Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Capétiens (suite)

Cette spécialisation se traduit d’abord par la formation, au sein de l’Hôtel, de services compétents en matière financière (Trésor, déposé au Temple jusqu’en 1295 et de 1303 au règne de Philippe V le Long ; Chambre aux deniers) et judiciaire (Chambre des requêtes). Mais surtout elle aboutit à la lente élaboration, au sein de cet Hôtel, de sections politiques, judiciaires et financières qui finissent par se transformer en trois institutions permanentes essentielles : le Conseil du roi, le Parlement, la Chambre des comptes, issues de la Curia Regis. Se spécialisant davantage dans les affaires du gouvernement que dans celles de l’administration, le premier de ces trois organismes prend forme au début du xiiie s. Composé de personnalités de l’entourage royal que le souverain « retient en son Conseil », celui-ci n’a pas, en fait, d’attributions précises, le roi pouvant toujours y évoquer n’importe quelle question, d’ordre financier et judiciaire notamment, relevant théoriquement d’une autre institution.

Le Parlement, tribunal judiciaire normal, se transforme, dès le milieu du xiiie s., en Cour suprême pour juger certains cas graves (cas royaux notamment) et surtout en juridiction d’appel des sentences prononcées aussi bien par les tribunaux royaux (des prévôts et des baillis) que par les justices seigneuriales, dont les détenteurs voient ainsi restreindre leurs privilèges. L’afflux des causes entraîne, d’ailleurs, sa division en plusieurs commissions spécialisées : Chambre des requêtes, qui trie les causes ; Chambre des enquêtes, qui les étudie et rend des jugés ; enfin Grand-Chambre, qui transforme en arrêts ces jugés (ordonnances de 1278) sous la haute autorité du chancelier, qui devient ainsi le premier magistrat du royaume. Définitivement constituées en 1291 et surtout en 1307 (ordonnance des parlements), ces commissions se détachent du roi, qui ne les préside plus qu’exceptionnellement depuis Philippe III le Hardi, mais qui conserve toujours la justice retenue : les requêtes de l’Hôtel.

Enfin, en matière financière, l’appel croissant, depuis Philippe le Bel surtout, à des revenus non domaniaux (l’Extraordinaire) qui s’ajoutent à ceux du domaine (l’Ordinaire) amène la constitution au sein de l’Hôtel d’une Cour des comptes, qui se transforme au début du xive s. en une Chambre des comptes, dont l’ordonnance de Viviers-en-Brie en janvier 1320 fixe les compétences : vérification de la comptabilité des prévôts et des baillis ; surveillance de leur administration ; exercice de la juridiction financière ; etc.

Ainsi se trouvent peu à peu mises en place des institutions qui permettent au roi d’étendre sa souveraineté à l’ensemble de son royaume et de dégager celui-ci progressivement de l’emprise du système féodal pour lui donner une existence en tant qu’État.


Les facteurs de la réussite capétienne

La réussite d’une telle œuvre s’explique certes par les mérites des souverains, au premier rang desquels il faut citer : Louis VI, qui lutta sans cesse pour briser l’indépendance belliqueuse des seigneurs vivant à l’intérieur de son petit domaine royal ; Philippe II Auguste, qui sut profiter des divisions des Plantagenêts pour quadrupler son domaine tout en affirmant sa force militaire, d’abord aux dépens du roi d’Angleterre (La Roche-aux-Moines, 2 juill. 1204), puis à ceux de l’Empereur et de ses propres vassaux révoltés (Bouvines, 27 juill. 1214) ; Louis IX, dont l’autorité morale fut telle que l’Occident le reconnut comme arbitre suprême (Dit de Péronne du 24 septembre 1256, réglant la succession de Hainaut et celle de la Flandre respectivement en faveur de Jean d’Avesnes et de Guillaume de Dampierre ; Dit d’Amiens du 23 janvier 1264, prononcé à la demande des barons anglais et d’Henri III en conflit à propos de la validité des Provisions d’Oxford) ; Philippe IV le Bel enfin, qui affirma avec éclat l’indépendance du pouvoir temporel à l’égard du pouvoir spirituel (conflit avec Boniface VIII, affaire des Templiers, etc.).

Cette réussite s’explique aussi par la qualité de leur entourage. Écartant, en général, de celui-ci les grands barons, supprimant même en 1191 la charge de sénéchal pour ne pas avoir à la confier au successeur du comte de Champagne Thibaud V, mort en exercice, les Capétiens font appel le plus souvent à des gens d’humble origine : clercs séculiers ou réguliers, tel Suger, l’abbé de Saint-Denis, serviteur fidèle de Louis VI et de Louis VII, tel frère Guérin, garde des Sceaux de Philippe II Auguste et chancelier de Louis VIII ; petits vassaux de l’Île-de-France, les uns titulaires des grands offices de connétable (les Montmorency), de bouteiller (les La Tour de Senlis), de chambrier, etc., les autres admis en grand nombre dès le xiie s. dans la Curia Regis, au sein de laquelle ils forment peu à peu un personnel spécialisé et compétent, à moins qu’ils ne soient appelés à exercer les fonctions de baillis et de sénéchaux, tels les Beaumanoir, qui, au xiiie s., constituent l’une des premières dynasties d’officiers ; bourgeois, enfin, qu’ils soient parisiens, comme Étienne Boileau, prévôt de Paris au temps de Louis IX, ou méridionaux, comme Guillaume de Nogaret, garde des Sceaux de Philippe le Bel.

Mais, quelles que soient leur origine sociale ou leur condition juridique, ces conseillers présentent bien des traits communs : fidélité au roi, qui assure leur fortune et leur garde en retour sa confiance ; permanence de leurs fonctions, qui leur permet d’assurer une certaine continuité politique ; modération de leur politique, qui s’explique sans doute autant par la faiblesse de leurs moyens que par leur grand nombre ; enfin et surtout haut niveau intellectuel et compétence professionnelle, également accrus au xiiie s. en raison du rôle joué dans leur formation par leur passage dans les universités, notamment dans celles (Montpellier et Orléans) qui enseignent le droit romain, mieux connu depuis l’annexion au domaine du midi du royaume, dont sont, dès lors, originaires de nombreux conseillers du souverain.