Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

catholicisme libéral (suite)

Tandis que ceux-ci s’efforcent de libéraliser l’aspect ultra de la Restauration, Félicité Robert de La Mennais (1782-1854) abandonne celui-ci et réclame pour l’Église, dans un État libre, la liberté complète. Ses idées, il les exprime particulièrement dans son Essai sur l’indifférence en matière de religion (1817-1823) et dans ses traités De la religion considérée dans ses rapports avec l’ordre politique et social (1825) et Des progrès de la Révolution et de la guerre contre l’Église (1829). Il groupe autour de lui des jeunes disciples enthousiastes : Philippe Olympe Gerbet (1798-1864), dom Prosper Guéranger (1805-1875), Charles de Coux (1787-1864), Lacordaire*, Montalembert*... En août 1830, il lance le journal l’Avenir, qui mène le combat en faveur de toutes les formes de la liberté, y compris celle des peuples opprimés, et dont l’action est doublée par un vaste mouvement d’action civique : l’Agence générale pour la défense de la liberté religieuse.

Mais le groupe de l’Avenir voit se développer contre lui une défiance qui atteint aussi bien le gouvernement de Louis-Philippe que l’épiscopat français et belge (notamment Mgr David d’Astros [1772-1851], archevêque de Toulouse), et aussi le pape. Les « pèlerins de Dieu et de la Liberté » — La Mennais, Lacordaire, Montalembert —, forts de leur bonne foi, n’obtiennent de Grégoire XVI qu’un accueil réservé (13 mars 1832), que suit, dès le 15 août, l’encyclique Mirari vos : celle-ci, en condamnant implicitement plusieurs positions des mennaisiens, marque, dans l’histoire du catholicisme libéral, le premier coup d’arrêt.

L’Avenir et l’Agence générale pour la défense de la liberté religieuse disparaissent. Si les rédacteurs de l’Avenir se soumettent à l’autorité pontificale, La Mennais, de qui on exige une rétractation positive, se regimbe et quitte bientôt l’Église, entraînant avec lui, dans sa conviction de l’impossibilité de converser avec Rome, toute une partie de l’élite intellectuelle (Hugo, Sainte-Beuve).

Alors, aux mystiques succèdent les politiques. Les disciples de La Mennais restés fidèles à l’Église se mettent au service des causes concrètes, et notamment de la liberté de l’enseignement : la loi Guizot (28 juin 1833), établissant la liberté de l’enseignement primaire, et la loi Falloux (mars 1850), créant l’enseignement secondaire libre, sont leur œuvre. Par ailleurs, ils réclament, à l’encontre des articles organiques, la liberté des ordres religieux : et tandis que dom Guéranger fonde, à Solesmes, la congrégation bénédictine de France (1833-1837), Lacordaire se fait dominicain (1838) et réintroduit son ordre en France.

Cependant, la révolution de 1848 est accueillie d’une manière très diverse par les catholiques libéraux. D’un Frédéric Ozanam (1813-1853) enthousiaste à un Montalembert désespéré, les nuances sont nombreuses : Lacordaire siège à gauche de l’assemblée constituante, mais il la quitte très vite, par inquiétude ; Frédéric de Falloux (1811-1886), lui, tire parti des circonstances en faveur de l’enseignement catholique.

Les événements de juin 1848 jettent une partie des catholiques libéraux — Mgr Félix Dupanloup (1802-1878), Falloux, Montalembert — vers le conservatisme social et politique, tandis que d’autres — Ozanam, Henri Maret (1805-1884) —, avec l’Ère nouvelle, mènent un combat d’arrière-garde, bientôt arrêté (1850). Montalembert, par peur du socialisme, se rallie à l’Empire, tout comme Louis Veuillot — chef des catholiques « intégraux » et intransigeants —, mais bientôt il se sépare de ce dernier, car la démocratie césarienne, c’est-à-dire la démocratie sans les libertés, est le régime le plus opposé qui soit à sa pensée.

En 1855, la vieille revue du catholicisme libéral, le Correspondant, est renouvelée par un « comité des cinq » formé de Charles Lenormant puis Théophile Foisset, Falloux, Augustin Cochin, Montalembert et Albert de Broglie. Le patronage de Mgr Dupanloup et du P. Lacordaire leur est acquis ; le salon de Mme Swetchine est le foyer de ce nouveau catholicisme libéral qui prend le contre-pied de la politique dont Louis Veuillot se fait le champion dans le journal l’Univers : le terrible polémiste prendra presque quotidiennement à partie, et en termes souvent inexcusables, l’équipe du Correspondant.

En politique, les catholiques libéraux du second Empire tournent leurs espoirs vers le modèle anglais (Montalembert) ou américain (Lacordaire) ; sur le plan social, grâce surtout à Augustin Cochin (1823-1872), ils préconisent le système d’« économie charitable » dont Armand de Melun (1807-1877) s’est fait le pionnier ; sur le plan religieux, ils sont les tenants passionnés et courageux du droit pontifical à la souveraineté temporelle, droit que la politique ambiguë de Napoléon III en Italie semble menacer.

« L’Église libre dans l’État libre », c’est encore ce que défendent avec éloquence les catholiques libéraux — et notamment Montalembert — au cours du premier Congrès international catholique, organisé à Malines en août 1863. Mais l’enthousiasme déchaîné par les discours de Malines ne peut tout à fait couvrir les rumeurs défavorables qui viennent de Rome et dont l’habile Dupanloup essaie de diminuer la portée.

Cependant rien ne peut empêcher que l’encyclique Quanta cura (8 déc. 1864) et le Syllabus qui lui est annexé ne soient considérés comme un désaveu de Pie IX à l’égard du catholicisme libéral et un deuxième coup d’arrêt dans sa marche en avant. D’ailleurs, sa position est précaire, car l’idée de libéralisme apparaît alors liée à la notion d’anticléricalisme. Et puis le concile de Vatican I (1870), en mettant l’accent sur l’infaillibilité pontificale, divise profondément les catholiques tout en les rendant suspects aux libéraux républicains. Et c’est dans les affres d’une demi-disgrâce que meurt le chef du deuxième catholicisme libéral, Montalembert (mars 1870).

La Commune de 1871 fait éclater l’urgence de la question sociale. Les catholiques d’action, désormais, vont se dire plus « sociaux » que « libéraux ». Mais les nouveaux chefs du catholicisme social — Albert de Mun, René de La Tour du Pin —, partisans de la « contre-révolution », entendent rompre avec le libéralisme en religion, en économie comme en politique. Sur le plan politique, les catholiques libéraux subissent en effet des défaites, gênés qu’ils sont par leur aristocratisme (Albert de Broglie, Falloux) et par leur ralliement massif à la monarchie modérée. Leur ultime victoire, qui est surtout celle de Dupanloup, est le vote par l’Assemblée nationale, en juillet 1875, de la loi créant un enseignement supérieur libre.