Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Carmes

Religieux de l’ordre du Carmel.



Jusqu’à la réforme de sainte Thérèse

La Bible (II Rois, ii) nous apprend qu’Élie et ses disciples vécurent sur le mont Carmel. Pour toute l’ancienne tradition chrétienne, ce lieu a été regardé comme consacré par cette présence. Très tôt, des ermites s’y fixèrent.

Un groupe d’ermites occidentaux vient s’y installer à l’occasion des croisades sous la conduite de Berthold de Calabre († 1198). En 1209, ce groupe sollicite du patriarche Albert de Jérusalem une règle religieuse conforme à leur genre de vie. Adressée à leur prieur Brocard, successeur de Berthold, cette règle est confirmée par Honorius III en 1226. Elle enjoint aux ermites de vivre sous un prieur, choisi parmi eux à la majorité « des plus dignes », dans l’obéissance, la pauvreté, la chasteté, le silence et le jeûne. Ils vivront dans des cellules séparées et n’auront pas d’autres actes en commun que la messe quotidienne et un « chapitre » hebdomadaire.

En raison de la menace musulmane, de nombreux moines rentrent dans leur pays d’origine dès 1238. Les premiers couvents de Carmes sont ainsi fondés à Chypre, en Sicile, en Angleterre (1242), aux Aygalades près de Marseille (1244). Au début, les religieux continuent de mener leur forme de vie érémitique. Puis l’Anglais Simon Stock († 1265) oriente l’ordre dans une direction plus active et s’efforce de l’adapter aux conditions de la vie en Occident et aux statuts des ordres mendiants. C’est ce qu’Innocent IV ratifie par un amendement de la règle, qui porte sur les points suivants : faculté de s’établir dans les cités (en vue du ministère), réfectoire commun, adoucissement de l’abstinence de viande et du silence. Cet amendement range les Carmes parmi les ordres mendiants. En 1281, l’ordre compte dix provinces.

Quelques carmes font une brillante carrière de professeur : Thomas Walden et John Baconthorpe à Oxford, Gérard de Bologne et Gui de Perpignan à Paris.

On compte également plusieurs saints ou bienheureux en ces temps tumultueux ; les plus connus sont Simon Stock, Albert de Trapani, André Corsini et le bienheureux Nuño Álvarez. La dévotion au scapulaire propagée par l’ordre lui vaut une large audience populaire. Peu à peu, les Carmes sont désignés sous le nom de frères de Notre-Dame.

Cependant, le « grand schisme d’Occident » (1378-1417), qui divise aussi les ordres religieux, la peste noire, qui décime les communautés, la course aux privilèges et aux exemptions relâchent la ferveur des carmes. Contre ce courant réagissent des mouvements réformistes qui prônent un retour à l’idéal originel de l’ordre, en particulier à la prière contemplative.

L’un des plus importants de ces mouvements apparaît en Italie : c’est la congrégation de Mantoue, dont l’une des figures les plus curieuses est le fougueux prédicateur breton Thomas Connecte, qui, après avoir fulminé contre les modes de l’époque, meurt brûlé à Rome comme hérétique en 1433. Si le bienheureux Mazzinghi († 1438) ne peut être dit disciple de Thomas, Baptiste le Mantouan, lui, poète et bienheureux († 1516), est formé dans l’esprit de contestation prophétique du Savonarole carmélitain. Vers 1600, la congrégation de Mantoue compte un millier de frères groupés dans plus de 50 couvents.

Le général de l’ordre, Jean Soreth, originaire de Caen (1405-1471), se fait le propagateur (1451-1471) en France, en Allemagne et en Hollande d’un mouvement réformé né spontanément à Liège et à Moers. L’importance de ce mouvement ressort du fait que, jusqu’à la réforme luthérienne, presque tous les évêques de Liège, Utrecht et Cambrai sont des carmes. À Jean Soreth, on attribue aussi l’institution des carmélites (premier monastère à Gueldre en 1452) et des fraternités de laïques liés à l’ordre (tiers ordre).

À mentionner encore la réforme d’Albi, dont les premiers religieux (1499) sont vingt-deux étudiants disciples de Jean Standonck et compagnons d’Érasme au collège de Montaigu à Paris.

L’ouragan protestant menace l’ordre d’un total anéantissement. Des théologiens carmes comme E. Billick et A. Blanckart, orateurs de l’université de Cologne au concile de Trente, tentent de résister. Mais six provinces de l’ordre sont complètement détruites ; ailleurs, de nombreux couvents sont perdus. Deux personnalités d’exception, qui se succèdent dans la charge de général, Nicolas Audet (de 1525 à 1562) et Giovanni Battista Rossi (de 1562 à 1568), s’efforcent de pallier le désastre en suscitant un vaste mouvement de rénovation spirituelle.


De la réforme thérésienne à nos jours


Les Carmes déchaussés (ou déchaux) O. C. D.

Moniale au grand monastère de l’Incarnation d’Ávila (130 religieuses entrées de plus ou moins bon gré), sainte Thérèse* (1515-1582) estime que la vocation de son ordre consiste en l’expérience vivante des données de la foi chrétienne, mais que cette expérience est incompatible avec une carence d’ambition spirituelle, quelle que soit la rigidité des structures. En 1562, elle établit un petit couvent à l’autre extrémité d’Ávila. Elle et ses compagnes y pratiquent une vie de perfectionnement évangélique dans une attention missionnaire. La règle pratiquée est celle qu’Innocent IV a adaptée en 1247, l’esprit est celui du Mont-Carmel.

Le général G. B. Rossi prescrit à Thérèse de faire autant de fondations qu’elle pourra et même d’ériger aussi des couvents de religieux. En 1568, saint Jean* de la Croix (1542-1591) fait entrer les Carmes dans la voie de cette réforme. Le succès de la réforme thérésienne est tel que bien tôt ceux et celles qu’on appelle des déchaussés, ou déchaux, afin de conserver l’esprit de leur mouvement, prennent leurs distances avec les supérieurs des provinces non réformées. C’est l’occasion d’un douloureux conflit.

La séparation est consommée au chapitre d’Almodóvar de 1581 ; à la mort de sainte Thérèse, la réforme compte déjà 17 couvents de sœurs et 15 de frères.

Constitués en congrégation autonome, les déchaussés restent un moment sous la juridiction du général des Carmes : en 1593, le chapitre général de Crémone leur accorde l’indépendance totale.