Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

capital

Bien économique durable intervenant dans la production d’autres biens ou, plus généralement, totalité des actifs d’une société donnée à un moment précis.


Pendant longtemps, la théorie économique s’est surtout attachée au capital de l’entreprise (défini comme un stock de biens de production) et a dénié toute existence au capital des consommateurs (ou des ménages) ; on est allé jusqu’à refuser à ce dernier une existence statistique en vue de simplifier la comptabilité nationale. Les biens détenus par les ménages, dont l’importance et la longévité croissent sans cesse, sont considérés comme une consommation, aucune distinction n’étant opérée entre eux et sans que puisse apparaître, de période en période, leur augmentation. La notion de capital ainsi que celle d’investissement restaient donc consacrées exclusivement aux entreprises, bien que, depuis longtemps, les ménages aient le sentiment d’investir. C’est que l’avènement des biens de consommation durables caractérise les sociétés parvenues à un certain stade de développement. La croissance du capital des ménages transforme les données sur lesquelles était et reste fondée la théorie classique de la demande dans la mesure où le ménage doit désormais opérer des choix qui dépassent le stade de l’épargne et de la consommation ; il s’agit pour lui d’opter entre des biens à usage plus ou moins long. Le calcul économique des consommateurs est donc en train d’acquérir le contenu et la démarche de celui de l’entrepreneur. Dans ces conditions, la théorie de la demande doit évoluer et admettre comme un postulat l’existence d’un capital propre à chaque unité économique (le ménage, l’entreprise, la nation), capital dont la constitution et la croissance sont les conséquences désirées de l’activité de production.

Toutefois, la limite entre ces deux types de capitaux — capital de consommation, capital de production — est souvent difficile à tracer. Dans certains cas, la distinction est nette : c’est ainsi que des biens à durée de vie longue, tels le logement, la vaisselle, le linge, les meubles d’une famille, sont considérés comme faisant partie du capital du ménage — véritable « capital de consommation » — par opposition au pain ou aux légumes, qui se détruisent rapidement par l’usage. Mais la distinction devient délicate pour toute une gamme de capitaux intermédiaires qui participent plus ou moins directement à la production. Pour Kuznets, « les dépenses couramment dénommées biens de consommation, éducation, loisirs, santé, transports..., représentent une formation de capital puisqu’elles améliorent et perfectionnent la santé de ceux qui doivent combiner leur travail avec du capital ». Des dépenses de ce genre pourraient donc être considérées comme constitutives de capital. Mais une telle extension apparaît contestable dans certaines circonstances ou situations. En effet, les investissements que nécessite une politique sanitaire et sociale peuvent avoir des répercussions négatives sur la production. Des investissements sociaux trop importants par rapport aux disponibilités d’un pays empêcheront celui-ci d’effectuer certains investissements productifs plus urgents. C’est ainsi que la politique sanitaire d’abaissement de la mortalité infantile, dans les pays en voie de développement, se traduit bien souvent par une chute du revenu par habitant ; il en est de même d’une politique sanitaire d’accroissement de la longévité dans les pays développés si cette longévité ne s’accompagne pas d’une augmentation de la durée de vie active. Ainsi, ce qui, du fait de la structure de la population par âge, peut être considéré comme un investissement au sens large dans certaines populations ne peut l’être dans d’autres.

La complexité que présente toute mesure du capital croît lorsque la théorie économique contemporaine est amenée à parler de l’hétérogénéité des biens composant ce capital. Celui-ci comprend des biens économiques matériels, des titres de créance, des équipements finis, des produits intermédiaires, des biens de consommation, qui servent de fonds de subsistance aux travailleurs (R. Barre). Son évaluation monétaire, en termes de prix, ne doit pas faire oublier cette hétérogénéité.

En dernier lieu, la théorie économique insiste sur le caractère non permanent du capital : celui-ci est considéré non plus comme un ensemble permanent de biens constituant une source de revenus, mais comme un ensemble de ressources non permanentes qu’il faut entretenir pour en faire une source permanente de revenus. La notion de capital est ainsi liée non aux caractères objectifs des biens, mais aux calculs des agents (entrepreneurs). Ces calculs ont pour objet de maintenir la valeur du capital en tenant compte de la dépréciation que celui-ci peut subir en raison soit de son usure physique, soit de son obsolescence, imputable aux propres techniques ou aux changements de goût des consommateurs (ces derniers rendant ainsi hors d’usage un équipement qui n’est pas — loin de là souvent — détérioré matériellement). L’usure physique, la désuétude technique ou l’obsolescence économique (notions très voisines) imposent à l’entrepreneur l’amortissement de son capital : c’est un futur capital plus moderne et sans doute plus coûteux qu’il faudra songer à acquérir et pour l’achat duquel il faut dès maintenant constituer des réserves au titre de l’amortissement du matériel existant.

Il faut remarquer que, si la théorie classique du capital a subi de nombreux bouleversements à la suite de ces discussions, il en a été de même de la théorie marxiste. Partant du Capital de K. Marx, les économistes soviétiques ont dû réaliser l’adaptation au socialisme de thèses primitivement conçues pour l’explication du capitalisme et la modernisation d’une analyse qui s’appliquait aux premières étapes de la révolution industrielle. L’évolution de la théorie, qui a été lente, semble aboutir à l’idée que le travail n’est pas seul créateur de valeurs, le capital étant aussi productif. Mais la théorie soviétique n’a pas admis l’idée qu’il existe pour ce facteur une rémunération spécifique.