canuts (la révolte des) (suite)
L’insurrection maîtresse de Lyon
En fait, l’insurrection est embarrassée de sa victoire. Beaucoup d’ouvriers rentrent chez eux, tandis que s’organise, le 23 novembre — 2 frimaire an XL —, un « état-major provisoire », appelé ainsi parce que les chefs des ouvriers se réunissent dans le bureau de l’état-major de la garde nationale. Il s’agit d’une municipalité de circonstance qui laisse au préfet une autorité de fait.
À la tête de la « municipalité » insurrectionnelle, aux pouvoirs d’ailleurs mal définis, se distinguent les chefs des « volontaires du Rhône » : Lacombe, Romand, Boisset. Le 27 novembre, ce dernier invite par lettre les fabricants à se réunir le 29 pour nommer 24 délégués qui, avec les représentants des ouvriers, opéreront la révision du tarif. L’annonce que Louis-Philippe vient de commander 640 000 francs de soieries d’ameublement incite à un certain optimisme.
C’est se tromper du tout au tout. Le duc d’Orléans et Soult rassemblent aux portes de Lyon (du côté de Vaise) près de 18 000 hommes. Les vues de Soult sur l’insurrection se résument dans la lettre que, le 29 novembre, il adresse au roi : « Le mouvement social qui a soulevé à Lyon les dernières classes du peuple menace l’existence même de la société. » Ce qui est faux, car les insurgés prennent soin d’éviter tout pillage et font garder les entrées de la Monnaie et de la Recette générale.
L’ordre règne à Lyon
Le 1er décembre, les barrières Saint-Just et Saint-Georges tombent aux mains des troupes royales ; le lendemain, le 66e régiment d’infanterie occupe la Croix-Rousse ; le 4, le duc d’Orléans et Soult entrent dans la ville. La répression n’est pas sanglante — la cour de Riom acquittera les chefs insurgés ; elle consiste surtout dans le fait, terrible dans ses conséquences, que le tarif du 25 octobre est abrogé par Soult dès son installation à Lyon, et aussi dans la surveillance sévère dont les quartiers ouvriers de Lyon seront désormais l’objet. Le 6 décembre, Casimir Perier rappelle le préfet Bouvier-Dumolard et le remplace par un homme à poigne, Gasparin, préfet de l’Isère. La garde nationale de Lyon est licenciée ; la ville aura désormais 20 000 hommes de garnison.
Cette révolte de la misère, la première grande insurrection ouvrière qu’ait connue notre pays à l’époque contemporaine, provoque des réactions passionnées. Les possédants applaudissent à son écrasement. Ce conflit social ne suggère aux pouvoirs publics qu’une idée, rétablir l’ordre.
Les conséquences
Si la plupart des publicistes se montrent féroces à l’égard des canuts insurgés, La Mennais — que vient d’atteindre le blâme de Grégoire XVI — les salue comme les « défenseurs d’une cause juste » ; le spectacle de la révolte lyonnaise précipite certainement son évolution idéologique, et il y a beaucoup de la douleur des canuts dans les Paroles d’un croyant.
Karl Marx, à propos de l’insurrection de Lyon, parlera du « cri de guerre du prolétariat moderne ». Et Lafargue lui accordera autant d’importance qu’à la Commune de Paris. Proudhon fera de la misère lyonnaise un élément de sa philosophie. Ainsi, la révolte des canuts entre dans l’idéologie socialiste.
À Lyon, le souvenir de l’insurrection de 1831 contribuera fortement à la propagation d’un républicanisme actif et progressif ainsi qu’au développement du mutuellisme. En février 1834, une réduction de 25 centimes par aune sur le prix de façon des peluches provoquera un mouvement général de solidarité chez les ouvriers en soie ; le 14 février, 2 000 cesseront de battre. Par crainte d’une répression accrue, les meneurs finiront par faire reprendre le travail le 24 février. Mais si le but de la grève générale n’est pas atteint, les ouvriers ont fait la preuve de leur solidarité : événement dont la nouveauté frappe le monde entier.
P. P.
➙ Lyon / Ouvrière (question) / Socialisme.
F. Rude, C’est nous les canuts. L’insurrection lyonnaise de 1831 (Domat, 1954). / M. Moissonnier, la Révolte des canuts. Lyon, novembre 1831 (Éd. sociales, 1958 ; nouv. éd., 1975).