Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Brahms (Johannes) (suite)

L’œuvre

L’œuvre pour piano seul de Brahms comporte une cinquantaine de compositions, tant sonates, variations et ballades, que Klavierstücke divers. C’est là un ensemble qui constitue la partie la plus significative du génie du musicien. Cette production pianistique s’étend sur toute sa vie et a la valeur d’un journal intime. L’écriture pianistique présente des difficultés d’exécution redoutables, mais elle ne sacrifie jamais à la virtuosité. Par contre, elle possède un caractère symphonique très marqué (certaines œuvres comme les Variations et Fugue sur un thème de Händel contiennent de véritables suggestions orchestrales). Au point de vue du style, il faut signaler quelques tournures fréquentes : progressions de tierces, de sixtes, d’octaves, ainsi que leurs doublures, lesquelles produisent les effets symphoniques en question. Il faut noter également la tendance à choisir de grands intervalles mélodiques, ce qui contribue (s’ajoutant aux superpositions rythmiques et aux syncopes fréquentes) à donner à l’écriture pianistique de Brahms une physionomie plastique très personnelle. Quant à la forme, elle peut se réduire à trois aspects : en premier lieu, la grande forme avec les trois sonates ainsi qu’avec les pièces s’apparentant au genre ballade ; en second lieu, un groupe de caractère technique avec la série des variations ; enfin, un groupe de caractère contemplatif avec les différentes pièces lyriques de petites dimensions. Le premier groupe correspond plutôt à la jeunesse, le second à la maturité, et le troisième à la vieillesse.

La musique de chambre comporte vingt-quatre œuvres allant de la sonate à deux jusqu’au sextuor. Comme la musique pour piano, elle possède une inspiration intime, un caractère de confidence, mais elle est assujettie à un souci formel plus poussé et plus constant. Ici Brahms s’en tient strictement au cadre beethovénien et n’apporte aucune innovation dans la conduite et la structure du discours instrumental. La forme sonate et l’esprit de variation y sont exploités dans les cadres traditionnels, mais avec une singulière richesse d’invention et une infinie souplesse d’écriture. C’est dans cette partie de son œuvre que Brahms jette des thèmes avec le plus de prodigalité et que, d’autre part, le travail thématique est le plus poussé. On notera enfin que Brahms, esprit de synthèse par excellence, aime fréquemment à combiner les structures de la forme sonate et du rondo, ce qui assouplit l’un et l’autre cadre et permet une liberté très grande au discours, lui évitant toute raideur académique. L’esprit de la musique de chambre de Brahms est totalement celui de la musique pure ou, comme disent les Allemands, de la musique absolue. Toutefois, des prétextes d’inspiration sont parfois visibles : telle source littéraire dans les sonates pour violon et piano ; telle impression née de la nature, ce qui est le cas de la majorité de ces compositions ; plus rarement une suggestion de caractère tragique comme pour le quatuor avec piano opus 60.

Malgré les encouragements de Schumann, Brahms est venu relativement tard à la symphonie : une fois passé la quarantaine. L’orchestre symphonique l’avait, certes, attiré dès sa jeunesse (Sérénade, op. 11, et Variations sur un thème de Haydn, op. 56), mais il n’avait jamais été tenté par un style qui était alors en pleine vigueur et en pleine nouveauté, la musique à programme. Les quatre symphonies de Brahms s’échelonnent sur une brève période de dix ans (1876-1885). Elles sont les filles des symphonies de Beethoven et traitent avec ampleur le cadre traditionnel. Le travail thématique de développement y est très poussé, mais avec moins de souplesse peut-être que dans la musique de chambre, et l’esprit de variation y est souvent présent. Sur le plan expressif, ce sont des œuvres d’une exaltation mesurée, souvent d’un sentiment sylvestre ou pastoral, à moins que ce ne soit d’un pathétique affectueusement passionné. Œuvres de quadragénaire, elles ne jettent pas de flammes dévorantes : ce sont les fruits d’un midi sans démon. Elles ont de la grandeur et de l’éloquence, mais jamais de grandiloquence. L’orchestration en est robuste, touffue, puissante. Il est permis de la trouver épaisse à côté de bien d’autres, mais elle n’a jamais la gaucherie de celle de Schumann ni l’abondance parfois excessive de celle de Bruckner. Au même domaine symphonique appartiennent les quatre concertos de Brahms : deux pour le piano, un pour le violon, un pour violon-violoncelle. Ennemi de la virtuosité gratuite et artificielle, Brahms traite le style concertant de façon très personnelle ; le ou les solistes y sont presque constamment mêlés au discours général des instruments. Cela tient à la vocation symphonique de la pensée brahmsienne. Solistes, mais non virtuoses systématiquement acrobatiques, ils introduisent dans ces partitions un élément de variété, de contraste et de relief que n’ont pas les symphonies. Les concertos de Brahms sont brillants, puissants, mais ils se refusent aux coquetteries d’époque ; la virtuosité y est au service exclusif de la musique.

À part quelques motets pour voix, préludes, fugues et chorals pour orgue, la musique religieuse de Brahms est surtout caractérisée par le Requiem allemand, œuvre capitale et unique en son genre à la période romantique. D’esprit typiquement luthérien, l’ouvrage ne s’enferme cependant pas dans les rigueurs de la liturgie : l’esprit et non la lettre. Le compositeur choisit lui-même des textes dans les Écritures saintes, en les ordonnant en une sorte de dramaturgie rituelle, faisant de ce « grand concert spirituel » plus une ode à la mort qu’un véritable Requiem.

Le nombre des lieder de Brahms s’élève à quelque deux cents pièces. La plupart ont le caractère et le style du Volkslied, même lorsqu’ils sont essentiellement lyriques. Toutefois, on trouve, dans ce vaste ensemble, l’esprit cyclique qu’avaient exploité précédemment Schubert et Schumann. À cet égard, il convient de citer le cycle des Magelone-Romanzen sur les poèmes de Tieck, sorte de roman de chevalerie en quinze pièces dans le caractère de la ballade, ainsi que les quatre Chants sérieux, admirable cycle de méditations spirituelles sur des textes de la Bible et de saint Paul.

C. R.