Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

cathares (suite)

Le dualisme absolu

Très vite, une seconde vague atteignit, vers 1175, l’Italie du Nord et le Languedoc. En effet, en Thrace et à Constantinople, le bogomilisme prit une forme différente dans l’Église de Dragovitsa : on y croyait à la pleine égalité entre le principe du Bien, créateur du monde invisible, et le principe du Mal, créateur du monde matériel ; le Bien et le Mal constituaient deux domaines distincts, engagés dans une lutte sans fin ; la création de l’homme s’expliquait par l’action du dieu mauvais. Seul le consolamentum permettait à l’âme d’échapper à l’emprise de la matière et aux épreuves de la métempsycose.

En 1174, l’évêque cathare de Constantinople, Nicétas (ou Niquinta), se rendit en Bulgarie et persuada l’évêque Marc d’abandonner l’ordre de Bulgarie au profit de celui de Dragovitsa. Mais Marc ne tarda pas à avoir des doutes, et il se tourna de nouveau vers l’Église de Bulgarie, à laquelle, après sa mort, son ami et successeur Jean le Juif resta fidèle. Mais il ne fit pas l’unanimité autour de lui. En Languedoc, le dualisme absolu connut un très grand succès et s’imposa sans difficulté.


L’évolution

En Italie, le développement de l’hérésie fut favorisé par l’anarchie politique. Mais, très vite, des divisions profondes se manifestèrent. Les dualistes absolus refusèrent de reconnaître Jean le Juif, et, vers 1180, fondèrent les Églises de Toscane, avec Pierre de Florence, et de Desenzano (au sud du lac de Garde), avec Jean Bellus. Les cathares de Desenzano, ou albanenses, suivirent dans toute leur rigueur les croyances de l’ordre de Dragovitsa. Ils reconnaissaient la validité d’une partie de l’Ancien Testament (Job, Psautier, Prophètes). Parmi eux, vers 1230, Jean de Luglio et ses partisans acceptèrent tout l’Ancien Testament, écrit « dans un autre monde ». Dirigés par 500 parfaits au milieu du xiiie s., les albanenses étaient nombreux à Bergame, Crémone, Plaisance, Vérone.

Les dualistes modérés étaient restés groupés, sous la direction de Jean le Juif, dans l’Église de Concorezzo (au nord-est de Milan). Avec ses 1 500 ministres, elle était la plus importante ; ses membres étaient désignés sous le nom de garatenses ou de concorezzenses. Un de leurs évêques, Nazaire, se rendit en Bulgarie, vers 1190, et en ramena un apocryphe, le Secretum ou Interrogatio Johannis. D’autres dualistes mitigés se rattachèrent à l’Église de Bagnolo (près de Mantoue) : les bagnolenses étaient nombreux à Mantoue, à Brescia et à Sirmione ; on comptait dans leurs rangs 200 parfaits.

Dans le midi de la France, les querelles doctrinales ne semblent pas avoir tenu une grande place. Le catharisme se développa sans rencontrer de résistance sérieuse, aussi bien dans les villes, avec l’appui de la bourgeoisie, que dans les campagnes, avec l’aide de la noblesse. Il y eut quatre évêques, à Carcassonne, à Albi, à Toulouse, à Agen, chacun d’eux administrant un territoire défini. La croisade des albigeois (1209-1229), menée par Simon de Montfort au profit des Capétiens, désorganisa l’hérésie, mais ne la déracina pas. Les cathares reprirent leurs activités et firent de la citadelle de Montségur leur capitale jusqu’à sa chute, en 1244.

On a confondu sous le terme d’albigeois les cathares et les vaudois, qu’en réalité de violentes polémiques ont opposés les uns aux autres, car ils n’avaient rien de commun.

Dans la France du Nord, on constate l’existence d’un certain nombre de foyers dans un pays où la foule resta hostile aux novateurs. L’hérésie fut difficilement extirpée de La Charité-sur-Loire après 1233. Elle se manifesta en Champagne à Reims, Châlons-sur-Marne, Troyes, au Mont-Aimé. Plus au nord, on retrouve des cathares dans le diocèse de Soissons, puis à Arras, à Cambrai, à Douai, dans la région de Lille. Il existait un évêque de France (du Nord), mais nous ne savons rien sur lui. Dans les pays rhénans, la persistance de l’hérésie décida le pape Grégoire IX à confier la répression à l’inquisiteur Conrad de Marburg (1227). L’activité du catharisme semble avoir été très réduite par la suite.


Le déclin

Un tableau du monde cathare vers 1250 a été dressé par l’hérétique converti Rainier Sacconi († v. 1262). Il signale déjà la ruine de certaines Églises. En Champagne, 180 adeptes de l’hérésie périrent sur le bûcher du Mont-Aimé en 1239, et l’évêque de France, avant 1250, vivait en Lombardie. Dans le Midi, les Églises furent désorganisées par la prise de Montségur et la mort de plus de 200 parfaits et parfaites (1244). L’évêque de Toulouse trouva refuge à Crémone, Plaisance, Sirmione. L’hérésie se maintint à Toulouse, sur quelques points, parmi les artisans, vers 1270-1275 ; dans la région de Carcassonne, vers 1290 ; dans celle d’Albi, vers 1300 ; en dernier lieu, dans la vallée de l’Ariège, au début du xive s., avec le ministre Pierre Autier. En Lombardie, le catharisme conserva une forte organisation jusque vers la fin du xiiie s., mais les Églises y furent à leur tour démantelées. Ensuite, l’hérésie vécut obscurément ; quelques groupes subsistèrent jusqu’à la fin du xive s.

Au premier abord, on peut s’étonner des succès du catharisme. Mais les gens du Moyen Âge étaient naturellement dualistes dans l’expression de leur pensée, ils vivaient dans la hantise du diable. Il existait une conception pessimiste du monde qui s’exprimait dans le mépris, ou contemptus mundi. De plus, les parfaits étaient d’une extrême prudence, ils n’exposaient pas toute leur doctrine devant n’importe qui. Très étendue, l’influence du catharisme est restée souvent superficielle. Ainsi s’explique pour une part son déclin rapide. Sans doute, l’Inquisition a joué un rôle destructeur. Mais la riposte de l’Église s’est surtout développée avec la création des ordres mendiants. Les Prêcheurs et les Mineurs ont été les rivaux heureux des parfaits.

Y. D.

➙ Inquisition / Vaudois.

 C. Schmidt, Histoire et doctrine de la secte des Cathares ou Albigeois (Cherbuliez, Strasbourg, 1849 ; 2 vol.). / I. von Döllinger, Beiträge zur Sektengeschichte des Mittelalters (Munich, 1890 ; 2 vol.). / J. Guiraud, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, t. I (Picard, 1935). / A. Dondaine, Un traité néo-manichéen du xiiie siècle, le « Liber de duobus principiis », suivi d’un fragment de rituel cathare (Rome, 1939). / H. C. Puech et A. Vaillant, le Traité contre les bogomiles de Cosmos le Prêtre (Droz, 1947). / J. C. S. Runciman, The Medieval Manichee. A Study of the Christian Dualist Heresy (Cambridge, 1947, 2e éd., 1955 ; trad. fr. le Manichéisme médiéval, Payot, 1972). / A. Borst, Die Katharer (Stuttgart, 1953 ; trad. fr. les Cathares, Payot, 1974). / F. Niel, Albigeois et cathares (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1955 ; 9e éd., 1974). / C. Thouzellier, Un traité cathare inédit du début du xiiie siècle (Publications universitaires, Louvain, 1961) ; Catharisme et valdéisme en Languedoc à la fin du xiie et au début du xiiie siècle (P. U. F., 1966). / R. Manselli, L’Eresia del male (Naples, 1963). / H. Grundmann, Bibliographie zur Ketzergeschichte des Mittelalters, 1900-1966 (Rome, 1967). / Colloque de Fanjeaux, Cathares en Languedoc (Privat, Toulouse, 1968). / E. Griffe, les Débuts de l’aventure cathare en Languedoc, 1140-1190 (Letouzey et Ané, 1969). / R. Nelli, la Vie quotidienne des Cathares en Languedoc au xiiie siècle (Hachette, 1969) ; les Cathares (Grasset, 1972) ; la Philosophie du catharisme (Payot, 1975). / M. Roquebert, l’Epopée cathare (Privat, Toulouse, 1970). / E. Le Roy Ladurie, Montaillou, village occitan de 1294 à 1324 (Gallimard, 1975).