Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bohême (suite)

Le soulèvement de 1618 et la Montagne-Blanche

L’empereur Mathias, successeur de Rodolphe, n’a pas de fils. L’archiduc Ferdinand de Styrie, représentant d’un catholicisme extrémiste et ancien élève des Jésuites, se fait élire en 1617 roi de Bohême par la diète, où dominent pourtant les protestants. En s’appuyant sur le chancelier Zdeněk de Lobkovic (1568-1628), chef de la minorité catholique, et en luttant contre les droits des protestants, il entre en conflit ouvert avec les États de Bohême. Le 23 mai 1618, deux grands officiers catholiques, Vilém Slavata (1572-1652) et Jaroslav Bořita z Martinic (1582-1649), sont précipités d’une fenêtre du Hradčany par des nobles protestants, après condamnation des États. La défenestration de Prague ouvre la guerre de Trente Ans.

Il ne s’agit pas, comme on le verra au xixe s., d’une révolte du peuple tchèque contre un souverain étranger. Des nobles allemands participent activement à la rébellion, qui prend la forme plus traditionnelle d’un conflit entre un monarque absolu et des États défenseurs des droits du royaume. La Moravie, les Lusaces et la Silésie rejoignent la Bohême dans une Confederatio bohemica. Lorsqu’en 1619 Ferdinand devient empereur, les États proclament sa déchéance et choisissent comme roi de Bohême l’Electeur palatin Frédéric V, l’un des chefs du parti protestant dans l’Empire. Mais celui-ci ignore tout de son nouveau royaume et se montre incapable d’affirmer son autorité.

Il ne s’agit en aucun cas d’une révolte nationale et populaire : la bourgeoisie reste hostile, les paysans indifférents. L’armée de mercenaires de Frédéric V ne représente pas plus le peuple de Bohême que les mercenaires de l’armée catholique, commandée par Tilly.

L’armée des États, imprudemment engagée sous les murs de Prague, est vaincue à la Montagne-Blanche (Bílá Hora) le 8 novembre 1620. Le protestantisme de Bohême est écrasé. La répression de Ferdinand est brutale : des seigneurs catholiques de Bohême y gagnent leur fortune et une soudaine élévation. En 1628, les utraquistes et les protestants qui refusent de se convertir doivent quitter le territoire de la Bohême. Noblesse, chevalerie et bourgeoisie seront amoindries par cet exode massif. Un Comenius (Jan Amos Komenský [1592-1670]), un des plus grands savants de son temps, devra aller chercher en Hollande la tolérance qu’on lui refuse en Bohême.

La Bohême sort affaiblie de cette épreuve. L’aventure individuelle d’un noble catholique tchèque ambitieux, Wallenstein (Albrecht z Valdštejna), qui aboutit à son assassinat à Cheb en 1634, n’aurait pu, de toute manière, modifier son destin. Au cours de la guerre de Trente Ans, la Bohême sert encore de champ de bataille pour la lutte entre les troupes impériales et les troupes suédoises. Les traités de Westphalie en 1648 la laissent épuisée et ruinée, et la Lusace doit être détachée du royaume au profit de la Saxe.


L’âge baroque

Dans l’histoire de la Bohême, les xviie et xviiie s. doivent-ils laisser le souvenir de l’époque des ténèbres ou de la splendeur baroque ? Après 1620, les villes royales ont décliné et ce recul a été difficilement compensé par l’essor des villes seigneuriales, liées à la prospérité des grands domaines. Mais la splendeur de l’urbanisme de Bohême à l’âge baroque indique assez les limites de ce déclin relatif de la civilisation urbaine. Dans les campagnes, la structure solide des grands domaines a facilité à la fin du xviie s. la reprise démographique, et la population a retrouvé en Bohême son niveau antérieur à la guerre de Trente Ans.

La toute-puissance des Jésuites et le triomphe de la Contre-Réforme ont laissé partout leur empreinte par la naissance d’une nouvelle sensibilité. L’obscur et mythique saint Jean Népomucène devient, aux côtés de saint Venceslas, le grand saint protecteur de la Bohême, le héros national dont le prestige doit éclipser celui de Jan Hus. Les colonnes votives dédiées à la Sainte-Trinité ou à la Vierge, les autels et les ex-voto dispersés dans les campagnes marquent durablement la vie quotidienne et la sensibilité nationale.

La splendeur de l’âge baroque* transforme tout l’espace de la Bohême, villes et campagnes. (V. Prague, Tchécoslovaquie.)

Mais le xviiie s. n’est pas sans ombres pour la Bohême. Les guerres avec la Prusse ont transformé la Bohême en champ de bataille de l’Europe. Frédéric II réussit à s’emparer de la Silésie, peuplée en majorité d’Allemands, et à la détacher de l’Autriche et de la couronne de saint Venceslas. Le royaume de Bohême ne conserve plus que le sud de la Silésie, la Silésie tchèque, autour d’Opava (Troppau). L’affaiblissement de la Bohême vient plus encore de la politique de centralisation de Marie-Thérèse. La réforme de 1749 supprime la chancellerie de Bohême et concentre les pouvoirs administratifs à Vienne ; tandis que décline le pouvoir de la diète, le pouvoir central nomme des capitaines pour administrer les cercles de Bohême.

Cependant, l’intervention grandissante de la monarchie éclairée dans les affaires régionales peut aussi être bénéfique. En 1775, l’insurrection des paysans de Bohême montre l’exaspération de ces derniers devant leur sujétion et la rigueur de la corvée. La paysannerie aisée s’est jointe en de nombreux points à la révolte, tout en restant méfiante devant ses excès. En 1781, le jeune empereur Joseph II supprime, dans une lettre patente destinée à la Bohême et à la Moravie-Silésie, la servitude personnelle. L’ancien ordre seigneurial est ébranlé, même si la réforme laisse subsister la corvée. Désormais libre de se déplacer et de quitter le domaine seigneurial, la main-d’œuvre devient disponible pour les grandes transformations du xixe s., l’urbanisation et l’industrialisation. En même temps, par la patente de tolérance de 1781, Joseph II établit en Autriche une liberté de religion contrôlée par l’État.