Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Casimir III le Grand (suite)

Il défend du moins avec succès un lien qui subsistera jusqu’au xixe s. : l’évêché de Wrocław demeure en effet dans l’obédience de Gniezno. Dans les procès qu’il intente à l’ordre Teutonique, Casimir fait témoigner ses sujets : leurs déclarations révèlent la force du sentiment national polonais d’alors. Par la paix « perpétuelle » de Kalisz (1343), l’ordre lui restitue la Kujawy contre la cession de la Poméranie orientale ; mais le roi rappelle en toute occasion qu’il demeure le « seigneur suzerain » de ces terres. L’hommage des ducs de Poméranie occidentale (1343), renforcé par des liens matrimoniaux, prend toute sa valeur lorsque Casimir III achève de refouler le Brandebourg des rives du Noteć et de la Warta (1368) : l’encerclement germanique ainsi rompu, le contact direct avec la Poméranie occidentale et Szczecin donne à la Pologne un accès à la Baltique.

Fort de la sympathie de cités comme Lvov (Lwów), lassées de l’anarchie des boyards et terrorisées par les Tatars, Casimir III prétexte des droits à la succession de la dynastie ruthène de Halicz pour conquérir la Russie rouge (ou Ruthénie) et la Volhynie (1341-1348), puis pour étendre sa suzeraineté à la Podolie. L’Église finance cette expansion catholique en terre orthodoxe.

Mais il faut disputer ces régions à la Lituanie (1349-1366) ; le roi de Hongrie, son neveu, prête main-forte à Casimir contre la promesse de lui succéder s’il meurt sans héritier mâle (1355).

Des historiens polonais ont reproché à Casimir le Grand d’avoir détourné son royaume de l’Odra et de la Baltique pour l’orienter vers cette expansion à l’est qui devait en faire un État multinational. D’autres ont démontré que ces conquêtes visaient à renforcer le potentiel économique et militaire du royaume pour mieux affronter l’État teutonique. De fait, l’hommage de la Mazovie, liée enfin au royaume (1351-1353), le rapprochement avec la Lituanie, l’adoption par le roi de son petit-fils, le duc de Poméranie occidentale, afin qu’il lui succède (sans doute après Louis le Grand), confirment une politique d’encerclement qui menace l’ordre Teutonique.


Le relèvement de l’État

En 1333, l’unité du royaume reste précaire : les rivalités des grands féodaux, la crise de la chevalerie engendrent pillages et désordres. Casimir III restaure l’autorité royale et l’assoit sur une administration solide, organisée avec l’aide de légistes revenus des universités italiennes et pénétrés de droit romain. Quiconque a accaparé des terres du domaine royal doit les restituer. La puissance de l’Église est limitée par la réduction systématique de ses biens. Un impôt foncier permanent, modéré mais uniforme, n’épargne ni les terres du clergé ni celles de la noblesse. Toutes les couches sociales, y compris le clergé, doivent fournir des soldats, organisés en bannières. Casimir fait construire une cinquantaine de châteaux forts (Będzin) et fortifier vingt-sept cités pour assurer la défense du royaume. Ces « gródy » serviront de points d’appui à l’autorité des « starostes », officiers de police, justice et finance dans les provinces, chefs des troupes locales en temps de guerre. Casimir III confie ces fonctions à des « gens nouveaux » : récompensant la fidélité des lignages modestes de Petite Pologne, il se sert de leur ambition pour mieux briser l’opposition féodale, si vive en Grande Pologne.

Réorganisateur de la justice, il fait codifier les coutumes locales, donnant à la Pologne ses premières lois écrites. Mais ses « statuts » (1346-47, 1350-1360) ménagent encore les particularismes de Grande et de Petite Pologne ; sans instaurer de hiérarchie féodale, ils consacrent les privilèges de la noblesse. Cependant, pour la masse des paysans, ils constituent un immense bienfait : en définissant les corvées et les redevances, en fournissant aux tribunaux un code pénal relativement humain, ils les protègent contre les exactions et l’arbitraire de leurs seigneurs. Cette équité vaudra à Casimir III le surnom de « roi des paysans ».

Soucieux de la prospérité du royaume, il encourage la mise en valeur des terres : un intense mouvement de défrichement et de colonisation intérieure multiplie les villages et repeuple les sites ravagés par la peste noire. La richesse des terres ruthènes faiblement occupées, des contrats d’établissement avantageux attirent les paysans polonais vers les provinces conquises. Des bourgeois de Cracovie établissent le Statut des routes (1344) ; d’autres sont chargés de prospecter les richesses du sous-sol (argent, plomb) et d’exploiter les salines de Wieliczka et de Bochnia (1368), principale source des revenus royaux. L’expansion vers l’est, en assurant au royaume le contrôle de la route menant à la mer Noire, donne une vigoureuse impulsion au commerce et fait la fortune des cités-étapes (Cracovie), avantagées par des privilèges spéciaux et une protection douanière rigoureuse. Mais le grosz royal, créé en 1338 lors de l’unification monétaire, ne peut chasser les solides monnaies praguoises, qui gardent la préférence des marchands polonais.


Mécénat et tolérance

La tradition assure que Casimir « trouva la Pologne de bois et la laissa de pierre ». Sur son initiative, églises, écoles, hospices, halles marchandes et greniers d’abondance font triompher l’art gothique en Pologne. Il multiplie les grands travaux en période de famine afin de secourir son peuple : le blé des célèbres greniers royaux sert alors de salaire.

Casimir III maintient une collaboration déférente avec la papauté tout en menant une politique religieuse personnelle, d’une tolérance alors exceptionnelle. Beaucoup de Juifs, persécutés en Occident, se réfugient en Pologne. Casimir le Grand leur octroie un statut légal dans son royaume (1334) et favorise leur installation dans les provinces conquises. S’il établit richement l’Église romaine en Ruthénie, il prie néanmoins Constantinople de rétablir la métropole orthodoxe à Halicz.