Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

calcaire (relief)

Type de relief développé dans les roches calcaires d’une étendue et d’une épaisseur notables. On le désigne du nom de relief karstique (le « Karst » est une région du nord-ouest de la péninsule balkanique, située entre la Carinthie et le Monténégro, caractéristique de ce type de modelé).



Le modelé karstique

En parcourant un plateau karstique, l’observateur attentif est frappé par l’aspect souvent buriné des surfaces rocheuses. D’innombrables chenaux, profonds de quelques centimètres à. plusieurs mètres, séparent des crêtes aiguës ou des bourrelets plus ou moins arrondis, que perforent souvent des trous grossièrement circulaires ; sur les pentes fortes se développent des cannelures parallèles et verticales. Toutes ces ciselures sont appelées lapiés (ou lapiaz).

Le second trait caractéristique du modelé karstique est la présence d’un grand nombre de dépressions fermées. Il en est de toutes tailles. Les dolines, de forme circulaire ou elliptique, peuvent avoir de quelques dizaines à quelques centaines de mètres de diamètre et une profondeur comprise entre 2 et 200 m ; certaines ont une forme en entonnoir, d’autres en baquet. Les ouvalas sont des dépressions au contour sinueux, résultant de la coalescence de plusieurs dolines. Les poljés (d’un terme yougoslave signifiant « plaine ») sont des plaines fermées, longues de quelques centaines de mètres à plusieurs dizaines de kilomètres et larges de quelques kilomètres au maximum. Le Popovo Poljé, en Yougoslavie, en est un exemple souvent cité. Le fond des poljés, tapissé de dépôts meubles, contraste par sa platitude avec les reliefs abrupts et dénudés qui le dominent de toutes parts ; il est parfois accidenté de buttes aux flancs raides se dressant à la manière d’îlots rocheux, les hums. Les eaux qui viennent se perdre dans ces poljés sont absorbées par des gouffres, les ponors, qui, à certaines époques, peuvent au contraire rejeter des eaux et inonder plus ou moins complètement la plaine.

L’enfouissement des eaux est en effet le trait majeur des reliefs karstiques. Sans doute, des cañons, vallées à parois subverticales, voire surplombantes comme les gorges du Tarn, peuvent entailler profondément la masse calcaire ; mais ils sont le plus souvent creusés par des rivières allogènes prenant leur source en dehors des affleurements calcaires et suffisamment bien alimentées pour se maintenir à la traversée de ceux-ci. En dehors des cañons, on ne voit que des vallées sèches au réseau complètement désorganisé ; certaines de ces vallées viennent même se terminer dans des sortes de petits amphithéâtres : ce sont des vallées aveugles.

Dernier trait caractéristique du modelé karstique : la circulation souterraine des eaux enfouies. Celle-ci peut se faire sous pression dans des fissures et des conduits étroits ; elle peut aussi s’effectuer en écoulement libre dans des galeries et des puits. Ces galeries s’élargissent parfois en des salles, dont certaines sont gigantesques ; leurs voûtes se hérissent de stalactites tombant en somptueuses draperies ou en curieuses pendeloques, tandis que de leur plancher se dressent des stalagmites ; stalactites et stalagmites se soudent parfois en de majestueux piliers. Les réseaux souterrains, qui communiquent avec la surface du sol par des gouffres, les avens, sont d’un tracé capricieux, ainsi que le révèlent les recherches spéléologiques. Ils se développent en effet le long des surfaces de discontinuité de la roche : diaclases, plans de stratification, failles, chevauchements ; de ce fait, les galeries présentent en plan de fréquents zigzags et en coupe verticale de brusques gradins, des contre-pentes et des siphons. Les rivières souterraines, après un parcours parfois très long, donnent naissance à de grosses sources à la périphérie de la masse calcaire : les résurgences, ou sources vauclusiennes, du nom de la célèbre Fontaine de Vaucluse.


La genèse du relief karstique

L’originalité du relief karstique résulte de la propriété qu’a le calcaire d’être dissous par l’eau. L’eau pure peut dissoudre de 14 à 15 mg de carbonate de calcium par litre. L’eau chargée de gaz carbonique (CO2) peut en dissoudre jusqu’à 90 mg, en le transformant en bicarbonate de calcium :

Cette réaction ne peut se poursuivre indéfiniment, car la quantité de CO2 engagé dans le bicarbonate ne peut dépasser un seuil en équilibre avec le CO2 libre dissous dans l’eau, lui-même en équilibre, variable suivant la température, avec la teneur en CO2 de l’atmosphère.

Pourtant, il est courant de mesurer dans les eaux résurgentes des teneurs en bicarbonate bien supérieures ; dans les chenaux souterrains, ces teneurs peuvent même atteindre 300 mg par litre. C’est que, dans le sol, l’eau se charge de grandes quantités de CO2 et d’acides divers libérés par la décomposition de la matière organique.

Enfin, la réaction de la dissolution s’inverse aisément : il suffit que la pression de gaz carbonique du milieu ambiant diminue pour que le double équilibre soit rompu ; pour le rétablir, du carbonate de calcium est déposé : telle est l’origine des sources pétrifiantes.

Les eaux tombées à la surface du sol dissolvent le calcaire en ruisselant sur la roche nue ou en percolant sous le sol et y creusent des cannelures suivant la ligne de plus grande pente ou le long de fissures qui guident leur course. Ainsi naissent les lapiés, qui tendent à s’approfondir et à s’élargir. Le phénomène s’accélère de lui-même, puisque plus les fissures sont larges, plus les eaux s’y enfouissent aisément. Il semblerait pourtant que cette action cesse au-delà d’une certaine profondeur, les eaux se saturant en bicarbonate au bout d’un certain parcours et perdant toute agressivité, dans la mesure où la capacité de dissolution est limitée par leur teneur en CO2. En fait, la mise en solution exigeant un certain temps, il faut tenir compte de la vitesse de circulation des eaux : plus elle est rapide, plus les eaux conservent d’agressivité pour agir en profondeur. Comme l’élargissement des fissures accélère la circulation des eaux, on comprend que la dissolution progresse en profondeur au cours de l’évolution. Ainsi s’organise peu à peu un réseau souterrain dont le tracé est étroitement dépendant de la disposition originelle des fissures, diaclases et joints de discontinuité, qui ont guidé la pénétration des eaux.