plus souvent, construites en moellons, elles ont laissé peu de traces. Dans l’est, en Tunisie surtout, on en trouve qui sont construites en pierre de taille et qui, de ce fait, sont mieux connues.

La forme basilicale, avec ses variantes, sert à plusieurs fins. On peut prendre pour exemple Tipasa, en Mauritanie Césarienne, où l’on trouve, dans l’angle nord-ouest de l’enceinte de la ville, une grande basilique qui avait primitivement sept nefs, puis neuf après un incendie ; celle-ci s’était installée empiriquement dans tout l’espace compris entre la muraille et une carrière, où fut construite en contrebas une abside monumentale. Au-delà de l’enceinte, une basilique irrégulière est proche d’une area, un cimetière en plein air où des martyrs reposaient dans des sarcophages placés sous des mensae, tables semi-circulaires destinées aux repas funéraires. L’église a reçu, après translation, les sarcophages des onze premiers évêques, qui forment une estrade remplaçant l’abside. À l’est de la ville, dans un autre cimetière, se trouvait le sanctuaire basilical construit sur la tombe de la petite martyre Salsa.

Le culte des martyrs joue en effet un grand rôle dans la pensée et dans le rituel. Outre les victimes des persécutions impériales de naguère, les donatistes ont considéré comme martyrs tous ceux d’entre eux qui avaient péri dans leur révolte. Il en résulte de nombreux sanctuaires de martyrs et, dans les églises, de nombreux monuments élevés à leur mémoire, recouvrant souvent leurs reliques. On constate de ce fait une grande variété dans la composition des plans, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des églises. À l’extérieur, on trouve des martyriums (v. saint), tantôt isolés au voisinage de l’église, comme à Iunca, tantôt collés contre elle, comme le grand triconque de Tébessa. Et bien des églises doubles doivent être expliquées par une distinction entre le lieu du culte eucharistique et le lieu du culte des martyrs.