Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Calvin (Jean) (suite)

Car si la Réforme avait été prêchée à Genève dès 1532 par Guillaume Farel (1489-1565), ancien membre du groupe de Meaux, avec lequel il avait rompu à cause de la timidité de Lefèvre d’Etaples et de ses amis, s’il avait avec fougue évangélisé le diocèse de Gap, le comté de Montbéliard et la partie romande de la Suisse, si, à Genève, secondé par Pierre Viret, il avait obtenu en mai 1536 la suppression de la messe, la cause n’était pas gagnée pour autant, et le parti catholique résistait opiniâtrement.

Nommé « lecteur en la sainte Écriture », Calvin, chargé d’enseignement et de prédication biblique, est effaré par l’ignorance et l’anarchie du peuple qui se presse pour l’écouter ; de concert avec Farel, et dans le but d’organiser cette Église, il rédige quatre Articles qui sont soumis au Conseil de la ville : il faut que la communauté soit dressée comme une sentinelle prophétique du Royaume qui vient et qu’elle offre l’image bien concrète d’une société gouvernée par la Parole. La première urgence est l’instauration d’une discipline de la Cène : Calvin, qui en souhaite la célébration hebdomadaire, consent à ce qu’elle ne soit offerte aux fidèles qu’une fois par mois ; par contre, les pécheurs impénitents doivent pouvoir en être exclus. Cette excommunication lui apparaît comme une mesure pédagogique provisoire, destinée à « corriger ceux qui ne veulent pas se ranger amiablement et en toute obéissance à la Sainte Parole de Dieu ». De même, le chant public est instauré dans tous les cultes, afin que le peuple soit exercé à la prière, et l’instruction chrétienne des enfants, organisée. Une Instruction et confession de foy, dont on use en l’Église de Genève vient compléter les mesures disciplinaires, et l’on envisage de faire signer à tous les citoyens de la ville une « profession de foy ».

La ville regimbe, le magistrat craint d’être dépossédé de ses compétences et entre en conflit ouvert avec les réformateurs, prenant le contre-pied de leurs désirs et décisions. Ceux-ci, décidés à frapper un grand coup, prêchent le jour de Pâques 1538, mais — provocation délibérée — refusent de célébrer la Cène en cette solennité que les protestants ne séparent jamais du repas eucharistique. La réponse des autorités est l’exil : le 23 avril, Calvin, Farel et un autre prédicateur, Elie Couraud, quittent la ville.

C’en est fini, pense Calvin, considérant que Dieu le renvoie à ses chères études : derechef, il s’installe à Bâle. Mais Bucer est aux aguets : cette fois, c’est l’exemple de Jonas mené par Dieu là où il ne voulait pas aller qu’il lui rappelle ; il lui demande de venir à Strasbourg prendre soin pastoralement des Français réfugiés parce qu’ils fuient la persécution religieuse. En septembre 1538, Calvin accepte cette nouvelle charge ; il passera dans la capitale alsacienne trois années décisives du point de vue de son évolution liturgique et ecclésiologique.

Pasteur d’une communauté qui a subsisté jusqu’aujourd’hui et pour laquelle il met au point une liturgie et un psautier français, il est aussi professeur d’exégèse à la Haute École et participe à d’importants colloques ecclésiastiques. Mais il n’en poursuit pas moins ses travaux théologiques, préparant la seconde édition, latine (1539), puis française (1541), de l’Institution, publiant le premier de ses grands commentaires sur le texte clé de la Réforme, l’épître aux Romains, et un Petit Traité de la Sainte-Cène, où il précise sa conception du réalisme sacramentel : « ... la communication que nous avons au corps et au sang du Seigneur Jésus [...] est un mystère spirituel, lequel ne se peut voir à l’œil ni comprendre à l’entendement humain. Il nous est donc figuré par signes visibles selon que notre infirmité le requiert, tellement néanmoins que ce n’est pas une figure nue, mais conjointe avec sa vérité et substance. C’est donc à bon droit que le pain est nommé corps, puisque non seulement il le nous représente, mais aussi nous le présente. » Clairement opposée au symbolisme zwinglien, cette formulation d’une présence du Christ, garantie par le Saint-Esprit et donc réelle, recevra l’approbation de Luther vieillissant.

Cependant, Calvin n’oublie pas Genève et, comme le cardinal Jacques Sadolet (1477-1547), évêque de Carpentras, prélat humaniste et honnête, s’efforce de faire revenir les Genevois à l’Église catholique, il rédige une vigoureuse réplique à certaines accusations que le dignitaire romain a proférées contre lui : c’est l’Épître à Sadolet. Ce qu’il a voulu à Genève, ce qu’il veut partout et toujours, il l’exprime en quelques formules admirables : « Et moi, pour les retirer d’une telle erreur, n’ai point mis au vent une étrangère enseigne, mais celui Tien noble étendard qu’il nous est nécessaire suivre si nous voulons être enrôlés au nombre de Ton peuple. »

Instamment rappelé par les Genevois, Calvin s’y rend pour quelques mois en septembre 1541, avec sa femme, la paisible Idelette de Bure, veuve d’un anabaptiste converti par lui, qu’il a épousée en août 1540. Il y restera jusqu’à sa mort et, malgré un accueil triomphal à son arrivée, devra constamment faire face aux attaques « de ceux du dehors ou du dedans ». La prétendue « dictature » qu’il est censé y avoir exercée sera, en fait, le combat quotidien d’un pasteur et d’un théologien exceptionnel contre les autorités et le peuple d’une ville facilement xénophobe et de tempérament plus frondeur que spirituellement profond.

Il met en place des « ordonnances » où sont traduits les grands principes de son ecclésiologie ; il rédige en 1542 un Catéchisme dont l’architecture (explication du symbole des Apôtres, du Décalogue, de l’Oraison dominicale, baptême et sainte cène) servira de modèle à la plupart des catéchismes réformés (c’est-à-dire calvinistes) jusqu’à nos jours ; il compose enfin, à l’instar de ce qu’il a connu et pratiqué à Strasbourg, une Forme des prières et chants ecclésiastiques, pour que la liturgie des paroisses soit conforme à la substance de l’Évangile.