Peintre français (Villeréal, Lot-et-Garonne, 1886 - Marminiac, Lot, 1964).
Après des études aux Beaux-Arts de Bordeaux, Bissière vient à Paris (1910), où il est contraint de faire du journalisme pour vivre tout en continuant à peindre. Au contact de la vie parisienne, sa personnalité s’affirme : « J’ai commencé d’entrevoir de quoi il s’agissait vers 1918, lorsque je connus André Lhote. » Une autre rencontre importante est celle de Braque, en 1921. Ce ne sera cependant que plus tard, malgré la précocité de son talent — il peint sa première toile à dix-sept ans « sans avoir rien vu » —, qu’il accédera à une expression supérieure de son art.
Dès 1919, Bissière expose au Salon d’automne et au Salon des indépendants. Il collabore à l’Esprit nouveau, la revue d’Amédée Ozenfant et de Le Corbusier, où il publie des études sur Seurat, Ingres, Corot et Braque (1920-21). Venu au cubisme, il y apporte des qualités de densité et de sobriété, héritées des peintres français de la réalité (xviie s.), qu’il admire. Sa Nature morte au violoncelle (1921, musée national d’Art moderne, Paris) réalise une heureuse synthèse entre les exigences du cubisme et du purisme et celles de la tradition classique : reposant sur le jeu des horizontales et des verticales, cette composition évite la sécheresse grâce aux courbes pures du violoncelle.
Professeur à l’académie Ranson (1925-1938), Bissière exerce une grande influence sur les jeunes peintres — tels Alfred Manessier, Jean Bertholle, Jean Le Moal, futurs « paysagistes* » abstraits. En même temps, il continue à chercher sa voie, avec discrétion, exposant rarement : témoin de son activité, la Femme en rouge et vert (1937, musée national d’Art moderne) évoque les silhouettes hiératiques de l’art roman du Languedoc, pays natal de l’artiste.
En 1938, Bissière quitte Paris et se retire avec les siens dans la maison familiale de Boissiérette (comm. de Marminiac, Lot) : empêché de peindre par un glaucome et marqué par les malheurs de la guerre, il entreprend dans le silence des Causses, avec l’aide de sa femme, la confection de tentures étonnantes faites de morceaux d’étoffes cousus grossièrement les uns aux autres. Il exécute aussi des sculptures à partir d’objets usuels, de bois et de ferrailles.
Au lendemain de la guerre, après une opération qui lui rend partiellement la vue, il se souvient des « tapisseries » et reprend dans ses tableaux les mêmes structures : champs de couleurs unies, rectangulaires ou carrés, verticaux ou horizontaux, juxtaposés dans un jeu très libre du coloris. Tel Voyage au bout de la nuit (1955, coll. particul.) suggère un nocturne confidentiel où quelques notes colorées, ocres, brunes et rouges, ponctuent la masse sombre, profonde comme une eau dormante.
Lauréat du grand prix national des Arts en 1952, Bissière connaît un succès croissant. « Je crois que je me suis réalisé dans ma vieillesse », disait-il. C’est une vision claire, épurée de la nature que son art restitue dans le langage « non figuratif ». « Pour moi, mettre des couleurs sur une toile, c’est surtout satisfaire un besoin d’effusion [...]. La qualité d’une œuvre d’art se mesure à la somme d’humanité qu’elle contient et qu’elle dégage. » En 1954, Bissière illustre le Cantique au soleil de saint François d’Assise, recréant, à travers onze bois gravés en couleurs, une œuvre imprégnée de poésie et de ferveur.
Peu de temps avant sa mort, après la perte de sa femme « Mousse », il expose chez Jeanne Bûcher son Journal de 1962-1964, « images quotidiennes » qui témoignent de la solitude de l’artiste et de son effort pour dépasser le silence, pour communiquer. « Cette raison de vivre, je l’ai demandée à la peinture, à ces formes et ces couleurs que j’avais tant aimées [...]. Mais avant tout je désire qu’ici l’homme s’efface devant l’œuvre et que, si vous éprouvez quelque émotion devant ces images, elle soit d’ordre plastique et non sentimentale. »
Inscrite dans la tradition de l’art français, la peinture de Bissière renoue le dialogue de l’homme avec une nature secrète et méditative, accorde notre rythme intérieur et celui des saisons.
H. N.
M. P. Fouchet, Bissière (Falaize, 1955). / F. Mathey, Bissière, Journal en images (Hermann, 1965). / Catalogue d’exposition : Bissière (musée des Arts décoratifs, Paris, 1966).