cathédrale (suite)
Quels étaient ces constructeurs, au nom parfois inscrit dans un symbolique labyrinthe ? Tout porte à penser qu’il s’agit de ces praticiens itinérants dont le compagnonnage forme la descendance. Aux chantiers si nombreux et si vastes répond un type d’homme nouveau, apte à traduire les aspirations de la cité, et dont l’audace n’aura d’autres bornes que celles de la matière elle-même (la portée des nefs ne saurait excéder la longueur des entraits de charpente). Chaque cathédrale forme un ensemble équilibré qui mérite une étude particulière, indépendante de celle des influences, étrangères souvent au programme épiscopal. Retenons que l’édifice abrite la communauté comme dans une châsse translucide, ornée et peinte aussi bien en façade qu’à l’intérieur (la blancheur des cathédrales n’est qu’une vision académique).
À la fin du xiiie s., l’activité des grands chantiers languit, tel celui d’Auxerre, à peine achevé à la veille de la crise protestante. Puis c’est la grande vague iconoclaste du xvie s., la mutilation de tant d’églises, à défaut d’une destruction totale comme ce fut le cas à Orléans. Sainte-Croix, il est vrai, sera reconstruite dans son style d’origine, car les Orléanais veulent retrouver la pierre angulaire de leur cité ; partout ailleurs les chanoines jugent leur cathédrale désuète : ils détruisent les jubés, remplacent les autels, mutilent les tympans.
La crise révolutionnaire ne porte guère atteinte aux cathédrales ; en apparence du moins, car la modification des structures diocésaines sera, à long terme, déterminante, et les édifices, désormais aux mains du ministère des Cultes, vont bientôt être restaurés par les architectes des Monuments historiques. N’étant plus, selon l’expression de Viollet-le-Duc*, que des « tombeaux vides », les cathédrales vont perdre, isolées derrière des grilles ou au milieu d’une plaine de pavés, toute liaison avec leur environnement. L’édifice lui-même n’échappe pas à des tentatives dérisoires pour l’adapter aux goûts du jour ; c’est la prétention, d’abord, de supprimer au nom de l’« unité de style » tout ce qui n’est pas d’origine et, plus tard, d’inclure des éléments étrangers à son esprit comme à sa structure. Dans un cas comme dans l’autre, l’édifice ancien risque de perdre toute authenticité, sans pour autant répondre aux nouveaux problèmes ecclésiastiques comme pourraient seules le faire des cathédrales modernes.
Sans doute l’exemple des réalisations concordataires n’est-il guère encourageant, depuis la « Major » de Marseille (1852, Léon Vaudoyer) jusqu’aux pastiches ottomans d’Alger (1851, Honoré Féraud) ou d’Oran (1903, Albert Ballu, avec Auguste Perret pour entrepreneur). Mais les réalisations récentes sont plus significatives ; elles marquent une volonté d’expression structurale qui entend rivaliser avec celle du Moyen Âge. À cette fin, leurs auteurs utilisent tantôt des surfaces gauches, de révolution comme à Alger (1958, Paul Herbé et Le Couteur) ou à génératrice rectiligne comme à Tōkyō (1965, Tange Kenzō), tantôt des éléments en couronne (Liverpool, 1959, par Frederick Gibberd ; Brasilia, 1959, par Oscar Niemeyer) ; mais, à l’opposé des gothiques, ils donnent leur préférence à l’éclairage zénithal, qui crée un espace clos, caverneux. L’attente sereine de la parousie, exprimée par la châsse médiévale, fait place à l’inquiétude d’un monde inférieur, dramatiquement tendu vers le ciel.
H. P.
➙ Gothique (art) / Liturgie.
E. S. Prior, The Cathedral Builders in England (Londres, 1905). / J. Hubert, l’Art préroman (Éd. d’art et d’histoire, 1938). / J. Bony, Cathédrales gothiques en France (Braun, 1951). / P. Du Colombier, les Chantiers des cathédrales (Picard, 1953). / A. G. Martimort, l’Église en prière (Desclée et Cie, 1961). / Y. Christ, les Cathédrales de France (Éd. des Deux-Mondes, 1963). / W. Swaan, Gothic Cathedral (New York, 1967 ; trad. fr. la Cathédrale gothique, Nathan, 1970). / M. Florisoone, Dictionnaire des cathédrales de France (Larousse, 1971). / C. Jack et F. Brunnier, le Message des bâtisseurs de cathédrales (Plon, 1974).