Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carolingiens (suite)

Dotée d’un équipement diversifié (l’arc pour engager le combat à distance ; la spata, lourde épée de fer bien trempée, longue de près d’un mètre ; la semi-spata, plus courte, mais plus facile à dégainer ; enfin le gladium, ou coutelas, pour poursuivre le combat au corps à corps), cette armée est redoutable moins par son infanterie que par sa cavalerie lourde, qui ajoute aux armes précédentes quatre pièces essentielles, dont trois sont défensives (écu, broigne [cuirasse] et casque) et une offensive (lance). Cet effacement du fantassin devant le cavalier résulte d’une transformation de l’art militaire qui se situe au plus tard au milieu du viiie s., puisque c’est vers 755 que Pépin le Bref se décide à retarder du champ de mars au champ de mai l’entrée en campagne de l’ost, vraisemblablement en raison des besoins considérables en fourrage.


La conquête carolingienne

C’est d’ailleurs vers 755 que l’on peut situer le début de la dilatatio regni carolingienne. Répondant, en effet, à l’appel du pape Étienne II menacé jusque dans Rome par l’expansion lombarde d’Aistolf, Pépin le Bref franchit les Alpes à deux reprises, en 754 et en 756, contraignant ce dernier souverain à lui céder de nombreux territoires en Italie centrale ainsi que l’ancien exarchat de Ravenne, occupé par les Lombards en 751 mais toujours revendiqué par les Byzantins. Sans tenir compte de cette opposition, Pépin le Bref en fait aussitôt « donation à Saint-Pierre », accordant ainsi satisfaction aux prétentions que le pape fonde sur la fausse « donation de Constantin » et jetant par là même les bases territoriales de l’État pontifical.

Passé l’intermède du partage territorial et gouvernemental imposé par Pépin le Bref à ses deux fils Charles et Carloman (768-771), et qui trouve son terme avec le décès de ce dernier prince, la politique d’expansion reprend sous la conduite de son frère aîné, qui y gagne le surnom de Grand (Charlemagne*) ainsi que la couronne impériale.

• Cette politique s’exerce d’abord en Italie. À l’appel du pape Hadrien Ier, victime des empiétements incessants du roi des Lombards, Didier, Charlemagne intervient au-delà des Alpes en 773 ; il contraint Didier à capituler dans Pavie au terme d’une année de siège (juin 774) et à lui abandonner la couronne de fer des rois lombards, qu’il ceint aussitôt. Reconnu, entre-temps, « patrice des Romains » dans la Ville éternelle, il parachève la conquête de la Péninsule en envahissant le duché de Bénévent et en imposant à ce dernier son étroite tutelle en 786-87.

• La Germanie est le deuxième champ d’action de Charlemagne. À l’extrême nord, il pacifie définitivement la Frise, reportant la frontière septentrionale de son empire de l’embouchure du Rhin à celle de la Weser, au terme de durs combats (784-790). Plus au sud et surtout plus à l’est, la soumission de la Saxe se révèle encore plus difficile. Chaque campagne victorieuse du souverain carolingien (772 et 774) est suivie de révoltes (773, 776...), auxquelles un chef westphalien, Widukind, donne un caractère de lutte inexpiable qui se poursuit de 778 à 785, date à laquelle ce dernier se résout à capituler et à accepter le baptême. Après d’ultimes et terribles soubresauts (793-797 et 798-804), la résistance saxonne s’effondre enfin au début du ixe s. et permet de substituer au régime répressif institué en 785 un régime d’entente. Enfin, à l’extrême sud et sud-est de la Germanie, Charlemagne annexe la Bavière après avoir fait enfermer en 788 le duc Tassilon pour trahison. Il conquiert la Styrie, la Carniole, la Slovénie, la Carinthie avant de pénétrer au cœur de l’empire des Avars au terme de plusieurs campagnes qui débutent en 791 et dont la dernière s’achève par la conquête du « ring » avar, aux confins de la Pannonie (796).

Entrés de ce fait en contact avec les Slaves tout au long de leur frontière orientale, les Francs réussissent à faire reconnaître leur influence dominante à ceux d’entre eux dont le territoire est situé entre la limite orientale de l’Empire carolingien et une ligne jalonnée approximativement par les cours de l’Oder et de la Tisza inférieure. Certains reconnaissent d’ailleurs assez volontiers l’autorité carolingienne, tels les Obodrites des confins de la Baltique, qui se soumettent spontanément dès 785 ; par contre, il faut attendre 806-07 pour que les Sorabes et les Bohêmes, et 812 pour que les Wilzes se résolvent à vivre en voisins respectueux de la puissance militaire carolingienne, à laquelle ils offrent un utile glacis protecteur.

• Quant au troisième front, celui d’Espagne, il s’ouvre sur un désastre, celui du défilé de Roncevaux, où l’arrière-garde de l’armée carolingienne, surprise par les Basques, est massacrée ainsi que son chef, le comte de Bretagne Roland. Renouvelant son effort dans les années suivantes contre les musulmans de la péninsule Ibérique, Charlemagne réussit finalement à leur enlever Barcelone en 801 et Pampelune en 806, ce qui lui permet de constituer la Marche d’Espagne, qui met le sud de l’Empire à l’abri des invasions musulmanes.

• Enfin, l’œuvre de Charlemagne se trouve théoriquement parachevée à l’ouest par l’apparente soumission des Bretons, obtenue au terme de campagnes difficiles, menées particulièrement en 786, en 791 et en 811.

Achevée pour l’essentiel dès la fin du viiie s., la dilatatio regni a eu pour premier résultat de renforcer le prestige de son auteur. Roi des Francs en 768, roi des Lombards et patrice des Romains en 774, arbitre tout-puissant de l’Occident depuis lors, Charlemagne apparaît comme le seul détenteur du pouvoir réel dans le monde chrétien à partir du moment où une usurpatrice, l’impératrice Irène, règne à Byzance (797-802). Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait voulu (et avec lui les clercs de son entourage sinon même ceux du pape) faire coïncider sa puissance territoriale et son autorité politique avec la dignité du titre impérial.