Caravage (le) (suite)
Il semble que l’interprétation du Caravage et de sa situation historique ait beaucoup progressé. Ni le terme de réalisme ni celui de ténébrisme ne prétendent plus le définir. Les sujets empruntés à la vie populaire comme les effets de « nocturne » sont familiers à toute la peinture de la fin du xvie s. — et spécialement dans l’Italie du Nord, chez des artistes de premier plan comme Bassano*, voire le Tintoret*. Ce qui est neuf chez le Caravage, c’est l’emploi de la lumière pour affirmer la plénitude des formes et des volumes — mais aussi pour héroïser, dramatiser les personnages les plus humbles. C’est ce côté épique qui a bouleversé les contemporains, c’est cette plastique expressive et directe, réintégrant dans l’art un sentiment simple et profond de la vie humaine, qui répondait aux aspirations de la Contre-Réforme. Un tel art n’est pas nécessairement iconoclaste : l’influence de Michel-Ange est souvent sensible chez son jeune homonyme, dont le génie est tragique comme le sien. Et la réaction humaniste des Carrache* contre les artifices du maniérisme est plus parallèle que contraire à celle du Caravage.
L’influence
En tout cas, le succès foudroyant de cette œuvre montre qu’elle répondait à un besoin. Du vivant même du peintre, le « caravagisme » apparaît comme un phénomène international, diffusé par les étrangers nomades qu’attire Rome. À côté des premiers Italiens conquis entre 1600 et 1610 — Bartolomeo Manfredi (v. 1580-1624), Carlo Saraceni (v. 1585-1620), Giovanni Battista Caracciolo (v. 1570-1637) qui répand à Naples le nouveau style, Orazio Borgianni (v. 1578-1616) qui l’apporte en Espagne —, on trouve des Hollandais et des Flamands comme Carel Van Mander (1548-1606) et Louis Finson, dit Finsonius (v. 1580-1617), messager du ténébrisme en Provence, ainsi que des Français comme Jean de Boullongne, dit le Valentin*.
À la génération suivante et pendant les deux premiers tiers du siècle — le zénith se plaçant vers 1630 — le caravagisme rayonne sur toute l’Europe, et ceux-là même qui, tels les frères Carducho (d’origine italienne) en Espagne, le redoutent en vertu de leur formation académique comme une peste apportée par l’antéchrist de la peinture, reconnaissent son emprise universelle et parfois subissent sa contagion. L’école hispano-italienne de Naples guidée par Ribera*, l’école de Séville avec Zurbarán*, le Languedoc toulousain avec Nicolas Tournier (av. 1600 - apr. 1660) et la Lorraine de Georges de La Tour*, le groupe hollandais d’Utrecht avec Gerard Van Honthorst (1590-1656) et Hendrik Terbrugghen (1588-1629) sont les « citadelles » du caravagisme : peu de révolutions picturales ont été aussi fortement ressenties.
P. G.
B. Berenson, Del Caravaggio, delle sue incongruenze e della sua fama (Florence, 1950 ; trad. fr. le Caravage, sa gloire et son incongruité, P. U. F., 1959). / R. Longhi, Il Caravaggio (Milan, 1952). / L. Venturi, Il Caravaggio (Novare, 1952). / R. P. Hinks, Michelangelo Merisi da Caravaggio (Londres, 1953). / W. F. Friedländer, Caravaggio Studies (Princeton, 1955). / A. Berne-Joffroy, le Dossier Caravage (Éd. de Minuit, 1959). / R. Jullian, Caravage (I. A. C., Lyon, 1961). / A. Ottino della Chiesa, Caravaggio (Milan, 1967 ; trad. fr. Tout l’œuvre peint du Caravage, Flammarion, 1967).
