Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cambodge (suite)

• La période préangkorienne (milieu du vie - début du ixe s.). Des inscriptions de la seconde moitié du vie s. sont, actuellement, les plus anciens documents concernant le Tchen-la. Aucun vestige de monument ne paraît antérieur aux premières décennies du viie s., mais quelques idoles, sans remonter jusqu’au milieu du vie s. comme on l’avait cru un moment, pourraient être attribuées à des dates un peu plus hautes. L’art, qui dès ce moment paraît en pleine possession de ses moyens, est d’inspiration essentiellement śivaïte, mais le viśnuisme et le bouddhisme sont aussi bien attestés. Durant quelque six siècles, il va témoigner de l’activité la plus intense, le pays se couvrant tout entier de fondations souvent considérables qui sont, d’abord, l’œuvre des souverains, mais aussi celle de grands dignitaires. Le site de Sambor Prei Kuk (anc. Īśānapura) réunit, en trois groupes distincts, le plus remarquable ensemble monumental des viie-viiie s. Une volonté d’ordonner les plans y est déjà manifeste ; il s’agit alors de constructions en brique, de dimensions parfois considérables, au décor relativement sobre mais d’une haute qualité, qui caractérise tout autant les nombreuses fondations disséminées dans les provinces méridionales et sur le cours du moyen Mékong. La statuaire de cette période est souvent représentée par des chefs-d’œuvre qui voisinent avec une production d’une indéniable médiocrité, due aux ateliers provinciaux dont la dislocation du Tchen-la avait favorisé l’éclosion dès le début du viiie s.

• La période angkorienne (début du ixe s. à 1431). Si le règne de Jayavarman II constitue le point de départ de la royauté angkorienne, ses fondations, surtout celles qui ont été édifiées sur le Phnom Kulên (anc. Mahendraparvata), représentent la transition de l’art préangkorien à l’art angkorien. On ne saurait pourtant lui attribuer l’invention du « temple-montagne », édifié sur une pyramide à gradins, qui, avant de devenir la fondation royale par excellence et l’expression la plus originale de l’architecture khmère, semble déjà préfiguré, environ un siècle plus tôt, par Prasat Ak Yum, à l’ouest de la future Angkor.

Avec Indravarman Ier (877-889), les fondations royales marquent un nouveau progrès et prennent, à Roluos, l’ampleur qui va caractériser le programme architectural des grands souverains khmers : creusage d’immenses bassins davantage destinés à faire du site de la capitale un lieu saint qu’à assurer son irrigation, édification d’un temple au bénéfice des ancêtres et des souverains antérieurs, temple personnel du souverain. Ce dernier est le « temple-montagne » qui, du Bàkong d’Indravarman (881) au Bàyon de Jayavarman VII (fin du xiie s.), va connaître, spécialement dans Angkor*, une fortune extraordinaire dont la construction d’Angkor Vat marquera l’apogée.

L’importance de l’activité dans Angkor ne nuit pas à celle des provinces. Outre les fondations dans Koh Ker, capitale éphémère (921-944), doivent être aussi mentionnés les grands temples édifiés aux xie-xiie s. sur des sommets (Phnom Chisor, Panom Rung, Preah Vihear surtout). Évoquant plus ou moins Vat Phu, lieu saint du royaume, ils associent avec bonheur longues avenues, terrasses et emmarchements. Vers le moment où s’achèvent ces ensembles, la construction d’Angkor Vat et de Beng Mealea affirme le mérite de l’architecture khmère.

Après la prise d’Angkor par les troupes du Champa (1177), la véritable reconstruction politique et religieuse entreprise par Jayavarman VII explique le nombre et l’importance des fondations, depuis l’ensemble d’Angkor Thom jusqu’à celles dispersées sur toute l’étendue du royaume et dans les contrées annexées (bassin du Ménam, Champa*). L’art souffre d’une exécution trop hâtive, mais le bouddhisme mahāyānique, momentanément imposé, inspire des réalisations au symbolisme complexe, dont le Bàyon, « image » de la salle d’assemblée des dieux dans la cité d’Indra, est l’exemple achevé. La sculpture, popularisée par le « sourire du Bàyon », empreinte de vie et de vérité, produit alors les plus authentiques chefs-d’œuvre.

Après le règne de Jayavarman VII, l’activité artistique se réduit considérablement : les difficultés extérieures créent un climat peu favorable à la réalisation de vastes programmes, et les progrès du bouddhisme theravādin orientent l’art dans des voies nouvelles où comptent moins la pérennité des œuvres et la gloire personnelle des souverains. En 1431, la prise de la capitale par les armées d’Ayuthia, avec la destruction ou la capture de tout ce qui, sur le plan religieux, garantissait la puissance d’Angkor, marque un tournant important dans l’histoire artistique de l’Asie du Sud-Est.

• La période postangkorienne (de 1431 à nos jours). L’ascendant du royaume d’Ayuthia*, devenu prépondérant, se manifeste sous un double aspect : assumant la conservation des traditions angkoriennes, il les redistribue dans la péninsule après les avoir marquées de son empreinte. Celle-ci est plus ou moins sensible dans l’art postangkorien, mais ce dernier n’est jamais le démarquage pur et simple des œuvres d’Ayuthia. Lors de la réoccupation éphémère d’Angkor, vers le milieu du xvie s., comme dans les capitales nouvelles et les grands monastères, il témoigne de sa fidélité à ses traditions séculaires. En dépit de leur rareté, les constructions en pierre préservent les méthodes angkoriennes (Preah Khan de Pursat), et la statuaire, surtout représentée par des images de bois, conserve, avec un idéal de sobre distinction, un caractère très personnel. La peinture, mis à part un modeste ensemble de peintures murales du xe s., n’est représentée que par des œuvres presque contemporaines, mais qui, à partir d’un répertoire bouddhique commun, préservent leur originalité propre.


L’architecture

On ignore presque tout de l’architecture du Fou-nan, qui aurait, peut-être, conservé quelques traditions mégalithiques et utilisait la brique, de fort calibre et liaisonnée à l’argile crue, pour les fondations de ses édifices (Oc-èo). Quant à l’architecture khmère, c’est à la beauté de ses plans et à la noblesse de ses réalisations plutôt qu’à la science de ses constructeurs qu’elle doit sa renommée. Ceux-ci ont utilisé la brique, presque exclusivement, jusqu’à la fin du ixe s., et sporadiquement jusqu’au début du xie s. De bonne qualité, liaisonnée après rodage, comme au Champa, avec un liant d’origine végétale, elle permettait d’obtenir des maçonneries d’une particulière solidité, se prêtant bien à la réalisation d’encorbellements (seul procédé de voûtement connu des Khmers) et à la sculpture des parements. Dans la période postangkorienne, le mortier de chaux remplacera le liant végétal. Dès la fondation d’Angkor, le grès, qui fournissait déjà les encadrements des portes et leur appareil décoratif, tend à s’imposer. Son emploi ne se généralisera qu’après 967 (Banteay Srei) ; avant la fin du xie s., tous les grands ensembles seront réalisés entièrement en grès. La latérite a joué aussi son rôle : matériau d’appoint réservé surtout au gros œuvre (ponts construits par Jayavarman VII), elle est parfois utilisée pour l’édification de sanctuaires (groupe de Koh Ker). Grès et latérite sont toujours posés à joints vifs, mais des chaînages (bois, métal) interviennent à l’occasion.