Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Campra (André) (suite)

L’œuvre de Campra, riche et variée, comprend, outre de la musique dramatique, de la musique vocale profane (Airs sérieux et à boire, cantates) et de la musique sacrée, composée au début et à la fin de sa carrière : motets, psaumes, Missa « Ad majorem Dei gloriam », Requiem, Te Deum... Par ses origines, le musicien incline à puiser aux sources méridionales. Il oscille sans cesse entre diverses tendances et cherche des compromis, d’une part entre la tradition lullyste et ses aspirations personnelles, d’autre part, et presque en même temps que François Couperin, entre la musique française et la musique italienne. Son œuvre, empreinte d’une sensibilité mélodique fraîche, neuve et pleine d’invention, témoigne d’abord d’une certaine fidélité à l’esthétique française, qui veut une musique simple et « naturelle », mais subit plus fortement que l’art de ses émules l’influence étrangère. Les premiers motets, à une, deux et trois voix avec basse continue, sont remarquables par la simplicité de leur langage mélodique et harmonique. Quelques-uns ont encore une tournure lullyste (Laudate Dominum). Dès le deuxième livre, la structure de l’air d’opéra fait son apparition (Omnes gentes) ; le caractère profane des motets s’accentue, tandis que l’accompagnement instrumental (violons ou flûtes) devient plus dense (Ecce quam bonum ; Immensus es Domine). Quant au troisième livre, il accuse les qualités de l’homme de théâtre, son sens du décor, de l’effet, du pathétique et son goût de la vocalise (psaume In convertendo Domine). Les motets des derniers livres usent résolument du style cantate : ce sont moins des prières que des chants profanes qui commentent de façon dramatique le texte biblique. Ceux qui sont destinés à la chapelle royale, conservés en manuscrits, comptent parmi les plus beaux. Campra tempère sa verve et retrouve une inspiration noble et puissante, digne du cadre royal. Les psaumes pour solistes et chœurs sont de vastes constructions où les grâces du détail et de l’ornementation s’effacent devant les effets de masse du grand chœur, qui, accompagné par tout l’orchestre, s’oppose aux solistes dans un jeu mobile de contrastes dynamiques. Digne successeur de Delalande, Campra donne au style versaillais une nouvelle dimension (Requiem), moins sévère, plus souple et plus poétique.

Mais il se montre surtout novateur dans son œuvre dramatique. Non seulement il donne à la tragédie lyrique, dont Lully avait fixé le caractère et les modalités, un second souffle, mais aussi il crée l’opéra-ballet, genre qui trouve ses origines dans le ballet de cour du règne de Louis XIII et qui répond, à l’aube du xviiie s., à un changement du goût et à une nouvelle orientation des esprits. Dans la tragédie lyrique, il accepte de se plier à certaines contraintes imposées par son prédécesseur et fait preuve dans Hésione (1700) d’un métier aussi sûr que lui. Peu après, il donne Tancrède (1702), son chef-d’œuvre dans le genre. Tradition et nouveauté s’y mêlent adroitement. Le récitatif est le support de l’action, et la déclamation atteint parfois à une saisissante plénitude. Les airs expriment avec justesse les sentiments des personnages, et les chœurs sont vigoureux et colorés. L’orchestre, dont les associations variées de timbres modifient la palette, contribue, dans les pages symphoniques (ouverture, airs à danser) comme dans l’accompagnement, à l’équilibre général. Campra se distingue toutefois de Lully par son souci d’alléger les ensembles, d’user d’une harmonie plus diverse, plus riche et plus modulée. Mais il exprime plus librement sa personnalité dans l’opéra-ballet, dont il est le véritable promoteur. Ce genre réunit sous un même titre divers actes ayant chacun une action différente, mais se rapportant de près ou de loin à une idée générale (les Âges). Chaque acte est un petit opéra autonome où les divertissements et les danses s’insèrent avec vraisemblance dans l’action. Il est généralement court et fait intervenir non plus, comme dans la tragédie lyrique, les personnages de la mythologie, mais ceux de la comédie de mœurs, qui triomphait alors avec F. Dancourt. L’Europe galante (1697), dont la musique traduit harmonieusement la fantaisie joyeuse, badine et parfois bouffonne du sujet, montre que Campra a trouvé sa véritable voie. Avec le Carnaval de Venise (1699), il serre de plus près la substance du texte et, avant même de s’y être entraîné dans ses trois livres de Cantates, cherche à unir dans les airs comme dans les danses françaises et vénitiennes les deux goûts français et italien. En 1710, il réalise enfin avec les Fêtes vénitiennes le type parfait de l’opéra-ballet comique, c’est-à-dire constitué par un assemblage de véritables petites comédies en un acte. Dans cette œuvre féerique, émaillée d’airs, d’ariettes, de danses et de symphonies, souvent inspirés de l’art italien (airs avec da capo), le comique et le familier sont peints avec autant de savoir-faire que de fantaisie et d’ingéniosité. Par la suite, Campra n’innove plus. Dans les Âges (1718), il est moins spontané, mais adopte un ton alerte et gracieux qui annonce le futur opéra-comique. L’opéra-ballet devait jouer un rôle important dans l’histoire du théâtre lyrique, en contribuant à introduire dans l’opéra français des sujets plus réalistes que les aventures des dieux et des héros. On n’y donna plus toujours la primauté à la parole. On laissa parfois à la musique, à la manière de Campra, le plus grand musicien entre Lully et Rameau, le soin de peindre et d’exprimer les sentiments et de nous ouvrir les portes de la magie et du rêve.

A. V.

 L. de La Laurencie, le Goût musical en France (Joanin, 1905). / J. Ecorcheville, De Lulli à Rameau. L’esthétique musicale (Fortin, 1906). / M. Barthélemy, André Campra. Sa vie et son œuvre (Picard, 1957).

Camus (Albert)

Écrivain français (Mondovi, Algérie, 1913 - près de Villeblevin, Yonne, 1960).