Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Canada (suite)

L’expansion finale des Français

Contre le barrage anglais, les Français réagissent en édifiant le fort Saint-Frédéric (1731), près de l’extrémité méridionale du lac Champlain. À l’est, en 1731 également, ils profitent de l’incertitude régnant sur les limites de l’Acadie pour établir des colons sur la rivière Saint-Jean. Vers l’ouest, enfin, l’expansion militaire, accompagnée de la construction de fortins, se prolonge en une extraordinaire exploration familiale avec Pierre de La Vérendrye (1685-1749) et ses fils, encore conduits à cette époque par le désir de trouver le chemin de la Chine. Partis en 1731, ceux-ci fondent, après trois autres postes, le fort Dauphin, sur le lac Manitoba, en 1741. Le 1er janvier 1743, les fils de Pierre aperçoivent les premières dépendances des Rocheuses.

Cet apogée de la découverte marque la fin de la dernière période relativement pacifique dont ait joui le Canada français.


Une nouvelle guerre pour rien

En 1744, la guerre reprend entre la France et l’Angleterre. Un beau succès est remporté d’abord par cette dernière avec la prise de la puissante forteresse qui avait été édifiée à Louisbourg, sur l’île Royale (auj. du Cap-Breton), à l’entrée du Saint-Laurent. La contre-offensive tentée par l’imposante flotte du duc d’Anville échoue lamentablement au large des côtes de l’Acadie (1746). La France obtient cependant au traité d’Aix-la-Chapelle (1748) le retour au statu quo ante. Mais, si Louisbourg est restitué, les Anglais édifient une grande base navale dans leur Nouvelle-Écosse, à Halifax (1749). La tension entre les deux pays vaudra aux malheureux Acadiens des territoires britanniques leur « grand dérangement » de 1755 (v. Acadie).


L’aggravation de la crise franco-anglaise : le dernier conflit

À l’autre extrémité du domaine contrôlé par les Français, le grand fort Le Bœuf est édifié un peu au sud du lac Érié, en 1753, dans une région qui apparaît maintenant comme incontestablement de la mouvance anglaise. Puis le fort Duquesne est construit plus au sud encore (1754). Un émissaire est envoyé aux Français, le jeune George Washington. Peut-être à la suite d’une méprise, le chef du fort Duquesne est tué. L’aggravation de cette rivalité anglo-française joue un rôle essentiel dans le déclenchement de la guerre de Sept Ans, qui commence en 1756.

Malgré leur infériorité numérique (22 000 hommes au maximum contre 63 000 au minimum), les Français disposent de troupes d’élite et commencent par remporter des succès : le marquis de Montcalm (1712-1759), commandant en chef des régiments royaux, arrive le 13 mai 1756 et s’empare, dès l’été, d’Oswego. L’année suivante, les Français occupent le fort William Henry, sur la route d’Albany et de New York. Les auxiliaires indiens mangent à cette occasion un prisonnier anglais, regrettable relâchement aux règles de la guerre en dentelles qui plonge Montcalm dans le désespoir. En 1758, retiré un peu plus au nord, au fort Carillon (Ticonderoga des Anglais), Montcalm repousse les assauts britanniques le 6 juillet. Mais ce succès est le dernier : le 27 juillet, Louisbourg capitule une nouvelle fois ; en août, Oswego est perdu. 1759 est l’année du désastre : pendant que, par la terre, ils descendent irrésistiblement vers le Saint-Laurent, en suivant le Richelieu, les Anglais entreprennent l’attaque décisive en remontant l’estuaire du grand fleuve. À Versailles, l’envoyé de Montcalm, Bougainville, n’a obtenu que des renforts dérisoires : la guerre d’Europe épuisait toutes les ressources, et Berryer, le ministre de la Marine, aurait répondu au futur explorateur de la Polynésie : « Quand le feu est à la maison, on ne s’occupe pas des écuries. »


La chute de Québec ; la fin du Canada français

Le 27 juin 1759, les Anglais de James Wolfe s’installent à l’extrémité de l’île d’Orléans, à guère plus d’une lieue de Québec. Les premiers assauts, en aval, échouent. Mais un débarquement en amont, à l’Anse-au-Foulon, réussit dans la nuit du 12 au 13 septembre, et l’armée anglaise peut se déployer à l’aube sur le plateau qui domine le fleuve, les « plaines d’Abraham ». Montcalm contre-attaque ; c’est l’échec, la déroute. Exemple très digne d’être relevé, les deux commandants en chef trouvent la mort ; Wolfe tout de suite ; Montcalm quarante-huit heures après la bataille.

Les Français se retirent autour de Montréal et, grâce au chevalier François Gaston de Lévis, remportent encore l’année suivante une victoire près de Québec, à Sainte-Foy. Vain sursaut, car leurs forces sont chaque jour amputées par les désertions, tant chez les réguliers que chez les alliés indiens. Le 8 septembre 1760, le gouverneur Vaudreuil doit capituler à Montréal.


Le régime anglais et l’émancipation canadienne

Désormais et pendant plus de cent années, le Canada va être associé à la Couronne britannique. Ensuite, l’émancipation, au cours des cent années suivantes, verra la formation d’un grand pays indépendant. Mais, ce qui n’était guère prévisible, les Canadiens français réussiront à préserver leur originalité, posant ainsi un problème difficile à résoudre pour le Canada tout entier.


La capitulation

Les conditions de- la capitulation sont assez dures, et le vainqueur, au demeurant très « correct » dans la vie quotidienne, ne prend aucun engagement sur l’éventuel maintien des lois existantes. Le traité de Paris (10 févr. 1763) cède toutes les possessions du roi de France en Amérique du Nord au souverain anglais, sauf Saint-Pierre et Miquelon. Le problème de la religion, capital, n’est réglé qu’avec ambiguïté. Le traité dit, en effet, que les Canadiens professeront le culte de leur religion, mais dans le cadre des lois de la Grande-Bretagne, ce qui ouvre la voie à bien des restrictions.


La province de Québec

Sur le plan territorial, la proclamation royale du 7 octobre 1763 amène la disparition du Canada. Une « province de Québec » est créée de part et d’autre du Saint-Laurent, s’allongeant en pointe jusqu’au lac Nipissing. Le reste, interdit à l’expansion des Français, est rattaché à Terre-Neuve, à la Nouvelle-Écosse et forme aussi deux immenses territoires : l’un, avec les Grands Lacs, dépendant de la Couronne, l’autre appartenant à la Compagnie de la baie d’Hudson (ce dernier étant appelé aussi Terre de Rupert). Les Français sont donc réduits à vivre sur un petit territoire, guère plus étendu que celui qui fut visité par Cartier et Champlain. En outre, ils sont exclus de toute fonction publique, puisque la loi du « test » oblige les candidats à déclarer, notamment, « superstitieux et idolâtre » le sacrifice de la messe. Les gouverneurs britanniques James Murray (de 1763 à 1768) et Guy Carleton, baron Dorchester (1768-1778), sauront pourtant faire démarrer le nouveau système, en usant de beaucoup de pragmatisme et de modération, et en évitant tout heurt avec les nouveaux sujets.