Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cachemire ou Kāśmīr (suite)

La Vallée du Cachemire est célèbre par son ensemble d’artisanats artistiques, qui sont une des reliques de l’ancienne industrie indienne et qui doivent leur survie à de très bas salaires. L’élevage des vers à soie, disséminé dans les villages mais contrôlé scientifiquement, donne lieu à une importante industrie de soierie (concentrée dans les deux centres de Srinagar et de Jammu), qui produit des soies imprimées, notamment des saris. La laine (partiellement importée) sert à la fabrication de tapis originaux du Cachemire (les gabha brodés au point de chaînette et les namda en laine feutrée), des copies de tapis d’Orient et surtout des célèbres châles brodés. Cette industrie des châles, qui prospéra au xixe s. grâce aux achats français, est aujourd’hui beaucoup moins brillante. D’autres artisanats produisent des objets décoratifs de papier mâché, des meubles sculptés, de la maroquinerie, des fourrures. Une industrie moderne fabrique des tweeds et autres tissus. La plupart des industries sont à Srinagar, mais certaines animent de petites villes, ainsi les tapis à Anantnāg (Islāmābād) et les allumettes à Baramūla.

La vie urbaine est peu développée (16,7 p. 100 de la population). Les seules villes importantes de l’État sont Jammu (155 000 hab.), ville de contact de la plaine et de la montagne, et surtout Srinagar (404 000 hab.), particulièrement pittoresque avec ses hautes maisons de bois, ses habitations aquatiques flottant sur la Jhelam et les canaux. En raison des beautés naturelles du Cachemire, Srinagar est un des premiers centres touristiques de l’Asie. Les touristes apprécient les étés de la Vallée, tempérés et relativement secs, avantage très remarqué à une saison où les autres stations d’altitude de l’Inde sont affectées par les brouillards et les pluies diluviennes de la mousson. De nombreux étrangers recherchent les promenades traditionnelles en gondole (shikara) sur lacs et rivières ; certains affectionnent les stations plus élevées des alentours, Pahalgam, Sonāmārg, Gulmārg. Mais la saison touristique se limite à la saison chaude de l’Inde (avril à juillet).

Cette activité économique n’empêche pas une profonde misère, due au surpeuplement. L’exploitation familiale moyenne est d’un hectare dans l’ensemble de l’État. Le progrès économique est paralysé par le faible taux d’alphabétisation et par la longueur des communications ; une route en lacets de 260 km relie Srinagar à Jammu par le col de Banihal (2 700 m), qui est doublé par le tunnel de Jawahar pour la circulation en hiver. L’industrie moderne ne trouve que des sources d’énergie médiocres dans les lignites des karewa et dans quelques barrages. Le problème politique majeur reste cependant la revendication pakistanaise sur les territoires à majorité musulmane.

J. D.


L’histoire

Ce pays montagneux accroché à l’Himālaya procède d’une longue histoire : foyer humain important dès le Néolithique, il forme, en partie au ive s. avant notre ère, le royaume d’Abhisāra, plus ou moins vassal de l’empire d’Alexandre.

Intégré dès le ive s. av. J.-C. à l’aire culturelle hindoue, il fera même sous Aśoka (iiie s. av. J.-C.) et Kanishka (iie s. apr. J.-C.) partie des grands empires panindiens. Avant leur éclatement, le Cachemire se constitue en État indépendant, parfois avec beaucoup de réussite : ainsi le règne de Lalitāditya (725-753 apr. J.-C.) constitue-t-il un apogée politique (le royaume couvre l’ensemble des pays de l’Indus), économique (remarquable développement de l’agriculture et de l’artisanat) et culturel (hindouisme et bouddhisme s’y développent et prospèrent jusqu’à l’infiltration de l’islām au xive s.).

Au xive s., Zain al-‘Ābidīn, qui règne de 1420 à 1470, est le pendant musulman de Lalitāditya, en même temps qu’une sorte de précurseur d’Akbar. Exceptionnel promoteur de développement économique, de progrès social et d’union entre les communautés musulmanes et hindoues, aussi bien dans le domaine religieux que culturel et administratif, il s’efforce, bien que musulman, de réaliser une véritable osmose intercommunautaire en ouvrant les portes de son administration aux brahmanes, en abolissant la djizya (impôt extraordinaire dont étaient frappés les non-musulmans). Il est pratiquement le dernier grand souverain du Cachemire, du moins en tant qu’État indépendant.

Intégré en 1586 à l’empire d’Akbar, le Cachemire suit dès lors les vicissitudes de l’Empire moghol (Jahāngīr y meurt en 1627). Ensuite, soumis à la domination afghane, annexé en 1819 par le grand chef sikh Ranjīt Singh, il sera, à la mort de ce dernier, annexé par les Britanniques en 1839, ceux-ci devant, par le traité d’Amritsar du 16 mars 1846, le « céder » au souverain du Jammu, Gulab Singh. Depuis lors et jusqu’à l’accession de l’Inde à l’indépendance, le Cachemire, tout en conservant son autonomie interne dans le cadre de la dynastie Dogra, se verra lié à la Grande-Bretagne pour certains domaines réservés (Défense nationale, Affaires étrangères).


Le problème du Cachemire

Ayant adopté le principe de l’indépendance du sous-continent indien, de la partition de l’ancien Empire britannique entre l’Union indienne et le Pākistān, le gouvernement Attlee, en juillet 1947, aborde le problème des États princiers (c’est-à-dire ceux qui ont conservé une certaine autonomie) en prévoyant deux cas : ces États — dont le Cachemire — opteraient pour le rattachement à l’Inde ou au Pākistān ; ceux qui, après le 15 août 1947, n’auraient pas encore opté seraient considérés comme indépendants.

Or, le 15 août 1947, le mahārāja hindou du Cachemire ne s’est toujours pas décidé. C’est de cette hésitation que découlera le problème du Cachemire. Certes, pour le souverain hindou d’une population à majorité musulmane, le choix n’était guère aisé, d’autant que le pays connaissait d’assez sérieuses difficultés internes : sur environ 4 millions d’habitants, on pouvait dénombrer 75 p. 100 de musulmans, le quart restant se partageant entre hindous et sikhs. Mais la très substantielle majorité musulmane était trop souvent victime de partialité : insécurité des tenures foncières, postes administratifs accaparés par la minorité hindoue, etc. Autant de motifs de mécontentement qui rendaient la situation explosive.