Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bruges (suite)

Il n’en est pas de même des Catalans, ainsi regroupés dès 1330, et des Castillans, privilégiés dès 1348 et pourvus de consuls depuis 1428. Moins nombreux et plus tardivement établis à Bruges, les Portugais ne sont représentés par un facteur royal qu’à partir de 1456, tandis que les intérêts des Écossais ne sont défendus que par un Conservateur de leurs privilèges (1407), choisi par leur roi parfois en dehors de leur nation, tel le Brugeois Anselme Adornes (1472).


Place financière, ville industrielle

Grande place marchande de l’Europe au xive s., Bruges en devient naturellement l’une des principales places financières : cette primauté est soulignée par le fait que c’est dans cette ville que naît le mot « Bourse* ». Se réservant les opérations de change manuel qui se déroulent dans cinq « comptoirs fieffés » et « francs » (trois dès 1224) et dans de nombreux comptoirs non francs (quinze au maximum en 1346), les financiers brugeois se livrent peu à peu à des activités de type bancaire en faveur de leurs clients : dépôts, virements de compte à compte, avances, d’autant plus dangereuses que l’essentiel de leurs liquidités est constitué par des dépôts remboursables à vue.

Pourtant, les Brugeois n’accordent jamais de prêts à la consommation, dont ils abandonnent la pratique à des prêteurs sur gages spécialisés, les Cahorsins ou les Lombards, qui sont en fait, pour la plupart, des Piémontais originaires d’Asti ou de Chieri. Mentionnés pour la première fois en 1244, détenteurs au xve s. de quatre tables de prêts, la première ayant été autorisée en 1281, ces financiers prélèvent officiellement des intérêts considérables (43,33 p. 100 par an) malgré les interdits ecclésiastiques.

Mais ce sont d’autres Italiens, les marchands banquiers de Lucques et de Florence, qui dominent le marché de Bruges, sur lequel ils introduisent au xive s. la lettre de change.

Disposant de moyens financiers considérables, ces marchands banquiers contrôlent le marché européen des capitaux, alimentent en particulier en argent frais le trésor des comtes de Flandre, puis celui des ducs de Bourgogne. Il en est ainsi des succursales brugeoises des compagnies financières des Bardi et de Peruzzi, ces derniers ayant pour facteur le chroniqueur Giovanni Villani (v. 1280-1348) ; il en est de même du Lucquois Dino Rapondi (av. 1350 - v. 1414), qui avance à Philippe le Hardi, en 1396, la rançon de 200 000 florins de son fils Jean sans Peur, fait prisonnier par les Turcs à Nicopolis. Enfin et surtout, ce rôle financier est tenu au xve s. par la compagnie des Médicis*. Fondée en 1439, sa filiale de Bruges est dirigée d’abord par Bernardo Portinari, puis par Angelo Tani et finalement par Tommaso Portinari (1465-1480), dont les prêts excessifs à Charles le Téméraire entraînent l’abandon à son profit de cet établissement par Laurent le Magnifique, désireux d’éviter que sa faillite n’entraîne celle de ses autres filiales (1480).

L’industrie brugeoise est toujours restée étroitement subordonnée au commerce et à la finance, dont elle est issue. Ne visant pour l’essentiel qu’à assurer les besoins vitaux de sa population, ne fabriquant que de rares articles spécialisés (vêtements de confection, habits en peaux ou en fourrures, chapelets d’ambre), elle n’exporte que les seuls produits de la draperie, dont l’essor, datant de la fin du xiiie s., fait de Bruges le troisième centre producteur de Flandre, loin derrière Gand et Ypres.

Provoquant au sein de Bruges la formation d’un important prolétariat ouvrier dominé par les tisserands, rendant en outre la ville dépendante de l’Angleterre pour ses importations de laine, cette industrie favorise l’extension à Bruges des troubles que connaît la Flandre à partir de 1280.

Le conflit oppose d’abord les ouvriers du textile, surchargés d’impôts, à la bourgeoisie locale (les poorters) lors des insurrections de 1280 et de 1281 ; puis les troubles sociaux prennent une coloration politique lorsque les dirigeants de Bruges font appel, en 1301, à Philippe IV le Bel, qui nomme Jacques de Châtillon gouverneur. Au parti des poorters leliaerts (partisans des fleurs de lis) s’oppose dès lors le parti clauwaert, au moins théoriquement soutenu par le comte Gui de Dampierre (1278-1305). Dirigé par un tisserand, Pierre de Coninck († v. 1333), ce dernier parti se révolte contre l’alourdissement des charges fiscales. Ayant massacré les chevaliers français présents dans la ville dans la nuit du 17 au 18 mai 1302 (Matines de Bruges) et ayant contribué de façon décisive à la victoire remportée par les villes flamandes sur les forces royales à Courtrai le 11 juillet 1302, il se refuse à appliquer la clause du traité d’Athis-sur-Orge de 1305, qui prescrit le démantèlement de l’enceinte de Bruges, construite depuis 1297 et qui porte sa superficie à 430 ha. Il arrache au fils du comte Gui de Dampierre de nombreux privilèges, dont certains sont bientôt révoqués, mais dont le plus durable est la keure de 1304. Base du droit municipal jusqu’en 1399, cette charte contraint en effet les comtes à respecter les privilèges d’un magistrat annuel, qui doit comporter désormais une majorité de gens de métiers (9 sur 13) tant dans le collège des échevins que dans celui des conseillers. Pour faciliter ce choix, les corporations brugeoises (une cinquantaine) sont regroupées en neuf membres.

Incapables de maîtriser les tensions sociales nées de la crise du xive s. et du chômage, qui en est la conséquence, désireux de maintenir leurs liens avec l’Angleterre, exportatrice de laine, les Brugeois soutiennent dès lors tous les adversaires des rois de France. Affaiblis par les querelles internes qui opposent les tisserands aux autres travailleurs du textile (1345-1348, 1359, 1379), les gens de métier doivent finalement accepter l’autorité du comte Louis de Mâle après la défaite des milices gantoises à Rozebeke (nov. 1382).

Soumise au droit commun par son successeur Philippe le Hardi (1384-1404), qui élimine en partie, en 1399, les gens de métier du magistrat urbain au profit des milieux favorables à l’ordre établi (bourgeoisie marchande, hommes de loi, petite noblesse citadine), Bruges doit renoncer à ses rêves de république marchande, à l’heure même où elle assume le rôle de capitale de l’art flamand.