Bresson (Robert) (suite)
Le public, qui a été conquis par le premier essai de Bresson, est totalement décontenancé par le second. L’insuccès commercial des Dames inquiète les producteurs, mais il ne peut refréner l’enthousiasme de quelques critiques. André Bazin, par exemple, résume en une formule choc son admiration : « Il n’a fallu que le bruit d’un essuie-glace d’automobile sur un texte de Diderot pour en faire un dialogue racinien. »
Pour son troisième film, Bresson fait encore appel à un écrivain, Georges Bernanos. Le Journal d’un curé de campagne (1950, prix Louis Delluc), comme Mouchette tourné seize ans plus tard, suit de très près le texte écrit, et pourtant rien n’est plus éloigné de ce qu’on appelle communément une « fidèle adaptation » qu’un film de Bresson.
Lorsque Bresson projette de tourner Un condamné à mort s’est échappé, il précise ses intentions : « Je désire tourner un film d’objets et un film d’âme : on verra donc essentiellement des mains et des regards. J’ai choisi mes acteurs pour leur ressemblance morale avec les personnages qu’ils incarnent. » Dans le cinéma français, Bresson commence à avoir une singulière réputation : on se bat avec des mots en isme pour tenter d’analyser sa démarche : jansénisme, absolutisme, mysticisme, ascétisme. Après Pickpocket (1959), le Procès de Jeanne d’Arc (1962), Au hasard Balthazar (1965), Mouchette (1967), Une femme douce (1969) et Quatre Nuits d’un rêveur (1971), Lancelot du Lac (1973), le doute n’est plus permis : Bresson poursuit avec opiniâtreté une ligne de conduite de plus en plus éloignée des concessions habituelles à la profession.
Ce « maniaque du vrai » n’emploie plus d’acteurs professionnels depuis le Journal : il se méfie des comédiens formés dans le cadre rigide des conservatoires et préfère faire appel à des inconnus choisis dans divers milieux sociaux. Il a la réputation d’être un metteur en scène inflexible, dont les exigences sur le plateau sont célèbres. Celles-ci concernent non seulement le jeu des acteurs, mais encore et surtout leur diction. Son parti pris de neutralité vocale n’est pas sans irriter ceux qui estiment qu’une recherche trop poussée dans ce domaine conduit immanquablement à une absence regrettable de « naturel ».
Tous les films de Bresson sont les maillons d’une même chaîne. Ce sont avant tout des œuvres « disciplinées », attentives aux imperceptibles mouvements révélateurs des visages saisis à l’instant précis de leur tension psychologique maximale et profondément respectueuses des moindres détails qui trahissent les sentiments d’un homme avec une vérité plus cruelle que mille explications verbales (importance donnée aux gestes et aux objets dans Un condamné à mort s’est échappé et dans Pickpocket). Il est possible que, au-delà du dépouillement bressonien, ce soit le silence. Mais il se peut aussi que la voie rigide qu’il a décidé de suivre soit la seule capable de rendre au cinéma son autonomie par rapport aux autres arts.
J.-L. P.
R. Briot, Robert Bresson (Éd. du Cerf, 1957). / J. Semolué, Bresson (Éd. universitaires, 1960). / M. Estève, Robert Bresson (Seghers, 1963). / R. Droguet, Robert Bresson (Serdoc, Lyon, 1967). / The Films of Robert Bresson (Londres, 1969).