Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Blocus continental (suite)

En février 1806, Napoléon interdisait l’importation des cotonnades étrangères et, simultanément, il faisait étudier les moyens d’assurer un marché pour l’industrie française dans un domaine d’obédience française, l’Italie (il faut l’ouvrir aux toiles peintes, soieries et à « tous objets des manufactures françaises », le fermer aux « toiles de coton et marchandises anglaises ») — et aussi chez un autre voisin, l’Espagne.


Les décrets et leur application

La décision tapageuse de Londres de bloquer les côtes depuis l’Elbe jusqu’à Brest, s’ajoutant à des pratiques telles que la détention de marins de commerce et de négociants français en qualité de prisonniers de guerre, fut interprétée par les Français sous la double influence de Trafalgar (oct. 1805) et d’Iéna et Auerstedt (oct. 1806).

Sans s’arrêter au fait que l’Angleterre limitait sa surveillance à la côte entre Ostende et Le Havre, Napoléon lança, de Berlin, un véritable « appel à l’opinion européenne » (André Fugier) contre la puissance qui, au mépris du « droit des gens », abusait du « droit de conquête » et faisait un « abus monstrueux » du droit de blocus afin « d’élever le commerce et l’industrie de l’Angleterre sur la ruine de l’industrie et du commerce du continent ». Dans une puissante contre-offensive, Napoléon proscrit solennellement et rigoureusement toute importation britannique. Il achève de soustraire la France au négoce britannique. « Je veux, commente-t-il, conquérir la mer par la puissance de la terre. »

Mais il va plus loin encore, désirant voir adoptées par l’Europe les mesures arrêtées pour la France : le décret de Berlin, immédiatement applicable dans l’Empire français et dans le royaume d’Italie, est sans délai « communiqué » aux gouvernements de Hollande, d’Espagne, de Naples — avec recommandation. Ainsi, Naples se ferme au commerce britannique dès décembre, tandis que l’état de guerre permet la « bataille de Hambourg » et le coup d’arrêt aux importations britanniques, si considérables, qui s’opéraient par l’artère nourricière de l’Elbe. Six mois plus tard, les armées napoléoniennes atteignent la Russie, ces « Indes européennes de la Grande-Bretagne », et, dès la rencontre de Tilsit (juill. 1807), Alexandre Ier adopte la politique napoléonienne, tandis qu’à l’autre extrémité de l’Europe les troupes françaises pénètrent en Espagne afin de « bloquer » le Portugal aux Britanniques.

Londres veut-il forcer les navires neutres à venir payer des droits dans un port britannique ? Paris décide la saisie de ceux qui se conformeront aux « Ordres en conseil » de l’adversaire (décrets de Milan, nov. et déc. 1807). Ainsi meurt définitivement le commerce des neutres, qui avait maintenu jusqu’alors un certain volume d’échanges entre les deux adversaires...

Il faut remarquer qu’il n’est pas question d’imposer le décret de Berlin et ceux de Milan aux États dépourvus de front de mer, par exemple aux États de la Confédération du Rhin. Par contre, Livourne se ferme aux Anglais en 1808, Trieste en 1809. À cette date, les produits et denrées d’origine britannique ne peuvent plus pénétrer dans les grands ports qui les ont, jusqu’ici, distribués largement et régulièrement. La mer semble bien conquise par la terre.

Cette mise en place du Blocus continental ne se sépare pas, dans l’esprit de l’Empereur, d’une politique globale en Europe, qui vise sans doute d’abord à miner le crédit de la Grande-Bretagne, considéré comme le ressort principal de sa résistance, et à l’amener à traiter, mais aussi à dominer économiquement le continent.

Le duel franco-anglais aboutit à un bouleversement des relations commerciales. Dans les nouveaux rapports, bien des Allemands du Sud, par exemple, voient l’avantage d’échapper à l’emprise britannique, d’autant plus que les Français encouragent, dans certaines limites, l’industrialisation et que le rôle et la richesse nouvelle de relais tels que Vienne, Trieste, Francfort, Augsbourg, sans parler de Lyon et de Strasbourg, représentent autant de bienfaits.


Les difficultés

Mais l’effort systématique pour substituer les produits industriels français à tous autres — plus net dans le royaume d’Italie (traité de juin 1808, décret d’octobre 1810), perceptible ailleurs (Bavière) —, la qualité moindre de nombre de produits français, leur prix fort, la diminution de la capacité d’achat des pays allemands par le drainage de leur monnaie au rythme des passages d’armées, la montée des prix des denrées coloniales, que les corsaires ne pouvaient introduire régulièrement, constituaient autant d’obstacles ou de résistances à l’entreprise — et autant de possibilités offertes à la contrebande de marchandises anglaises, grâce à la maîtrise des mers et au maintien de postes périphériques essentiels, d’abord en Méditerranée (Sicile, Malte), mais aussi dans la mer du Nord (Helgoland, Töning au Schleswig-Holstein), sans compter la Hollande, où le roi fermait les yeux, et toute la « ligne du Rhin », alimentée depuis Leipzig, Francfort et Bâle.

Napoléon se décide à des mesures de « radicalisation » par extension littorale du Grand Empire en annexant la Hollande, en projetant des glacis de surveillance sur la Baltique jusqu’à Lübeck, sur la Méditerranée jusqu’au-delà de Barcelone d’un côté, jusqu’à Rome de l’autre et enfin dans les Provinces Illyriennes le long de l’Adriatique.

L’Empire des cent trente départements correspond dès lors au domaine d’application immédiate du Blocus continental. Le système atteint une brutalité sans précédent avec le décret de Trianon (août 1810) et celui de Fontainebleau (oct. 1810) : énorme élévation des droits à l’entrée sur les denrées coloniales, confiscation et vente des denrées coloniales d’origine britannique, destruction des produits manufacturés britanniques, création de la juridiction exceptionnelle des cours prévôtales. La politique parallèle des « licences », rétablissant certains échanges avec le monde britannique, ne doit pas être comprise comme une contradiction et un échec : elle ressortit au protectionnisme, puisqu’elle doit assurer une importation contrôlée et limitée des denrées coloniales, des denrées fiscales intéressantes, une exportation française ou « impériale » de blés, de vins et de soieries. Elle respecte les buts fondamentaux du Blocus continental.