Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Abd el-Kader (suite)

Abd el-Kader seconde de plus en plus efficacement son père, qui, tout en reconnaissant la suzeraineté du sultan marocain, regroupe les tribus des régions de Mascara et de Tlemcen, et prépare la résistance aux chrétiens : le 27 avril 1832, le vieux chef proclame le « djihād », la guerre sainte, et, en mai, il tente de s’emparer d’Oran. C’est un échec, mais le jeune Abd el-Kader se fait remarquer par sa vaillance En novembre, les tribus décidées à la lutte se réunissent aux portes de Mascara. Une nouvelle apparition de son ancêtre entraîne Mohieddine à demander le pouvoir pour son fils. L’assemblée choisit avec enthousiasme Abd el-Kader comme sultan : le jeune chef se contente, en fait, du titre plus simple d’« émir », car il reconnaît comme son père la suprématie du sultan du Maroc.

Dès 1833, Abd el-Kader reprend la lutte contre les Français, commandés par un nouvel arrivé, le général Desmichels, qui veut « se donner de l’air » aux dépens de tribus situées dans la mouvance du jeune émir. Mais Desmichels, devant les critiques de plus en plus vives formulées en métropole contre les projets de conquête, en vient vite à rechercher l’entente avec son adversaire : le traité du 26 février 1834 reconnaît à Abd el-Kader le titre de « commandeur des croyants » et lui laisse encore son autorité sur tout l’ancien beylicat d’Oran, jusqu’à Miliana à l’est. L’année suivante, en avril 1835, l’émir étend même son pouvoir jusqu’à Médéa, aux dépens de tribus qui se sont soulevées contre les Français : ces derniers, en position difficile, ne peuvent guère s’opposer à cette expansion.

Mais le général Trézel a remplacé, à Oran, le général Desmichels, considéré comme trop faible. Les conflits reprennent bientôt avec les Arabes, les Français voulant prendre sous leur protection des tribus qu’Abd el-Kader considère de sa dépendance. Le 28 juin, l’émir inflige à Trézel un rude échec à la Macta. Sous l’impulsion du maréchal Clauzel, nommé gouverneur général de l’Algérie, la contre-offensive française aboutit à l’occupation de Mascara (6 déc.), puis de Tlemcen (13 janv. 1836). En fait, les forces de l’émir se reconstituent très vite et reprennent les territoires que les Français, trop peu nombreux, ne peuvent occuper. Pour rétablir la situation, Louis-Philippe envoie en Algérie un chef réputé, Bugeaud, qui remporte un premier succès au ravin de la Sikkak (6 juill. 1836). En novembre, Bugeaud échoue cependant dans une tentative contre Constantine : Abd el-Kader en profite pour bloquer Oran, et le nouveau commandant en chef français doit traiter avec l’émir, en mai 1837, près de la Tafna. Abd el-Kader voit son domaine étendu jusqu’aux confins du beylicat de Constantine. Celui-ci s’effondre après la prise de sa capitale par les Français en octobre 1837, ce qui ne résout pas les problèmes de souveraineté sur ce territoire. Dans le nouveau vide politique ainsi créé, les Français et Abd el-Kader vont s’affronter : des interprétations divergentes du traité conduiront à la renaissance de la guerre, au dernier épisode de la lutte d’Abd el-Kader. Bugeaud veut faire signer à l’émir un traité additionnel pour fixer, de façon plus restrictive, la limite du domaine arabe. Les Français n’obtiennent que l’accord personnel de l’ambassadeur d’Abd el-Kader, et ce dernier estimera comme un acte de guerre l’expédition que dirigera le duc d’Orléans pour relier Constantine à Alger, à travers des territoires dont il déniait aux Français le droit de les traverser. Les combats reprennent dans la Mitidja en novembre 1839. Les Français connaissent une période difficile. En décembre 1840, Bugeaud est nommé gouverneur général de l’Algérie pour rétablir la situation. Ses « colonnes mobiles » occupent les principales villes de l’intérieur qui étaient tenues par Abd el-Kader : dès 1841, Tagdempt (près de Tiaret), Mascara, Boghar et, en 1842, Tlemcen. En même temps, les Français s’attaquent à ce qui fait l’essentiel des richesses des tribus alliées de l’émir : les troupeaux sont confisqués, les récoltes détruites. La guerre prend un caractère inexpiable, et les ressources d’Abd el-Kader diminuent avec la ruine sans cesse aggravée des régions qu’il parcourt. Enfin, le 16 mai 1843, un officier du duc d’Aumale découvre par hasard l’immense campement formé par la capitale mobile de l’émir, la smala. Une charge de cavalerie la disperse. Le coup est très rude pour Abd el-Kader, qui doit se réfugier sur les confins marocains. Mais la défaite de l’Isly (14 août 1844) oblige le sultan du Maroc ‘Abd al-Raḥmān à refuser toute aide de son hôte, et même à le déclarer hors-la-loi. Dès lors, Abd el-Kader doit en revenir à une lutte de partisans, ce qui lui procure des succès, notamment à Sidi-Brahim et dans la région d’Aïn-Temouchent (septembre 1845). Il opère même en 1846 sa jonction avec les Kabyles. Il n’est repoussé vers le Maroc qu’avec de grandes difficultés. L’hostilité, cette fois ouverte, de ‘Abd al-Raḥmān va causer la perte de l’émir, rejeté en Algérie et auquel la voie du Sud est coupée par les Français. Abd el-Kader doit se rendre à Lamoricière le 23 décembre 1847, puis au duc d’Aumale le lendemain.

Lamoricière, comme le duc d’Aumale, avait promis à l’émir, lors de sa reddition, de le conduire en terre d’islām à Alexandrie ou à Saint-Jean-d’Acre. En fait, on l’interne d’abord à Toulon, au fort Lamalgue. La IIe République n’exécute pas la promesse de la royauté, et l’ancien chef arabe est transféré à Pau (avr. 1848), puis, comme il proteste de plus en plus vivement, à Amboise (nov. 1848). Il y reste jusqu’en 1852. Enfin, le 16 octobre, Louis Napoléon lui rend la liberté. Abd el-Kader lui écrit : « Vous m’avez mis en liberté, tenant ainsi, sans m’avoir fait de promesses, les engagements que d’autres avaient pris envers moi et n’avaient pas tenus. [...] Je n’oublierai jamais la faveur dont j’ai été l’objet. » Abd el-Kader, lui, sera fidèle à son dernier engagement : doté d’une pension de 100 000 francs par an, il part pour la Turquie en décembre, après avoir visité Paris, et se retire à Brousse. Accueilli sans chaleur, il prend prétexte de la dévastation de la ville par un tremblement de terre pour gagner Damas, où vit une importante colonie algérienne. Il se montre désormais un ami des Français et des chrétiens maronites, contribuant notamment à sauver des milliers de personnes en juillet 1860, lors de l’insurrection des Druzes. On lui donne alors le grand cordon de la Légion d’honneur, et sa pension est portée à 150 000 francs. Certains songent même à lui confier une sorte de vice-royauté de l’Algérie. Pourtant son rôle pendant la guerre de 1870 est controversé. Dans plusieurs lettres aux autorités françaises, il aurait vivement condamné l’un de ses fils qui tentait de reprendre la lutte en Algérie : ces documents sont considérés comme des faux par certains, qui y voient l’œuvre de l’administration coloniale.

En tout cas, les rapports d’Abd el-Kader avec la France semblent dès lors se refroidir, et ses fils vont achever leurs études non pas à Paris, mais en Prusse et en Angleterre.

S. L.

➙ Algérie.