Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carthage

Colonie des Phéniciens de Tyr, établie près du site de l’actuelle Tunis et qui se constitua un empire maritime en Méditerranée occidentale, avant d’être abattue par les Romains.


À l’apparence de son site, tel qu’il se présentait au xixe s., vaste étendue presque déserte, favorable aux évocations nostalgiques, a succédé un océan de villas de banlieue. Mais aussi, aux investigations désordonnées du début du xixe s., se sont substituées des fouilles de plus en plus scientifiques, inaugurées par Charles Beulé en 1859, amplifiées par le R. P. Delattre et poursuivies activement depuis.


L’histoire
Le culte de Baal et de Tanit

La fondation de Carthage (Qart Hadasht, la ville neuve) semble avoir été la conséquence du surpeuplement et de l’insécurité du pays de Canaan et, dans l’immédiat, avoir résulté d’une discorde au sein de l’aristocratie de la puissante ville phénicienne de Tyr. Selon la tradition, un groupe de Tyriens aurait quitté cette métropole sous le commandement d’Elissa, appelée aussi Didon (« la fugitive »), sœur du roi. Ils s’installèrent à proximité d’Utique, l’une des nombreuses escales des marins phéniciens qui pratiquaient le commerce maritime en Méditerranée occidentale. Ils fondèrent leur nouvel établissement vers 825-819 av. J.-C.

Le tophet — lieu sacré par excellence des Carthaginois pendant de longs siècles —, situé sur la plage où débarquèrent les réfugiés tyriens, était le lieu de sacrifices humains (molek). On immolait par le feu les premiers-nés des familles notables à Baal Hammon, suivant un usage qui rappelle les traditions de Canaan. Diodore de Sicile décrit la cérémonie : « La statue du dieu était d’airain ; elle avait les bras pendants ; ses mains, dont la paume était en dessus, étaient inclinées vers la terre, afin que les enfants qu’on y plaçait tombassent immédiatement dans un gouffre plein de feu. » L’étude des strates successives du tophet apprend qu’il s’agissait d’enfants de quelques jours à quelques mois et que, si, jusqu’au ve s., on sacrifiait uniquement les enfants, au ive s. on commença à leur substituer des agneaux, tandis qu’après la conquête romaine les animaux furent les seules victimes..., du moins au tophet de Carthage, car les sacrifices humains se sont poursuivis dans la clandestinité jusqu’à l’Empire romain. Si l’on avait substitué des animaux aux enfants, les familles nobles avaient su aussi, à l’occasion, substituer de petits esclaves à leurs propres enfants, et il faut peut-être voir dans la nature de ce sacrifice une autre substitution, celle, par le sacrificateur, de son propre enfant à sa propre personne, qui échappait ainsi à une sorte de suicide mystique.

La religion carthaginoise était toute de crainte et de terreur : crainte de dieux exigeants et cruels, dont on redoutait la colère plutôt qu’on n’en attendait les bénédictions. Religion, de surcroît, mêlée de beaucoup de superstition : en témoignent les masques de terre cuite aux physionomies grimaçantes, qui étaient destinés à faire fuir les démons. Plus tard, au temps des courses de chars romains, on évoquera les mêmes génies malfaisants par des incantations inscrites sur des rouleaux de plomb dans le dessein de faire trébucher les coureurs de la faction adverse...

La quasi-totalité des stèles retrouvées était dédiée à Baal Hammon, dont le nom signifie le « seigneur des autels à parfums » et qui n’est autre que l’El des Phéniciens, ainsi qu’à Tanit, déesse lunaire, identifiée plus tard à Junon Caelestis et qui, à partir du ve s., fut la première divinité. Eshmoun, assimilé postérieurement à Esculape, était vénéré dans un temple qui dominait la ville. Les autres divinités phéniciennes, y compris Melqart, patron de Tyr, n’ont joué qu’un rôle accessoire. La religion, déjà modifiée dès l’origine par une influence égyptienne, s’ouvrit aux divinités grecques : en 396, le culte de Déméter fut introduit. Sans aller jusqu’à s’annexer une véritable morale, elle s’épura, sans doute très lentement, de ses rites les plus barbares.


La cité oligarchique

Carthage possédait la structure politique et sociale de la cité classique. Elle connut les rois et les factions oligarchiques. De bonne heure, ses rois furent surveillés par un conseil d’Anciens, puis remplacés par deux suffètes, juges élus assistés d’institutions de type républicain : conseil restreint, sénat, assemblée des citoyens. Les Anciens estimaient beaucoup la Constitution de Carthage. Mais, si elle était républicaine, elle n’était pas démocratique. Le gouvernement était aux mains d’une aristocratie jalouse.

De grandes familles se succédèrent. Du milieu du vie s. au milieu du ve, celle des Magon (Magonides) patronna l’expansion commerciale, puis, à dater du iiie s., les Barcides (Hamilcar, Hasdrubal, Hannibal Barca), appuyant leur pouvoir sur l’armée et sur leurs conquêtes en Espagne, menèrent la politique extérieure antiromaine et s’éloignèrent des objectifs purement mercantiles. Cependant, Carthage fut et demeura avant tout une ville marchande, et ses premiers citoyens, s’ils furent aussi des propriétaires agricoles ou des membres du clergé, furent surtout de grands patrons du commerce maritime.


Les ports et le commerce

Le Grec Appien a décrit les ports de Carthage avec précision : deux lagunes en enfilade, l’une circulaire, l’autre allongée, correspondent à cette description, bien qu’on les ait remaniées au xixe s. Le port rectangulaire accueillait les navires de commerce ; le port rond ou, plus exactement, annulaire, puisqu’en son centre un îlot portait les bâtiments de l’amirauté, était réservé aux vaisseaux de guerre. L’identification de ces ports a longtemps suscité des controverses : les lagunes sont très petites, et la description antique y fait tenir des centaines de navires ! Cela est déroutant, mais d’autres ports antiques se signalent ainsi par leur étroitesse ; les Carthaginois ont pratiqué l’échouage de leurs bateaux sur les espaces avoisinants, et il est possible qu’un troisième bassin ait existé vers l’ouest.