Calderón de la Barca (Pedro) (suite)
Les comédies lyriques de Calderón se situent entre l’opéra et la tragédie. La critique les a négligées. Le public les ignore. Et pourtant certaines sont d’authentiques chefs-d’œuvre. Eco y Narciso (Echo et Narcisse, 1661) relève de la psychologie des profondeurs. Narcisse, un jeune enfant gâté, ne parvient pas à rompre ses liens avec une mère abusive. Impuissant, il tergiverse à l’appel d’une fillette, Echo. Il se mire dans la fontaine et préfère sa propre image à la sienne. Et les dieux le changent en une fleur. Echo, désolée, devient cette nymphe éthérée et vaine qui, dans les vallées profondes, répète, sans les comprendre, les cris des voyageurs égarés. La estatua de Prometeo (Prométhée idolâtre, v. 1672) oppose ce savant, le voleur de feu, le bienfaiteur de l’humanité, à Epiméthée, son frère, un homme de guerre irritable et jaloux. Les deux titans adorent une statue, sculptée par Prométhée, qui représente Minerve. Or, le rayon de soleil dérobé par Prométhée, autrement dit le feu de l’esprit, anime la statue, qui devient une femme ordinaire, Pandore. Pour son vol, Prométhée est condamné à un supplice atroce. Or, la femme, sa créature, veut partager son sort. Le titan se réconcilie alors avec elle. Dieu lui pardonne le sacrilège du larcin et son idolâtrie. Prométhée épouse Pandore. Depuis, la race des inventeurs se perpétue dans notre monde.
Les « autos sacramentales », ces « miracles » qui, pourtant, étaient populaires, déroutent le spectateur d’aujourd’hui. C’est trop lui demander qu’un tel effort d’abstraction et d’interprétation symbolique. Les personnages se nomment Oubli ou Libre Arbitre, Prince des Ténèbres ou Entendement et changent d’identité au cours de la pièce. À la fin, le pain et le vin, qui sont les nourritures terrestres, deviennent miraculeusement la chair et l’esprit de Dieu révélé. Temps et lieu sont désaxés ou simplement abolis. L’action part de prémisses toujours différentes pour aboutir au même dénouement : la transsubstantiation. Ainsi, La Noble Hidalga del valle (la Noble Dame de la vallée), c’est l’Immaculée Conception ; Los encantos de la culpa (les Charmes de la faute), c’est l’aventure d’Ulysse auprès de Circé ; El laberinto del mundo (le Labyrinthe du monde), c’est l’histoire de Thésée. Et il y a aussi, entre les quatre-vingts petites moralités (de 1 500 vers environ chacune), Psyché et Cupidón, Le monde n’est que fiction, Le monde n’est qu’un vaste marché, La vie est un songe (deux « autos » tirés de la comédie), le Divin Orphée et Notre saint roi Ferdinand III.
Calderón connaissait admirablement les ressources de la dramaturgie : c’est un homme de métier. Son invention verbale éclaire, comme à son propre insu, des domaines vierges et secrets du « logos », de notre langage virtuel. C’est un poète. Sa conception rationnelle des rapports de l’homme et de Dieu, de la société et de la religion tente de fournir une assise solide à la nation espagnole, branlante et désemparée, de son temps. C’est un idéologue.
Par-delà les lieux et les époques, son message appelle des interprétations toujours neuves qui mettent en question ce que nous savons ou croyons savoir de notre être et de notre raison d’être. En cela il est génial.
C. V. A.
➙ Auto sacramental / Comédie / Espagne / Théâtre / Vega (Lope de).
E. Cotarelo, Ensayo sobre la vida y obra de Calderón (Madrid, 1924). / E. Frutos Cortés, Calderón de la Barca (Barcelone, 1949) ; La filosofía de Calderón en sus autos sacramentales (Saragosse, 1952). / M. Sauvage, Calderón (l’Arche, 1959 ; nouv. éd., 1973). / M. Horn Monval, Répertoire bibliographique des traductions et adaptations françaises du théâtre étranger du xve siècle à nos jours, t. IV (C. N. R. S., 1961). / C. V. Aubrun, la Comédie espagnole, 1600-1680 (P. U. F., 1966).
