Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Brésil (suite)

Sur le plan intérieur, de menues concessions sont faites aux classes urbaines puisque le droit de vote est accordé à toutes les personnes alphabétisées (ce qui met automatiquement les paysans à l’écart de la vie politique). Au total, de 1889 à 1930, le Brésil des « coronels » reste le Brésil du café, c’est-à-dire un pays soumis aux fluctuations internationales des prix agricoles. Quant à la domination, elle apparaît dans le régime du parti unique, le parti républicain : les députés ne font pas campagne, il leur suffit d’avoir en leur faveur un certain nombre de « coronels » ; à la présidence de la République alternent un républicain de São Paulo, l’État du café, et un républicain de Minas.


Le Brésil de Vargas

La Première Guerre mondiale (le Brésil déclare la guerre à l’Allemagne en 1917) produit une brève prospérité, mais celle-ci est vite détruite par la crise de 1920, et le système est ruiné par la grande crise de 1929. La coïncidence entre le krach et la fin de la république des « coronels » n’est pas fortuite ; la crise politique permanente, qui couve depuis 1920, éclate à l’occasion de la ruine économique ; les classes moyennes naissantes, représentées par l’armée au niveau des officiers, portent, en octobre 1930, Getúlio Vargas (1883-1954) au pouvoir.

Vargas effectue une révolution telle que sa personnalité n’a plus cessé de dominer la politique brésilienne ; le premier gouvernement Vargas (1930-1945) est l’instrument du changement. Il s’appuie sur les classes moyennes, en formation, l’industrie naissante, les jeunes officiers réformistes (« les lieutenants »), les masses enfin, dont il ne perdra jamais l’appui grâce à une politique où la sincérité et la démagogie se mêlent de manière inextricable, faisant de lui un grand leader populiste, réformiste et nationaliste. Moderniser la nation et la rendre indépendante, donc détruire le pouvoir des « coronels » et industrialiser le pays, tels sont les objectifs de Vargas.

Les transformations économiques ne se font pas en un jour, car il est nécessaire de maintenir la production de café, seule source de devises, donc de ménager les grands propriétaires, et longtemps des intérêts en apparence incompatibles seront également préservés. Le développement industriel s’accélère, l’ascension des classes moyennes, l’essor du prolétariat sont facilités, mais aucune réforme agraire n’est tentée, et la société rurale est abandonnée à son sort.

« O estado novo », l’État nouveau, proclamé par Vargas en 1937, n’a rien à voir avec le fascisme, comme l’ont affirmé ses ennemis. Détruire la « démocratie », c’est s’attaquer aux « coronels », réduire la pression des groupes régionaux dont l’influence aurait encore augmenté si le système électoral avait été maintenu. En 1945, Vargas est écarté du pouvoir, après un violent discours de l’ambassadeur américain Adolf Augustus Berle Jr., qui donne le signal de l’opération préparée contre lui. Vargas, bien qu’il ait fait entrer le Brésil dans la guerre aux côtés des Alliés dès 1942 (les troupes brésiliennes participent au débarquement en Italie), ne jouit pas de la sympathie américaine à cause de ses tentatives pour assurer l’indépendance économique, ramener le pouvoir à l’intérieur du pays et procéder à son édification autonome.

Sous la présidence (1946-1951) de Eurico Dutra (1885-1974), le Brésil dissipe le bénéfice du commerce extérieur (boom de la guerre) et renverse la politique suivie pendant quinze ans, en insistant sur « la vocation agricole du pays ».


1951-1954

Le retour de Vargas à la présidence (1951-1954) est une défaite pour les intérêts qui ont conquis le pouvoir et qui conservent, malgré leur défaite électorale, le contrôle des États et du Parlement fédéral. Manquant de ressources financières, à cause de la politique du gouvernement précédent, ne bénéficiant pas de l’appui des États-Unis, Vargas, pour reprendre sa politique de développement, doit radicaliser son nationalisme économique ; il s’attaque, par exemple, aux intérêts pétroliers étrangers, en établissant un monopole d’État, Petrobrás (Pétroles brésiliens). Contre cette politique, l’opposition, liée aux intérêts étrangers, déchaîne une campagne violente qui conduit Vargas au suicide le 24 août 1954. L’armée qui a fait le coup d’État pour le déposer aurait voulu que son départ se fasse discrètement comme en 1945, mais Vargas choisit de faire un acte politique en mourant.

Message de Vargas à la nation (23 août 1954)

« Une fois de plus la force et l’intérêt opposés au peuple se sont ligués contre moi. On ne m’accuse pas, on m’insulte, on me méconnaît, on me calomnie. On ne me donne pas le droit de me défendre, on veut faire taire ma voix et empêcher que je défende comme je l’ai toujours fait le peuple et principalement les humbles... Après tant d’années de domination et de spoliation par les groupes économiques et financiers internationaux, je me suis fait le chef d’une révolution et j’ai pu triompher ; je commençai l’œuvre de libération, j’ai dû renoncer ; puis je suis revenu au pouvoir porté par les bras du peuple. À la campagne souterraine des groupes internationaux s’est jointe celle des groupes nationaux révoltés contre un régime qui donnait des garanties aux travailleurs... J’ai lutté de mois en mois, de jour en jour, d’heure en heure, résistant à une pression constante, incessante, supportant tout en silence, oubliant tout, renonçant à moi-même pour défendre un peuple qui maintenant se trouve désemparé. Ils ne veulent pas que le travailleur soit libre, ils ne veulent pas que le peuple soit indépendant. Je ne peux rien vous donner sinon mon sang. Aujourd’hui je me libère pour la vie éternelle. Mais ce peuple dont j’étais l’esclave ne sera plus l’esclave de quiconque. Mon sacrifice restera toujours dans son âme et mon sang sera le prix de son rachat. J’ai lutté contre l’exploitation du Brésil, j’ai lutté pour mon peuple, je vous ai donné ma vie, maintenant je vous offre ma mort. Je ne crains rien, avec sérénité j’effectue le premier pas sur le chemin de l’éternité pour entrer dans l’histoire. »