Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Bellini (les) (suite)

G. Bellini et l’école vénitienne

Bellini ne fait peut-être pas figure de révolutionnaire, mais le retentissement de son œuvre fut capital. Aux peintres de Venise, il enseigna la plénitude de la forme, les ressources de la couleur, le goût de la nature, l’expression du sentiment. Dans son atelier, rival de celui d’Alvise Vivarini (v. 1446 - apr. 1503), il forma de nombreux élèves, dont certains allèrent travailler sur la terre ferme : Andrea Previtali († 1528) à Bergame, Antonio Solario à Naples. Dans la première moitié du xvie s., beaucoup de peintres devaient encore subir l’attrait de sa manière, dont la mode s’écartait pourtant : Vincenzo Catena († 1554), Francesco Bissolo († 1531), Bartolomeo Veneto, Rocco Marconi († 1529), voire Titien dans sa jeunesse.


Gentile Bellini

Gentile subit d’abord comme son frère l’influence de Mantegna, qui apparaît notamment dans une grande figure de Saint Laurent Giustiniani (1465, Académie de Venise) et dans les deux volets d’orgue de San Marco. Contrairement à Giovanni, ce n’est pas dans l’invention qu’il devait ensuite donner sa mesure, mais dans le réalisme descriptif. Il avait peint à Venise les portraits des doges ; celui de Mahomet II, conservé à la National Gallery de Londres, rappelle qu’il se rendit à Constantinople en 1479. Revenu dans sa ville natale, il mit à l’épreuve son talent de portraitiste dans ces grandes toiles à nombreux personnages qui lui valurent la célébrité. Si l’incendie de 1577 a détruit les compositions historiques qu’il avait peintes avec la collaboration de Giovanni au palais des Doges, on a gardé (à l’Académie) le cycle qui décorait la Scuola di S. Giovanni Evangelista (v. 1495). De ces peintures, représentant les miracles opérés par une relique de la Croix, trois sont de Gentile, les autres de Giovanni Mansueti († 1527), Lazzaro Bastiani († 1512) et Carpaccio*. Maints détails de la vie vénitienne y sont rendus avec une exactitude qui n’exclut pas la poésie. Dans les premières années du xvie s., Gentile reçut la commande d’un ensemble de ce genre destiné à la Scuoda Grande di S. Marco ; pour évoquer l’Orient dans la Prédication de saint Marc à Alexandrie (Brera, Milan), il utilisa les carnets de dessins rapportés de son voyage à Constantinople.

B. de M.

 V. Goloubew, les Dessins de Iacopo Bellini (G. Van Oest, 1912). / L. Dussler, Giovanni Bellini (Francfort, 1935). / R. Palluchini, Giovanni Bellini (Milan, 1959). / M. Röthlisberger, Studi su Jacopo Bellini (Venise, 1960). / Tout l’œuvre peint de Giovanni Bellini (Flammarion, 1975).
CATALOGUE D’EXPOSITION. Mostra di Giovanni Bellini (Venise, 1949).

Bello (Andrés)

Écrivain et homme politique hispano-américain (Caracas 1781 - Santiago du Chili 1865).


Vénézuélien par sa naissance et sa première formation, Chilien d’adoption, Bello appartient de fait à l’Amérique hispanique tout entière, qui salue en lui le maître à penser comme elle salue en son compatriote Bolívar le libertador. Son époque est celle où les jeunes nations américaines n’étant plus tenues en lisières par l’Espagne cherchent un guide pour conduire leurs premiers pas sur les voies de la liberté. Bello apparaît précisément comme le guide, le mentor au génie lucide et réaliste qui, dans des domaines aussi différents que la poésie, le droit, la philologie, la pédagogie, sait toujours maintenir au premier rang de ses préoccupations le destin du nouveau continent.

Cette grande figure hispano-américaine, qui vécut plus de la moitié de sa longue existence hors de sa patrie, ne cessa pourtant jamais de porter un amour très sincère à son Venezuela. C’est à Caracas, sa ville natale, qu’il fit ses humanités, s’éprit de Virgile et des classiques espagnols, fréquenta les salons où il brilla par son érudition précoce et ses dons d’habile versificateur. Précepteur (il compta Bolívar parmi ses disciples), fonctionnaire colonial, il accompagnait Humboldt et Bonpland dans leurs excursions scientifiques lorsque survint l’événement qui allait inaugurer une nouvelle étape de sa vie : le 19 avril 1810, le capitaine général était destitué par une junte révolutionnaire.

Trois mois plus tard, Bello est à Londres, chargé par la junte de chercher des appuis en faveur du mouvement d’émancipation. Londres, c’est pour Bello la première rencontre avec un monde hautement civilisé au regard du sien, le contact direct et vivifiant avec une civilisation raffinée. De ce contact va naître le Bello érudit qui cultivera l’amitié des philosophes et des savants de son temps (Bentham, James Mill, etc.), sera l’hôte assidu des bibliothèques, se passionnera de littérature médiévale espagnole, jetant les bases d’une longue et savante étude sur le Poème du Cid, ce qui ne l’empêchera point, par ailleurs, de réclamer l’indépendance littéraire de l’Amérique dans son ode Allocution à la poésie (1823), où la muse est invitée à quitter la docte Europe pour chanter le Nouveau Monde. De l’époque anglaise date aussi son célèbre poème À l’agriculture dans la zone torride (1827) : ici, l’exilé, perdu au milieu des brumes londoniennes, exalte la nature tropicale, qui lui paraît d’autant plus paradisiaque qu’elle est lointaine, et invite ses compatriotes à la réconciliation. Tableau brillamment coloré où l’on voit représentés les grands flamboyants, les fromagers, les lianes des forêts et jusqu’aux produits les plus familiers des terres chaudes, que le vers ennoblit, la patate, le maïs, le tabac, le café, ce long poème renferme des réminiscences virgiliennes, mais l’émotion patriotique et la nostalgie qui étreignent le poète dénoncent également une sensibilité romantique.

C’est que Bello, esprit éclectique, sait prendre la beauté où elle se trouve tout en restant fidèle à ses dieux classiques, et si, dans la grande polémique qui, au Chili, va l’opposer à Sarmiento (1842), il apparaît comme le défenseur du classicisme, vers la même époque il donnera une élégie peuplée de spectres dans le goût romantique et surtout de remarquables traductions d’Hugo, la plus connue étant son Oración por todos (1843), inspirée de la Prière pour tous.