Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Canada (suite)

Le théâtre

Proscrit par l’Église au xviie s., le théâtre n’avait guère produit au xixe s. que quelques pièces de collège ou d’amateurs. Sa croissance se fait en deux étapes. Des metteurs en scène, s’inspirant de Copeau et de ses émules, bénéficiant pendant la Seconde Guerre mondiale de la présence de Ludmilla Pitoëff, constituent des troupes : le premier sera le P. Emile Legault avec ses Compagnons de Saint-Laurent. Le P. Gustave Lamarche, à l’époque, donne des « jeux scéniques » à grand spectacle, de même que Rina Lasnier. Puis vient la faveur de la radio-télévision : contrairement à ce qui se passe en Europe, ce ne sont pas des auteurs dramatiques déjà connus qui apportent des textes, mais, à l’inverse, la mise en ondes précède souvent la mise en scène, et les techniques s’en ressentent.

Plusieurs écrivains venus d’autres genres — Anne Hébert, Félix Antoine Savard, Pierre Baillargeon, l’essayiste André Laurendeau — entreprennent ainsi de communiquer avec le public sans l’intermédiaire du livre. Un Gratien Gélinas, qui a appris son métier par des revues populaires, élargit ses ambitions. Un Félix Leclerc passe sans effort de la chanson au « théâtre de campagne ». D’autres se consacrent plus entièrement à l’art dramatique : Paul Toupin, le plus classique de forme (Brutus, 1952) ; Marcel Dubé, d’un langage plus familier, au moins à ses débuts (Zone, 1953), mais qui, depuis lors, s’en est écarté sans cesser de traiter des sujets sociaux. La fantaisie se glisse dans l’œuvre de Jacques Ferron, qui est aussi conteur et romancier, et surtout chez Jacques Languirand, émule d’Ionesco et de Schéhadé (le Gibet, 1960) ; elle peut être liée à une contestation symbolique et aux hardiesses du Living Théâtre américain chez des jeunes comme Robert Gurik (À cœur ouvert, 1969).

Ainsi, la littérature canadienne-française est parvenue à l’âge adulte ; elle se détache de ses routines pour devenir originale et variée ; tout ce qui a précédé n’apparaît plus désormais que comme une préface.

A. V.

 A. Viatte, Histoire littéraire de l’Amérique française des origines à 1950 (P. U. F., 1954). / S. Baillargeon, Littérature canadienne-française (Fides, 1958). / G. Sylvestre, Anthologie de la poésie canadienne-française (Beauchemin, Montréal, 1959) ; Panorama des lettres canadiennes-françaises (ministère des Affaires culturelles, Québec, 1964). / G. Tougas, Histoire de la littérature canadienne-française (P. U. F., 1960 ; nouv. éd., 1967). / J. Hamelin, le Théâtre au Canada français (ministère des Affaires culturelles, Québec, 1964). / P. Wyczynski et coll., le Roman canadien-français (Fides, 1965). / P. de Grandpré et coll., Histoire de la littérature française du Québec (Beauchemin, Montréal, 1967-1970 ; 4 vol.). / A. Bosquet, Poètes du Québec (H. M. H., Montréal, 1968). / G. Marcotte, le Temps des poètes. Description critique de la poésie actuelle au Canada français (H. M. H., Montréal, 1969). / L. Mailhot, la Littérature québécoise (P. U. F., 1974).


Quelques écrivains majeurs


Marie-Claire Blais

(Québec 1939). Marie-Claire Biais est assez représentative de la dernière génération québécoise, bien qu’après ses études à Québec et deux séjours à Montréal coupés d’un voyage à Paris elle soit allée vivre en Nouvelle-Angleterre. Son premier roman, la Belle Bête (1960), nous introduisait déjà dans un univers de paroxysmes. Après Tête blanche (1961) et Le jour est noir (1962), Une saison dans la vie d’Emmanuel (1965) séduisait par le mélange de ses phantasmes avec une apparence de réalisme poussé au noir et obtenait le prix Médicis. Elle a continué à donner un roman chaque année, tantôt dans le même genre, avec le Manuscrit de Pauline Archange (1968), tantôt dans un esprit plus romanesque, avec l’Insoumise (1966), et la sombre poésie qui couve sous ses écrits se manifeste au grand jour dans son David Sterne (1967), profond roman du Mal, et dans les Voyageurs sacrés (1969).


François-Xavier Garneau

(Québec 1809 - id. 1866). Fils d’ouvriers, François-Xavier Garneau s’est formé lui-même. Clerc de notaire à seize ans, puis reçu notaire en 1830, il était ulcéré par le mépris des Anglais vainqueurs, qui traitaient les Canadiens français, selon une formule célèbre de lord Durham, de « peuple sans histoire et sans littérature » ; il a entrepris de leur donner une littérature en racontant leur histoire. Un séjour de deux ans à Londres, coupé d’un voyage à Paris (1831-1833), lui fournit les premiers éléments d’une documentation que ses fonctions de traducteur à la Chambre du Bas-Canada lui permettront de compléter. Après des poésies médiocres, il donna en 1845 le premier volume de son Histoire du Canada, dont le troisième parut en 1848 ; une deuxième édition (1852) poursuivra jusqu’à 1840 un récit que la précédente arrêtait à 1792. La troisième (1859) et la quatrième édition, posthume, atténueront certains propos jugés anticléricaux. Bien que périmé sur plus d’un point, Garneau est encore regardé comme l’« historien national » par excellence.


Saint-Denys Garneau

(Montréal 1912 - Sainte-Catherine-de-Portneuf 1943). Arrière-petit-fils de François-Xavier Garneau, Hector de Saint-Denys Garneau fait ses études classiques à Montréal et passe d’heureuses vacances à Sainte-Catherine, où sa famille possède une maison de campagne. Sa vitalité, qui l’entraîne dans un tourbillon de plaisirs, est compromise à l’âge de vingt-deux ans par une lésion cardiaque, et son âme tourmentée est partagée entre la foi, le scrupule et la tentation du désespoir. Il se lie au groupe de la Relève, qu’anime Robert Charbonneau. En 1937 paraissent ses Regards et jeux dans l’espace. Chez lui, la poésie devient une tentative de communiquer avec l’inexprimable, parallèle à la métaphysique ; il poursuit cet effort, avec le sentiment croissant de sa vanité, jusqu’à sa mort inattendue. Robert Elie publiera ses Poésies complètes en 1949, et Gilles Marcotte préfacera en 1954 son Journal, lui aussi d’un grand intérêt. Des Lettres à ses amis ont été publiées en 1967. L’ensemble de ses œuvres a fait l’objet d’une édition critique en 1971.


Alain Grandbois