Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

byzantin (Empire) (suite)

Les murs, dans leurs parties basses, sont partout revêtus de plaques de marbre. Plus haut, sur les parois ou sur les voûtes, c’est le domaine de la mosaïque : des fonds bleus ou des fonds d’or, des ciels étoiles ou brillants de nuages rouges, des paysages verdoyants et fleuris, où de longues théories de personnages s’avancent parmi les palmiers vers des visions paradisiaques. À Sant’ Apollinare Nuovo, deux processions de saints martyrs en toges blanches et de saintes en somptueux costumes de cour s’avancent vers le Christ et la Vierge, trônant sous la garde des anges. Dans les deux baptistères, les douze apôtres tournent dans une frise circulaire, autour d’un médaillon, au sommet de la coupole, où est représenté le baptême du Christ, révélation de la Trinité. À San Vitale, l’empereur Justinien et l’impératrice Théodora, entourés de hauts dignitaires, s’avancent vers un jeune Christ vêtu de pourpre, qui, assis entre des anges sur le disque bleu de l’univers, accueille saint Vital et l’évêque qui lui présente la maquette de l’église. À Sant’ Apollinare Nuovo, ce sont des agneaux et des brebis qui, dans l’abside et sous le toit, marchent vers le saint et vers le Christ juge. Car tous ces défilés conduisent à des théophanies, des compositions où le Christ homme révèle aux témoins sa divinité. Plusieurs fois, les symboles des évangélistes, apparaissant dans les cieux lumineux, portent témoignage de la croix. Souvent, les prophètes viennent à leur aide, annonçant la venue sur terre du Messie fils de Dieu.

La vie terrestre du Christ, parmi toutes ces scènes célestes, n’est représentée que par deux séries de petits tableaux, placés très haut, au-dessus des fenêtres de Sant’ Apollinare Nuovo. D’un côté, ce sont les miracles, de l’autre, les scènes de la passion, dont la crucifixion est traditionnellement exclue. Nous sommes ici dans un art tout proche de celui qui, plus anciennement, illustrait les mêmes scènes sur les reliefs des sarcophages. De même, au mausolée de Galla Placidia, tandis que les apôtres acclament la croix surgissant dans le ciel à la fin des temps, le Bon Pasteur, élégamment assis sur un rocher, garde un troupeau encore hellénistique. Et on retrouve cette même grâce dans les jardins de montagne où grimpent les prophètes, à San Vitale, ou dans l’étonnant paradis, plein de fleurs et d’oiseaux, où saint Apollinaire présente aux fidèles une transfiguration symbolique et pastorale.

En face de ce courant antique, on sent partout s’imposer la rigueur des cérémonies impériales. La gravité des apôtres, des saints, des saintes, la noblesse de leurs costumes comme de leurs attitudes, la valeur rituelle de leurs gestes prennent un caractère officiel. Les anges ont l’air de chambellans ou de gardes. Et les deux panneaux impériaux, ceux qui font apparaître à Ravenne la cour du basileus de Byzance, ne se distinguent guère que par un degré de luxe de plus, et aussi de stylisation.

Car les artistes qui ont traité toutes ces scènes ont eu certes des préoccupations théologiques. Mais ils ont eu aussi, au plus haut degré, des soucis esthétiques. D’une part, ils ont inscrit leurs sujets à l’intérieur de l’architecture, utilisant les longues frises, les étroits panneaux, les tympans des arcs, la conque des absides avec une étonnante sûreté. Tout paraît simple, tant l’agencement est savant. Et la richesse des bandeaux décoratifs, des rinceaux couvrants, des surfaces chatoyantes assure la continuité d’un décor pourtant compartimenté.

D’autre part, les mosaïstes ont accepté, profondément, les obligations de leur technique. Au cours du temps, on les voit progressivement renoncer aux volumes, simplifier les reliefs, les jeux d’ombres et de lumières, pratiquer un art linéaire où de simples traits font vivre une surface blanche ou colorée. Ce n’est pas une facilité : il suffit de considérer le détail des somptueux tissus qui revêtent les dames de la cour de Théodora, leur chatoiement de soieries brodées d’or.

Il reste que, dans ce décor qui est bien un revêtement méthodique des surfaces, où tout paraît subordonné à une impression globale de richesse souveraine et de triomphe supraterrestre, les visages gardent une étonnante intensité. Que ce soient des portraits de personnages vivants, empereurs, évêques, des portraits imaginaires déjà traditionnels — saint Pierre, saint Paul, saint André — ou encore des visages inventés — anges, prophètes ou saints —, chacune de ces faces est animée d’une vie profonde et s’impose au spectateur. À cause de la frontalité certes, des yeux agrandis, de la sérénité qu’ils expriment, mais à cause surtout de ce qu’il faut bien appeler leur spiritualité. Théodora n’était certainement pas une sainte ; dans son écrin de perles et de pierreries, son visage prend pourtant un caractère sacré. Elle est nimbée. C’est certes la majesté de l’Empire ; mais, au-delà, se manifeste la puissance de la protection divine.


Miniatures et ampoules

On rencontrerait dans d’autres monuments la mosaïque et la peinture du vie s. dont nous venons de définir les caractères à Ravenne : à Thessalonique*, au Sinaï, dans les fresques coptes* de Baouīt aussi, où l’on retrouve les galeries de saints juxtaposés, les Vierges hiératiques, le Christ apparaissant dans le ciel. Il y a une communauté évidente d’inspiration religieuse et artistique. Et il est peut-être plus intéressant encore de constater l’influence de l’iconographie monumentale sur des productions plus modestes : miniatures des manuscrits et ampoules de Terre Sainte.

L’illustration des manuscrits de l’Ancien et du Nouveau Testament, aux alentours du vie s., permet en effet de retrouver les deux tendances que nous venons de rencontrer.

On y trouve d’abord le courant même du pittoresque hellénistique. La Genèse de Vienne (conservée à la Nationalbibliothek) est décorée de grands tableaux, qui occupent chaque fois la moitié de la page. Sortant de la ville, Rébecca descend vers la source, sa cruche sur l’épaule ; puis elle donne à boire à Jacob, qu’entoure le groupe pittoresque de ses chameaux. Dans l’évangéliaire de Rossano (ou Codex purpureus), les scènes prennent un mouvement et une expression qu’elles n’ont pas à Sant’ Apollinare Nuovo, qu’elles soient composées linéairement, comme la parabole des vierges sages et des vierges folles, ou sur deux plans superposés, comme le jugement de Pilate. Mais, dans l’évangéliaire syriaque de Rabula (conservé à la Biblioteca laurenziana de Florence), copié en Mésopotamie et daté de 586, on trouve des compositions qui évoquent cette fois directement les représentations monumentales des absides — Ascension ou Pentecôte —, qui certes commémorent la fête et l’événement historique, mais surtout mettent en valeur sa signification théologique. Pour l’Ascension, s’élevant au-dessus de la Vierge et des apôtres, le Christ est bien entouré d’une mandorle, mais celle-ci est portée par le char de feu d’Ézéchiel, où l’on distingue les symboles des quatre évangélistes : allusion à la seconde venue du Christ. C’est la même tendance qu’à Ravenne.