Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bernin (le) (suite)

Il y a moins d’invention peut-être dans le tombeau qu’il édifia en 1633-1637, toujours à Saint-Pierre, en l’honneur de Mathilde de Toscane (morte en 1155), simple sarcophage historié surmonté de la statue colossale de la pieuse comtesse. Un peu encombrée par la tiare et l’énorme clef dont on lui a chargé le bras gauche, cette effigie annonce, par sa majesté impérieuse, les innombrables statues pédestres que les siècles suivants érigeront aux personnages illustres. Le lien entre statue funéraire et statue commémorative est d’ailleurs net chez le Bernin, qui reprit le type du pape bénissant du tombeau d’Urbain VIII pour diverses effigies monumentales d’Urbain VIII et d’Alexandre VII.


Les ensembles décoratifs

Dans la composition de ses grands mausolées, le Bernin avait la possibilité de soustraire partiellement ses figures à l’ambiance extérieure ; en incorporant certaines de ses œuvres les plus importantes à un ensemble décoratif de caractère monumental, il put mieux encore donner libre cours à son art du trompe-l’œil et à son goût pour les effets lumineux. À la chapelle Raimondi (Rome, San Pietro in Montorio, 1642-1646), réalisés sur ses dessins, deux petits monuments funéraires encadrent un autel surmonté d’un grand bas-relief représentant saint François en extase, éclairé zénithalement par une lucarne invisible. Cette disposition et ce mode d’éclairage seront repris avec beaucoup plus de luxe et d’ampleur dans la chapelle Cornaro (Rome, Santa Maria della Vittoria, 1645-1652). Au milieu d’un somptueux décor de marbre, les principaux membres de la famille Cornaro, installés dans leurs loges patriciennes, semblent assister à quelque opéra mystique dont le tableau final domine l’autel : sainte Thérèse d’Ávila, défaillante et presque invisible sous les plis tumultueux de son habit de nonne, va recevoir en plein cœur, de la main d’un séraphin dressé et ondoyant comme une flamme, la flèche d’or de l’amour divin. Cet ensemble, qui a excité autant l’admiration que le sarcasme, marque un des sommets de l’art du Bernin. Le type du séraphin se retrouve à une échelle colossale dans les belles figures d’anges porteurs des instruments de la Passion qu’il sculpta ou dont il donna le modèle pour le pont Saint-Ange à Rome. La figure de la bienheureuse Ludovica Albertoni (Rome, San Francesco a Ripa, 1671-1674) dérive directement de la sainte Thérèse. Quant aux personnages figurés à mi-corps sur les parois latérales d’une chapelle, on les retrouve dans plusieurs autres ensembles décoratifs exécutés sous la direction du Bernin.

Aucun ensemble décoratif, cependant, ne peut être comparé à celui que le Bernin eut à édifier à l’intérieur de Saint-Pierre de Rome. Au point de départ, il y eut la commande, par Urbain VIII, d’un grand ciborium destiné à surmonter le maître-autel ; le Bernin construisit de 1624 à 1632 un énorme « baldaquin » de bronze, soutenu par quatre puissantes colonnes torses et couronné de statues d’anges et de putti. Mais, malgré ses heureuses proportions, ce monument contrastait par le luxe de son décor avec l’aspect relativement austère de la coupole de Michel-Ange. Aussi un décor fut-il plaqué sur les quatre grands piliers de la croisée, où furent ménagées des loges pour l’exposition des reliques à la partie inférieure des niches à statues (1633-1640) ; un décor tout aussi somptueux fut étendu par la suite à la nef sur l’ordre du pape Innocent X (1647-48). Dans le chœur fut placée la « cathedra Petri », dominée par une gloire gigantesque (1657-1666) : ensemble étonnant où quatre statues colossales des Pères de l’Église grecque et latine soutiennent, au mépris des lois de l’équilibre, l’énorme trône chantourné qui sert de reliquaire à un antique siège alors considéré comme celui du prince des Apôtres.

Si le décor de quelques palais porte encore la marque du Bernin, ce sont surtout des fontaines qui témoignent aujourd’hui de son génie en matière de décor profane. La plus illustre et la plus importante est la fontaine des Quatre-Fleuves (1648-1651), au centre de la place Navone à Rome : un obélisque surmontant un rocher évidé en son centre, flanqué de quatre colosses reconnaissables à leur attitude et à leurs attributs. Sur la même place Navone, le Bernin édifia aussi la fontaine du More (1653-1655), d’une structure plus simple, mais dont la figure centrale est animée d’un mouvement superbe. Citons encore la fontaine du Triton (1640) près du palais Barberini.


Le Bernin architecte

L’architecture ne fut pas une activité première chez le Bernin. Elle découlait de son goût pour la décoration. Chargé d’embellir des églises, il fut amené à faire œuvre d’architecture. Bâtisseur de fontaines, il devint urbaniste.

Ni la façade de Sainte-Bibiane, ni les campaniles du Panthéon (objets de quolibets dès leur construction et démolis en 1882), ni même les travaux qu’il conduisit au palais Barberini et au palais Montecitorio ne lui assureraient un rang éminent parmi les architectes. Sa première œuvre importante fut le campanile de Saint-Pierre de Rome (1637-1642), qui fut l’occasion de sa brève disgrâce auprès d’Innocent X et qu’il dut démolir. Heureusement, ses autres entreprises eurent plus de succès : la colonnade de la place Saint-Pierre, dont le projet remonte à 1656, et la « Scala Regia » (1663-1666), au pied de laquelle la statue équestre de Constantin, cabrée sur un fond de draperie volante, assure la liaison avec le vestibule de la basilique. Presque simultanément, le Bernin donnait les plans et supervisait la décoration de l’église Sant’Andrea al Quirinale.

En dépit d’une carrière essentiellement romaine, il fut amené, cependant, soit à donner son avis sur des entreprises extérieures à Rome (palais ducal de Modène), soit même à fournir des plans d’édifices religieux (églises d’Ariccia et de Castel Gandolfo). Exceptionnellement, pour des motifs diplomatiques et en raison de la personnalité du « client », il vint à Paris, en 1665, étudier sur place et présenter à Louis XIV ses projets pour le Louvre : peu adapté au goût parisien d’alors, ce Louvre du Bernin ne dépassa pas le stade d’une implantation partielle des fondations, comme l’ont révélé avec beaucoup de précisions les fouilles de 1964.