Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carnot (les) (suite)

Au printemps de 1815, Carnot se trouve ainsi être l’homme du jour. Ministre de l’Intérieur pendant les Cent-Jours, son rôle se situe surtout au niveau de l’instruction publique. Issu de l’« aristocratie du talent », il pense que c’est par le savoir que se fait l’ascension sociale, fondement de la démocratie. Il crée la Société d’instruction élémentaire et introduit en France la méthode d’école mutuelle. Comblé tardivement d’honneurs, comte d’Empire, officier de la Légion d’honneur, pair de France, c’est lui qui annonce, le 21 juin 1815, la défaite de Waterloo aux sénateurs. Contre Fouché, il veut proclamer la patrie en danger : il eût pu devenir président d’une république de type américain sans la deuxième Restauration. Très compromis, il préfère quitter la France.

Nombreux sont les travaux scientifiques de Lazare Carnot : Essai sur les machines en général (1783), Œuvres mathématiques (1797), De la corrélation des figures de géométrie (1801), Géométrie de position à l’usage de ceux qui se destinent à mesurer les terrains (1803), Principes fondamentaux de l’équilibre et du mouvement (1803), etc.

L’armée de l’an II

Avec Carnot, l’armée française prend un aspect très différent de celle de l’Ancien Régime. Armée nombreuse (plus d’un million d’hommes), improvisée et surtout animée d’un amour ardent de la patrie, qui se confond avec la Révolution. Le maréchal Marmont a souligné dans ses Mémoires cet esprit nouveau des forces révolutionnaires. Bien que continuant à attacher aux places fortes une importance capitale, Carnot s’aperçut que c’était de la masse même des troupes que venait la puissance : accabler l’adversaire sous le nombre, attaquer sans cesse, tel est le but qu’il assigna aux quatorze armées qu’il organisa et lança aux frontières. Cette tactique nécessitait l’articulation des troupes en divisions pour leur donner une très grande souplesse de manœuvre et leur permettre d’agir sur le terrain avec efficacité.

P. M.


Claude Marie Carnot

Dit Carnot-Feulins (Nolay 1755 - Sampigny, Saône-et-Loire, 1836).

Il suit une carrière parallèle à celle de son frère aîné Lazare. Ingénieur, officier du génie en 1784, il proteste contre les lenteurs de l’avancement (Mémoire de 1787). Élu à la Législative, il s’y montre meilleur orateur que Lazare et s’occupe des questions militaires. Au 10-Août, c’est lui qui propose la loge du logographe comme refuge à la famille royale. Directeur des fortifications, il contribue à la victoire de Wattignies. Il est général de brigade lorsque le 18-Fructidor le proscrit. Bonaparte en fait un inspecteur des fortifications, mais il se brouille avec lui lors de l’expédition de Saint-Domingue. Retiré « pour raison de santé », il est député aux Cent-Jours. Après Waterloo, il apporte à l’Assemblée l’acte d’abdication de Napoléon. Son rôle politique est dès lors terminé.


Le physicien Sadi Carnot

(Paris 1796 - id. 1832).

Nicolas Léonard Sadi Carnot, fils aîné de Lazare, est reçu en 1812 à l’École polytechnique. Il en sort premier dans l’artillerie à l’âge de dix-sept ans, mais, jugé trop jeune, il y reste encore un an avant d’entrer, en octobre 1814, à l’École de Metz, où il est élève sous-lieutenant. Il s’y fait remarquer par un mémoire sur le théodolite.

Mais, après les Cent-Jours, en 1815, son père est proscrit et va terminer sa vie à Magdeburg. Sa propre carrière se trouve dorénavant compromise, et il obtient sa mise en disponibilité. Il vit alors à Paris, où il s’applique à accroître ses connaissances dans les domaines les plus variés. Il fréquente le musée du Louvre et le Théâtre italien autant que le Jardin des plantes et le Conservatoire des arts et métiers. Il suit assidûment les cours de la Sorbonne et du Collège de France, de l’École des mines et du Muséum. Il visite les usines et s’initie aux procédés de fabrication. Il se passionne pour la musique et va jusqu’à pratiquer la gymnastique et la danse. C’est à cette époque qu’il écrit ses œuvres maîtresses. Il meurt à trente-six ans, victime du choléra.

L’essentiel de l’œuvre scientifique de Sadi Carnot est contenu dans une brochure de 64 pages publiée à ses frais en 1824 chez le libraire Bachelier (aujourd’hui Gauthier-Villars) et tirée à deux cents exemplaires : Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance. Cette œuvre, qui dérouta ses rares lecteurs, demeura entièrement méconnue. Elle ne fut tirée de l’oubli qu’en 1844, lorsque lord Kelvin vint à Paris. Ayant appris son existence, l’illustre savant réussit, non sans peine, à se la procurer. Enthousiasmé par sa lecture, il déclara : « Il n’y a rien de plus grand dans toute l’étendue des sciences. »

L’auteur de cet opuscule énonçait l’un des deux principes de la thermodynamique, auquel chacun donne aujourd’hui son nom, sous la forme suivante : « La puissance motrice de la chaleur est indépendante des agents mis en œuvre pour la réaliser ; sa quantité est fixée uniquement par les températures des corps entre lesquels se fait en dernier résultat le transport du calorique. » S’il était pour tous manifeste qu’un moteur thermique, une « machine à feu » comme on disait alors, n’a pas ses divers organes à la même température, Carnot seul saisissait qu’une telle machine peut fournir du travail parce que de la chaleur abandonne une source chaude et qu’une partie de cette chaleur est restituée à une source froide.

On ne peut qu’être frappé par l’analogie de pensée de Sadi et de son père Lazare, auteur des Principes fondamentaux de l’équilibre et du mouvement. Ce que le père avait mis en lumière pour les phénomènes dynamiques, le fils l’étendait aux phénomènes thermiques, le mouvement de la matière ou celui du « calorique » étant considéré comme un retour à l’état d’équilibre.

En 1830, Sadi Carnot écrivit aussi un carnet de notes qui ne fut publié qu’en 1878, bien après sa mort, par son frère Hippolyte. On y trouve l’énoncé de l’autre principe de la thermodynamique, celui de l’équivalence de la chaleur et du travail : « La chaleur n’est autre chose que la puissance motrice qui a changé de forme. Partout où il y a destruction de puissance motrice, il y a, en même temps, production de chaleur en quantité précisément proportionnelle à la quantité de puissance détruite. Réciproquement, partout où il y a destruction de chaleur, il y a production de puissance motrice. »

Si l’on songe que les travaux théoriques de Robert von Mayer sur l’équivalence datent de 1842 et les premières expériences de Joule* de l’année suivante, on doit accorder à Carnot une priorité de douze ans et voir en lui le créateur de toute la thermodynamique.

R. T.