Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Botticelli (Sandro) (suite)

Le mécénat des Médicis

Revenu à Florence, Botticelli fut chargé d’orner d’une figure de Pallas l’étendard de Julien de Médicis, pour une joute donnée en 1475 sur la piazza Santa Croce : les peintres de l’époque ne dédaignaient pas ce genre de tâches. Botticelli était ainsi entré en rapport avec le cercle des Médicis*. C’est un ami de l’illustre famille, le changeur Giovanni Lami, qui lui commanda vers la même date, pour sa chapelle à Santa Maria Novella, le panneau de l’Adoration des Mages (Offices), d’une composition très dense, première œuvre majeure du peintre, qui s’y est représenté lui-même en compagnie de plusieurs Médicis : Cosme l’Ancien, Pierre Le Goutteux, Jean, Julien, Laurent. On peut en rapprocher de beaux portraits individuels : celui d’un homme tenant une médaille de Cosme l’Ancien (Offices), celui de Julien de Médicis (National Gallery, Washington).

En 1478, Botticelli fut chargé de peindre les effigies des membres de la conjuration des Pazzi, pendus après leur échec ; cet ouvrage de circonstance n’a pas subsisté. C’est vers la même date que l’artiste acheva la Madone avec huit anges du musée de Berlin, « tondo » provenant sans doute de San Salvatore al Monte, et surtout son tableau le plus illustre, le Printemps (La Primavera), commandé en 1477 pour deux frères Médicis, Lorenzo et Giovanni di Pierfrancesco, et placé dans la villa di Castello, près de Florence (auj. aux Offices). La grâce linéaire qui s’y épanouit, prêtant une apparence sensible au monde idéal des penseurs néo-platoniciens et attestant du même coup que Botticelli avait trouvé un langage totalement personnel, inspire aussi les deux fresques allégoriques de la villa Tornabuoni-Lemmi (auj. au Louvre), dont les dates ne sont pas connues : un jeune homme devant l’assemblée des Arts, personnifiés par des figures féminines ; une jeune fille recevant des présents de Vénus, qu’accompagnent les Grâces.


L’intermède romain

C’est en 1481 et 1482 que prend place le séjour de Botticelli à Rome, épisode capital dans sa carrière. Aux termes d’un contrat signé le 27 octobre 1481, le pape Sixte IV lui demandait de s’associer avec Cosimo Rosselli (1439-1507), Ghirlandaio* et le Pérugin* — auxquels devaient bientôt s’ajouter Signorelli*, le Pinturicchio (1554?-1613) et Piero di Cosimo (v. 1462-1521) — pour peindre à fresque, sur les parois de la chapelle qu’il venait de faire construire au Vatican, dite « chapelle Sixtine », des histoires saintes mettant en parallèle l’Ancien et le Nouveau Testament, et contenant en même temps des allusions au ministère du pontife. La part de Botticelli consiste en trois de ces compositions : la Jeunesse de Moïse, le Châtiment des lévites rebelles et la Tentation de Jésus-Christ. Il est à remarquer que chacune d’elles, obéissant à une tradition médiévale, rassemble plusieurs épisodes. La brillante Adoration des Mages de la National Gallery de Washington est sans doute un autre témoignage de l’activité romaine du maître.


La période de gloire à Florence

À Florence, l’humanisme passionnément cultivé par Laurent le Magnifique et son entourage trouvait en Botticelli son meilleur interprète dans le langage de l’art. C’est encore pour Lorenzo et Giovanni di Pierfrancesco qu’il peignit, peu après son retour, les deux célèbres tableaux mythologiques de la villa di Castello, aujourd’hui aux Offices : Minerve et le Centaure, la Naissance de Vénus ; et c’est probablement pour le Magnifique qu’il représenta, d’après Boccace, l’Histoire de Nastagio degli Onesti, en quatre panneaux, dont trois sont au Prado de Madrid et un dans une collection particulière des États-Unis. Le tableau de Mars et Vénus (National Gallery, Londres) fut peut-être commandé par une autre famille illustre, les Vespucci. Autour de 1485, on vit Botticelli revenir au thème de la Madone, avec l’aisance de la maturité ; les variations les plus célèbres en sont la Madone au livre du musée Poldi Pezzoli à Milan, la Madone du Magnificat et la Madone à la grenade des Offices, l’une et l’autre peintes en « tondo », enfin la Madone Bardi (Berlin), commandée par Agnolo Bardi pour sa chapelle à Santo Spirito de Florence. Peu avant 1490, le peintre obtint la commande, assez rare dans sa carrière, de deux ouvrages de dimensions importantes : le Retable de saint Barnabé (Offices), pour la confrérie florentine des médecins et des pharmaciens, réunissant sur le panneau principal, devant un fond d’architecture, la Vierge assise sur un trône, six saints et quatre anges, tandis que des scènes diverses sont représentées à la prédelle ; le Retable de saint Marc (Offices), pour la corporation des orfèvres, avec le Couronnement de la Vierge et quatre saints au panneau principal, des histoires saintes à la prédelle, le tout attestant l’intervention d’élèves.


La crise finale

La mort de Laurent le Magnifique, en 1492, mit un terme à la période la plus brillante de la civilisation florentine. Après les malheurs que le mauvais gouvernement de Pierre de Médicis valut à la cité, la dictature théocratique de Savonarole* eut raison de l’humanisme. La crise politique et morale de Florence explique pour une large part celle dont Botticelli devait donner les signes vers la fin de sa vie. Ses derniers ouvrages traduisent une exaltation du sentiment religieux à laquelle l’influence de Savonarole n’est pas étrangère.

Au cours de cette période, qui est également celle des dessins pour la Divine Comédie de Dante, on ne compte qu’un seul tableau important à sujet profane, la Calomnie, peint pour Antonio Segni d’après les descriptions du chef-d’œuvre antique d’Apelle ; encore l’humanisme y est-il pénétré de méditation chrétienne. Déjà, l’Annonciation peinte vers 1490 pour Santa Maria Maddalena dei Pazzi (Offices) renouvelait le thème par des attitudes mouvementées et un climat dramatique dont la Vierge debout avec l’Enfant embrassé par saint Jean-Baptiste (palais Pitti), postérieure de quelques années, offre de nouveau l’exemple dans une mise en page singulièrement hardie. Les deux Pietà peintes vers 1495, celle de la pinacothèque de Munich et celle du musée Poldi Pezzoli à Milan, portent la tension tragique à son comble, et c’est un sentiment d’angoisse qu’exprime la figure isolée dite de La Derelitta (palais Rospigliosi, Rome), sans doute celle de la Thamar abandonnée. Cela n’empêchait pas Botticelli de peindre en même temps de petits panneaux à la facture précieuse, dans un langage moins âpre et cependant adapté à l’expression de la vie intérieure : le Saint Augustin écrivant des Offices, l’Annonciation et la Communion de saint Jérôme du Metropolitan Museum de New York, les scènes de la Vie de saint Zénobe représentées sur quatre panneaux de coffre (Londres, New York et Dresde). Enfin, les prédications de Savonarole semblent avoir directement inspiré la Nativité mystique de la National Gallery de Londres (1501) et la Crucifixion avec une vue de Florence du Fogg Art Museum à Cambridge (Massachusetts).