Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Berbères (suite)

Le fonctionnement des institutions

L’organisation politique des Berbères se présente sous deux formes : une forme aristocratique, commune chez les Touaregs et accidentelle chez les autres groupements (c’est le cas des « seigneurs de l’Atlas ») ; une forme moins hiérarchisée, aboutissant à ce que Robert Montagne a nommé les « républiques berbères ».

Le fondement s’en trouve dans l’organisation du village lui-même, régi par une assemblée (tajmaat) groupant les chefs des familles étendues. Selon les cas, cette assemblée peut exister à un échelon supérieur (celui de la fraction ou de la tribu), constituée alors par les délégués du village ou de la fraction. Les décisions des assemblées doivent être prises à l’unanimité, en l’absence d’un pouvoir politique spécialisé, doté du pouvoir coercitif.

Cette absence est d’ailleurs caractéristique des sociétés berbères et a posé le problème de leur fonctionnement. R. Montagne en vit la solution dans l’existence d’oppositions binaires, de « moitiés » (soff en Algérie, leff au Maroc), dont l’opposition aurait garanti l’ordre. Les diverses unités (village, fraction, tribu) se divisent traditionnellement en deux clans opposés : « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas » par exemple. La nature réelle de ces oppositions demeure inexpliquée. Elles semblent souvent porter davantage sur les dénominations que sur des contenus. Elles sont plus des oppositions virtuelles pouvant entrer en jeu à l’occasion d’événements déterminés que des institutions stables.

Un essai d’explication du fonctionnement de cette société a été proposé par Ernest Gellner. Selon cet anthropologue, la société berbère se définirait essentiellement par la volonté d’autonomie envers le pouvoir central, par la « volonté de dissidence » : ce serait une société segmentaire, où l’opposition des groupes et la dispersion du pouvoir sur des points de segmentation multiples assureraient tant bien que mal le fonctionnement du système. Il s’agit là du passé des sociétés berbères, car, aujourd’hui, elles sont intégrées dans le tissu administratif des États dont elles font partie.


Particularités religieuses et juridiques

Tous les Berbères, aujourd’hui, sont musulmans, mais leur islām laisse transparaître des résidus de ce qui dut être leur religion antérieurement. Il faut citer tout particulièrement le culte des « intermédiaires » : rochers, hauts lieux, arbres, qualifiés de gardiens, souvent islamisés superficiellement sous le patronage d’un saint marabout. De même, les pratiques magiques, en usage chez les femmes et apparentes jusque dans l’ornementation des maisons (poteries, tapis), semblent relever d’anciens cultes naturistes.

Le droit se caractérise par la permanence de droits coutumiers non écrits ou de fixation récente (qanoun en kabyle, ittifaquat en mozabite). Ce sont généralement des codes répressifs, qui énumèrent délits et amendes correspondantes ; mais ces codes eux-mêmes ne sont pas uniformes.

La situation défavorable réservée à la femme par le droit coutumier (arbitraire du mari, répudiation aisée, absence de droits sur les enfants, etc.) est plus ou moins compensée par la pratique selon les régions : stricte en Kabylie, plus large dans les Aurès ; mais l’influence exercée par la femme dans la société berbère lui réserve une place plus importante que ne le laisserait prévoir son statut théorique.

G. G.


L’histoire

L’ensemble linguistique dit berbère, qui doit aux Romains sa désignation générique (berbère n’est que la déformation du mot barbare), n’est jamais parvenu à réaliser son unité politique, sinon sous des dominations étrangères (romaine, arabe, française). Et quand ses membres ont fondé des États organisés cohérents (royaume numide de Masinissa [v. 238-148 av. J.-C.], royaume mauritanien de Juba II [v. 52 av. J.-C. - v. 24 apr. J.-C.]), ces derniers ont toujours eu une expansion territoriale limitée et une vie historique assez brève.

De cette situation, le cadre géographique est en partie responsable : son morcellement en nombreuses petites plaines et en hauts plateaux isolés par des montagnes difficilement franchissables facilite la dispersion en tribus indépendantes, que rapprochent peut-être un culte commun des forces de la nature et une pratique également commune des rites agraires, mais qu’opposent bien plus nettement de farouches oppositions ethniques (Nasamons et Psylles de Libye, Gara-mantes du Sahara, Numides, Gétules et Maures du Maghreb).

Voués au nomadisme pastoral lorsqu’ils sont implantés sur les hauts plateaux steppiques ou aux confins du désert, ces peuples sont capables de se sédentariser et de pratiquer la céréaliculture dans les régions où les conditions hygrométriques rendent sa pratique possible. Il en est ainsi dans les hautes plaines constantinoises, où les Carthaginois se portent acheteurs de blé et où ils recrutent auprès des princes numides les mercenaires dont ils ont besoin pour constituer l’ossature de leurs armées, ce qui facilite la « punicisation » des chefs berbères par voie matrimoniale.

Mais la révolte des mercenaires impayés et sa répression (241-237) au lendemain de la première guerre punique, la défaite de Cartilage au terme de la deuxième guerre punique, enfin les rivalités entre les princes numides ainsi que les intrigues romaines favorisent paradoxalement la constitution d’un premier État berbère allié aux Romains, celui du roi numide Masinissa, qui, en occupant les colonies carthaginoises, déclenche un conflit d’où sort la troisième guerre punique, au terme de laquelle Carthage est détruite (146).

Dès lors, à l’influence civilisatrice de Carthage, qui se manifestait en particulier dans les domaines linguistique (nombreuses inscriptions en langue néo-punique) et religieux (passage des Berbères d’un animisme purement agraire à un polythéisme plus nettement organisé), se substitue celle de Rome, qui renforce la politique de sédentarisation et d’urbanisation déjà ébauchée par Masinissa en Numidie, où les marchands romains se rendent désormais pour acheter du blé.