Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carolingiens (suite)

La troisième, enfin, est le tribunal royal, dont la présidence de fait est abandonnée par le roi à un laïc, le comte du palais (comes palatii ou comes palatinus), apparu sous le règne de Charlemagne et autour duquel s’ébauche un service administratif comprenant au moins quelques scribes chargés de l’aider dans la rédaction des préceptes ou diplômes d’application dénommés parfois plaids (de placitum, procès). Due à l’extension géographique du Regnum ainsi qu’au prestige exceptionnel de Charlemagne, la rapide croissance du nombre des affaires à juger amène, en effet, le souverain à abandonner la présidence de fait de son tribunal à un grand officier, dont il s’efforce pourtant, à l’extrême fin de son règne, de limiter la toute-puissance en l’obligeant à lui soumettre au moins toutes les sentences concernant les grands du royaume (potentiores) avant que celles-ci ne deviennent définitives. Ainsi l’extension de l’Empire carolingien a amené ses souverains et tout particulièrement Charlemagne à se doter d’un outil gouvernemental et administratif un peu moins inorganique que celui dont disposait Pépin le Bref. Mais sa mise en place se montre évidemment insuffisante pour assurer l’intégration des peuples récemment soumis.

• Les institutions locales. Respectant les particularismes locaux en maintenant en vigueur les législations nationales, accordant aux plus originaux d’entre eux une semi-autonomie sous l’autorité soit de souverains issus de la famille royale (Louis le Pieux en Aquitaine et Pépin en Italie dès 781 ; Louis le Germanique en Bavière depuis 817), soit de princes autochtones (duchés lombards de Spolète et surtout de Bénévent), les Carolingiens tentent néanmoins d’unifier l’Empire sur le plan administratif. Ils le divisent en 200 à 250 circonscriptions de même type, les comtés, mais de superficie très variable et de limites assez instables. À la tête de chacun d’eux, un comte (comes ou graf) est le lieutenant direct du roi, sauf dans les plaines frontières, où, pour des raisons stratégiques, l’empereur a regroupé plusieurs comtés en de grandes circonscriptions militaires, les marches, administrées soit par des préfets (Bavière, 794-817), soit par des ducs ou par des margraves (Bretagne, Espagne, Frioul, pays des Avars et pays des Danois). Détenant toutes les prérogatives de la puissance publique, ces fonctionnaires dirigent l’administration de la police locale. Responsables du maintien de l’ordre, ils président, en outre, le tribunal public (mallus) avec l’assistance de quelques boni homines ou scabini ; enfin, ils convoquent et conduisent l’ost au roi en cas de nécessité.

En fait, leur action est souvent inefficace et même contraire aux intérêts de la dynastie. Une telle structure s’explique d’abord par l’insuffisance des moyens administratifs mis à leur disposition. Rares sont, en effet, les comtes qui peuvent se faire seconder par quelques notaires, par un vicomte (vice-comes) capable de les suppléer à tout moment, ainsi que par un ou plusieurs viguiers (vicarius) ou centeniers (centenarius), c’est-à-dire par des délégués personnels chargés d’administrer les subdivisions entre lesquelles ont été partagés les comtés les plus vastes. Choisis généralement au sein de l’aristocratie franque et, plus spécialement, au sein de l’aristocratie austrasienne (70 sur 110 connus, dont 52 apparentés aux Carolingiens, entre 768 et 840), ces comtes ont une fâcheuse tendance à se créer des clientèles locales et, avec leur appui plus ou moins tacite, à se perpétuer, eux et leurs héritiers, dans des fonctions qui s’avèrent particulièrement rentables. Celles-ci sont, en effet, d’autant plus lucratives qu’ils savent ajouter aux revenus que leur procure la jouissance théoriquement temporaire d’une partie des domaines fiscaux de leur circonscription ceux qu’ils retirent des perceptions fiscales et judiciaires, dont ils retiennent trop souvent plus que la part qui leur est légalement attribuée par le roi, c’est-à-dire le neuvième des compositions judiciaires, le tiers des amendes infligées pour refus d’obéissance au ban royal ainsi que le tiers des droits de tonlieu, de marché et des diverses autres taxes perçues sur leurs administrés.

• Les moyens de contrôle. De tels abus, qui amputent considérablement les revenus déjà très faibles de la monarchie et qui marquent un fâcheux esprit d’indépendance des agents locaux du roi, impliquent naturellement la mise en place d’efficaces moyens de contrôle : missi dominici (envoyés du maître), presque toujours d’origine franque et qui, deux par deux (un comte et un évêque), sont chargés d’inspecter les comtés, de recueillir les plaintes et de faire rapport au souverain ; placitum generale (assemblée générale), qui réunit chaque année les grands au champ de mai en un lieu choisi par le souverain pour entendre ses ordres et l’assurer de leur obéissance renouvelée aux capitulaires qu’il y promulgue oralement ; système vassalique, enfin, qui, par le biais d’une pyramide de serments, unit l’empereur au plus lointain de ses sujets par des liens d’une fidélité contraignante pour ceux-ci, mais coûteuse pour le souverain, qui lui sacrifie une part considérable de son domaine et qui ne peut éviter que ne s’instaure une hérédité progressive des beneficia, qui accélère, par contrecoup, celle des fonctions. Efficace tant que l’Empire reste entre les mains d’un monarque aussi énergique que Charlemagne, ce système se révèle finalement dangereux pour sa survie lorsque la faiblesse de ses successeurs, et notamment celle de ce prêtre couronné qu’est Louis le Pieux, prive la pyramide de sa tête et laisse les arrière-vassaux dans la seule dépendance de leurs propres seigneurs en quête d’indépendance.


La vie économique

• Une économie de troc. La mise en place du système vassalique ainsi que la faiblesse des ressources monétaires de la monarchie carolingienne sont des faits particulièrement révélateurs du rôle de la terre en tant que « source principale de la fortune et de la puissance politique » (Jacques Heers). Celle-ci est exploitée parfois par des petits propriétaires de terres libres (alleux), particulièrement nombreux en dehors de l’ancien royaume franc et plus spécialement regroupés en d’importantes communautés paysannes, notamment implantées dans les pays de montagne. Mais le cadre essentiel de l’exploitation agricole reste le grand domaine laïc ou ecclésiastique : la villa. Sa superficie varie entre 850 ha à Staffelsee, en Bavière, et 20 000 ha en France et en Allemagne (villae de Saint-Germain-des-Prés, de Prüm, etc.). À l’intérieur de ses limites, les habitants peuvent vivre en économie strictement fermée puisque, aux produits de la terre, ils ajoutent ceux des ateliers artisanaux de la curtis (forges, selleries, moulins), qui satisfont la quasi-totalité de leurs besoins en biens de consommation.