Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Afrique romaine (suite)

À l’intérieur des provinces, la cellule politique essentielle est la cité. Les cités africaines sont extrêmement nombreuses (plus de 200 pour la seule Proconsulaire) et, par conséquent, fort petites (en moyenne 500 km2) ; les unes sont de droit romain (les colonies, dont tous les citoyens sont en même temps citoyens romains ; les municipes, où seule l’aristocratie municipale jouit de ce privilège), les autres de droit punique ou libyque (on les appelle civitates). Un mouvement continu tend, à partir de la fin du ier s. apr. J.-C., à transformer les civitates en municipes et en colonies. Quel que soit leur statut, ces villes sont administrées de manière assez analogue : deux magistrats (duovirs dans les colonies, sufètes dans les villes de tradition punique), élus en principe par l’assemblée populaire pour un an, exercent le pouvoir politique et judiciaire ; ils sont assistés de questeurs pour les finances et d’édiles pour l’administration municipale. Magistrats et anciens magistrats forment un conseil (ordo), qui détient en fait l’autorité essentielle. Les sacerdoces désignés par les termes romains de flaminat et de pontificat sont très recherchés ; il en existe pour les femmes. Le titulaire de toute charge doit verser une somme déterminée (summa honoraria), variant avec l’importance de sa charge et de la ville. Il y ajoute souvent des libéralités supplémentaires.

La majorité de la population semble satisfaite ou résignée — il n’y a d’ailleurs ni police ni gendarmerie, et l’armée campe sur les frontières —, et une agitation se manifeste seulement quand l’Empire tout entier est ébranlé. D’ailleurs, au cours du iie s., un nombre sans cesse croissant d’Africains parviennent aux plus hautes charges de l’Empire ; ils occupent 15 p. 100 des sièges de sénateurs dans la curie de Rome et une proportion égale de charges de hauts fonctionnaires appartenant à l’ordre équestre. Aucune autre région, à part l’Italie, n’est plus favorisée. Après la chute de Commode, deux Africains qui ont derrière eux une brillante carrière administrative et politique, Septime Sévère, de Leptis Magna en Tripolitaine, et Clodius Albinus d’Hadrumète (Sousse), se disputent l’Empire ; le premier l’emporte, et sa famille régnera de 193 à 235. Sévère n’oubliera pas ses compatriotes ; Leptis lui doit des monuments somptueux, que le sable a miraculeusement préservés jusqu’à nos jours. Mais la plupart des villes africaines sont aussi à l’apogée de leur prospérité. La chute de la dynastie entraînera la première révolution sérieuse qui ait eu l’Afrique pour foyer. En 238, les grands propriétaires de Thysdrus se révoltent contre la politique fiscale de Maximin, un empereur soldat d’origine très simple, dur aux privilégiés. Les insurgés entraînent derrière eux toute la Proconsulaire, puis, par solidarité sociale, l’Italie. La IIIe Augusta a beau réprimer sévèrement le mouvement en Afrique même — ce qui lui vaudra bientôt d’être dissoute —, il triomphera à Rome. Trois quarts de siècle plus tard, les troubles engendrés par le mauvais fonctionnement du système tétrarchique seront funestes à l’Afrique ; un haut fonctionnaire, le vicaire L. Domitius Alexander, croit pouvoir prendre rang dans la compétition pour le trône qui suit l’abdication de Dioclétien ; son rival le plus immédiat, Maxence, ministre de Rome, aura le temps, avant d’être lui-même abattu par Constantin, d’envoyer une armée qui ravagera le pays (311). Carthage sera ruinée, ainsi que Cirta, qui, reconstruite par Constantin, lui devra son nom de Constantine.

Au ive s., les troubles politiques sont indissolublement liés aux querelles religieuses.


Situation démographique, économique et sociale

À son apogée, l’Afrique romaine est un pays très peuplé ; d’après le chiffre de la population de Siagu, cité moyenne du cap Bon, chiffre qui nous est révélé par une inscription, on peut, vers l’an 200, évaluer le nombre des habitants de la Proconsulaire à 3 ou 4 millions, avec des densités de 75 à 100 habitants au kilomètre carré.

Cette population vit presque exclusivement de l’agriculture. Un travail séculaire, auquel ont participé tour à tour les divers occupants du pays, a permis de corriger l’irrégularité des précipitations et de tirer parti de la remarquable fertilité du sol. Mais l’orientation de la production a varié. Les Carthaginois avaient développé scientifiquement une agriculture spéculative, qui produisait des denrées chères pour l’exportation (vin, huile) et était complétée par l’élevage. Les rois numides et surtout les Romains, sous la République et au premier siècle de l’Empire, exigent des paysans une production presque exclusivement céréalière ; les profits sont monopolisés par les grands propriétaires appartenant à l’aristocratie sénatoriale, puis par l’empereur, qui s’empare de leurs domaines et en affecte le produit avant tout au ravitaillement de Rome, que l’Afrique nourrit huit mois par an à partir de Néron. Les Flaviens (70-96) et surtout les Antonins et les Sévères adoptent une politique entièrement différente ; le paysan est autorisé et même encouragé à produire de nouveau l’huile et le vin à côté du blé. Les tenanciers des domaines impériaux bénéficient de règlements favorables (lex Maneiana, lex Hadriana) ; ceux-ci les incitent à défricher et les mettent à l’abri de l’arbitraire des « fermiers généraux », qui louent les domaines à l’empereur et les sous-louent aux exploitants. Grâce au niveau très élevé des prix agricoles, comparativement à l’époque moderne (le blé valait de sept à quatorze fois plus cher qu’aujourd’hui), les cultivateurs, surtout les petits et moyens propriétaires, qui forment la masse de la population des cités, réalisent des bénéfices substantiels, et beaucoup d’entre eux peuvent s’élever dans la hiérarchie sociale. Une inscription de Mactar (Tunisie centrale) prouve qu’au début du iiie s. encore un ouvrier agricole pouvait économiser sur ses gages de quoi devenir propriétaire et se faire admettre dans l’aristocratie municipale.