Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cathédrale (suite)

Quels étaient ces constructeurs, au nom parfois inscrit dans un symbolique labyrinthe ? Tout porte à penser qu’il s’agit de ces praticiens itinérants dont le compagnonnage forme la descendance. Aux chantiers si nombreux et si vastes répond un type d’homme nouveau, apte à traduire les aspirations de la cité, et dont l’audace n’aura d’autres bornes que celles de la matière elle-même (la portée des nefs ne saurait excéder la longueur des entraits de charpente). Chaque cathédrale forme un ensemble équilibré qui mérite une étude particulière, indépendante de celle des influences, étrangères souvent au programme épiscopal. Retenons que l’édifice abrite la communauté comme dans une châsse translucide, ornée et peinte aussi bien en façade qu’à l’intérieur (la blancheur des cathédrales n’est qu’une vision académique).

À la fin du xiiie s., l’activité des grands chantiers languit, tel celui d’Auxerre, à peine achevé à la veille de la crise protestante. Puis c’est la grande vague iconoclaste du xvie s., la mutilation de tant d’églises, à défaut d’une destruction totale comme ce fut le cas à Orléans. Sainte-Croix, il est vrai, sera reconstruite dans son style d’origine, car les Orléanais veulent retrouver la pierre angulaire de leur cité ; partout ailleurs les chanoines jugent leur cathédrale désuète : ils détruisent les jubés, remplacent les autels, mutilent les tympans.

La crise révolutionnaire ne porte guère atteinte aux cathédrales ; en apparence du moins, car la modification des structures diocésaines sera, à long terme, déterminante, et les édifices, désormais aux mains du ministère des Cultes, vont bientôt être restaurés par les architectes des Monuments historiques. N’étant plus, selon l’expression de Viollet-le-Duc*, que des « tombeaux vides », les cathédrales vont perdre, isolées derrière des grilles ou au milieu d’une plaine de pavés, toute liaison avec leur environnement. L’édifice lui-même n’échappe pas à des tentatives dérisoires pour l’adapter aux goûts du jour ; c’est la prétention, d’abord, de supprimer au nom de l’« unité de style » tout ce qui n’est pas d’origine et, plus tard, d’inclure des éléments étrangers à son esprit comme à sa structure. Dans un cas comme dans l’autre, l’édifice ancien risque de perdre toute authenticité, sans pour autant répondre aux nouveaux problèmes ecclésiastiques comme pourraient seules le faire des cathédrales modernes.

Sans doute l’exemple des réalisations concordataires n’est-il guère encourageant, depuis la « Major » de Marseille (1852, Léon Vaudoyer) jusqu’aux pastiches ottomans d’Alger (1851, Honoré Féraud) ou d’Oran (1903, Albert Ballu, avec Auguste Perret pour entrepreneur). Mais les réalisations récentes sont plus significatives ; elles marquent une volonté d’expression structurale qui entend rivaliser avec celle du Moyen Âge. À cette fin, leurs auteurs utilisent tantôt des surfaces gauches, de révolution comme à Alger (1958, Paul Herbé et Le Couteur) ou à génératrice rectiligne comme à Tōkyō (1965, Tange Kenzō), tantôt des éléments en couronne (Liverpool, 1959, par Frederick Gibberd ; Brasilia, 1959, par Oscar Niemeyer) ; mais, à l’opposé des gothiques, ils donnent leur préférence à l’éclairage zénithal, qui crée un espace clos, caverneux. L’attente sereine de la parousie, exprimée par la châsse médiévale, fait place à l’inquiétude d’un monde inférieur, dramatiquement tendu vers le ciel.

H. P.

➙ Gothique (art) / Liturgie.

 E. S. Prior, The Cathedral Builders in England (Londres, 1905). / J. Hubert, l’Art préroman (Éd. d’art et d’histoire, 1938). / J. Bony, Cathédrales gothiques en France (Braun, 1951). / P. Du Colombier, les Chantiers des cathédrales (Picard, 1953). / A. G. Martimort, l’Église en prière (Desclée et Cie, 1961). / Y. Christ, les Cathédrales de France (Éd. des Deux-Mondes, 1963). / W. Swaan, Gothic Cathedral (New York, 1967 ; trad. fr. la Cathédrale gothique, Nathan, 1970). / M. Florisoone, Dictionnaire des cathédrales de France (Larousse, 1971). / C. Jack et F. Brunnier, le Message des bâtisseurs de cathédrales (Plon, 1974).

Catherine II

(Stettin 1729 - Saint-Pétersbourg 1796), impératrice de Russie (1762-1796).



L’accession au trône

Le 28 juin 1762, une révolution de palais détrônait Pierre III presque sans coup férir, tant ce tsar s’était rendu odieux en obligeant son armée victorieuse à faire volte-face pour sauver Frédéric II aux abois et en humiliant ses sujets par son mépris affiché pour les traditions du peuple russe. Les observateurs contemporains réduisirent l’événement aux proportions d’un mélodrame où le romanesque côtoyait le tragique : la tête du complot était la propre femme de l’empereur, Catherine, prenant les devants pour éviter la répudiation, utilisant son amant Grigori Orlov pour soulever la garde impériale et laissant assassiner son époux après l’abdication sans sévir contre les coupables. C’était méconnaître la personnalité de la nouvelle souveraine : si l’ambition l’avait poussée à usurper la couronne au détriment de son fils, l’habileté dont elle avait fait preuve en détournant au profit d’une étrangère une réaction nationaliste démontrait qu’elle en était digne.

Il lui avait fallu, en effet, une grande force de caractère pour se faire tolérer de la cour de Saint-Pétersbourg : fille d’un obscur principicule allemand, le duc d’Anhalt-Zerbst, soupçonné d’intelligences avec l’ennemi pendant la guerre de Sept Ans, elle s’était appliquée à apprendre le russe et à pratiquer scrupuleusement les rites de l’orthodoxie, que son mari affectait de tourner en dérision. Cette volonté délibérée de s’enraciner n’excluait pas, bien au contraire, la fidélité au cosmopolitisme intellectuel du temps, puisque la noblesse russe commençait à se piquer de parler français : tenue à l’écart des affaires politiques, la jeune princesse avait consacré ses loisirs forcés à la lecture et elle maniait aisément le langage des philosophes parisiens, à défaut d’en approfondir la pensée.