Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Brecht (Bertolt) (suite)

« Écrire, planter, voyager, chanter, être amical »

Car ce n’est pas une communion d’esthètes que recherche Brecht par son théâtre. C’est la participation de tous, chacun selon ses moyens, à l’entreprise de rénovation du monde. Ainsi attend-il beaucoup des critiques des spectateurs, lors des débats qui suivent les représentations de ses principales pièces ; ainsi s’efforce-t-il de guider et de stimuler la réflexion des acteurs et des metteurs en scène par des « modèles », dossiers techniques et photographiques décrivant les principales mises en scène du Berliner Ensemble, et exposant les difficultés et les discussions auxquelles ont donné lieu les répétitions de ses pièces : « Quelque chose, écrivaient Brecht et Neher en 1948, qui s’apparente au Clavecin bien tempéré. » Mais le Petit Organon pour le théâtre s’achève sur cette affirmation : « [...] le mode d’existence le plus facile est dans l’art ». L’art n’est qu’une préface à l’action. Brecht craignait que le caractère épique de son théâtre fût tenu pour une « catégorie de l’esthétique formelle » et non pour une « catégorie sociale ». Aussi ses dernières pièces relèvent-elles d’un théâtre dialectique, qui multiplie les médiations entre spectacle et spectateur. Le Cercle de craie caucasien mêle la légende chinoise, la technique japonaise du récit, les panoramas de Bruegel, le rythme des Marx Brothers, les styles et les tons, la violence et la poésie. Chanteurs et récitants interviennent, expliquent, commentent. Le théâtre est dans le théâtre. Brecht ressent un besoin d’union, de solidarité avec tous et avec toutes choses.

À ce désir d’amitié, de réconciliation, de paix dans un monde où il n’a cessé de déplorer l’impossibilité de la bonté, correspond la tendance à prendre ses distances vis-à-vis de lui-même, à éprouver son être, ses souvenirs. C’est la raison, dans ces dernières années, de son retour à la poésie. Les Élégies de Buckow établissent le bilan de tous les moments (paysages, êtres, lumières, impressions) qui font de la vie une source de joies et de possibilités humaines. Quelques jours avant sa mort, il croit apercevoir à travers sa vitre sur le sureau du jardin, pareil à celui de son enfance à Augsbourg, quelque chose de rouge et de noir :
Pendant quelques minutes, très sérieusement, je me demande
Si je dois aller chercher mes lunettes sur la table
Pour mieux voir les baies rouges sur les branchettes noires.

Ce dernier retour à l’enfance est le signe de l’acceptation lucide d’une vie dans ses doutes et ses certitudes, dans ses colères et ses actes de foi. Une vie qui le fondait à écrire :
Mais vous, quand le temps sera venu
Où l’homme aide l’homme,
Pensez à nous
Avec indulgence.

Un modèle de la nouvelle dramaturgie : « le Cercle de craie caucasien »

Dans un village caucasien détruit par la guerre, deux kolkhozes se disputent une parcelle de terre. Pour trancher la question, le délégué à la reconstruction demande à un poète de la ville de faire le récit d’une vieille légende : lors d’une révolution, l’enfant d’un gouverneur, abandonné par sa mère, est sauvé par une servante, Groucha, qui, cédant à la « tentation de la bonté », lui sacrifie sa vie. Le gouverneur ayant recouvré le pouvoir, sa femme demande au juge que lui soit rendu son fils. Le juge fait tracer un cercle au milieu duquel on place l’enfant : celui-ci appartiendra à la femme qui réussira à le faire sortir du cercle en le tirant par le bras. Groucha refuse de déchirer l’enfant qu’elle a élevé : le juge la reconnaît pour la vraie mère. La représentation de la parabole a dissipé les incertitudes des paysans russes : « Les enfants à celles qui sont maternelles... et la vallée à ceux qui l’irriguent, afin qu’elle donne des fruits. »

J. D.


Les principaux collaborateurs de Brecht

Auteur


Lion Feuchtwanger

(Munich 1884 - Los Angeles 1958). Après des études de philosophie et de littérature à Berlin et à Munich, il devient, en 1908, critique dramatique, puis entreprend à travers des romans historiques l’évocation des problèmes contemporains. C’est à Munich, en 1919, qu’il se lie d’amitié avec Brecht. En 1923, il participe à l’adaptation de l’Édouard II de Marlowe. Bien que son célèbre récit le Juif Süss (1925) ait été annexé par la propagande antisémite, Feuchtwanger émigré à l’avènement de l’hitlérisme, passe en France, puis aux États-Unis. En 1936, il collabore avec Brecht à la revue mensuelle Das Wort, éditée à Moscou. Il retrouve Brecht à Hollywood en 1941 et lui apporte, par sa connaissance de la France, de précieux documents pour la composition des Visions de Simone Machard. Feuchtwanger, qui écrira en anglais un récit sur la Résistance française (Simone, 1944), obtiendra ensuite la nationalité américaine.

Metteurs en scène


Erwin Piscator

(Ulm 1893 - Starnberg, Bavière, 1966). V. article théâtre. Quand commença sa collaboration avec Brecht, Piscator dirigeait le théâtre de la place Nollendorf : leur commune adaptation des Aventures du brave soldat Schweyk, de Hašek, fut un grand succès. Émigré aux États-Unis, Piscator retrouva Brecht à New York en 1943.


Erich Engel

(Hambourg 1891 - Berlin 1966). Après s’être consacré à de nombreuses mises en scène de Shakespeare, il collabore avec Brecht dès 1923 et réalise notamment Dans la jungle des villes, Homme pour homme et l’Opéra de quat’ sous. Après la Seconde Guerre mondiale, il dirige à Munich les Kammerspiele avant de retrouver Brecht et de prendre part aux plus grandes interprétations du Berliner Ensemble (Mère Courage, Maître Puntila et son valet Matti, le Cercle de craie caucasien, la Vie de Galilée). Il est également le réalisateur de plusieurs films.

Musiciens


Kurt Weill

(Dessau 1900 - New York 1950). Après des études à Berlin, il travaille un moment avec G. Kaiser. Sa première collaboration avec Brecht date du 14 juillet 1927 : il écrivit la musique d’un « song » et les intermèdes de Mahagonny, jeu sur des poèmes extraits des Sermons domestiques, créé au Festival de musique contemporaine de Baden-Baden. C’est l’esquisse de l’opéra de 1930 (Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny), dont Weill composera également la musique. Il travaillera à de nombreuses « pièces didactiques », comme le Vol des Lindberghs, mais sa grande réussite reste l’Opéra de quat’ sous. Avant d’émigrer aux États-Unis, Weill écrivit la musique du ballet de Brecht les Sept Péchés capitaux des petits-bourgeois, qui fut créé, en 1933, au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris, sous la direction de George Balanchine.


Paul Dessau