Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
B

Beethoven (Ludwig van) (suite)

Beethoven et l’Italie

Ce qui attira Beethoven chez les Italiens, ce fut principalement l’art vocal. Il en avait pris connaissance à travers les opéras bouffes que jouait le théâtre de Bonn ; il s’adressa à Salieri dans le dessein d’en apprendre davantage sur ce chapitre. Il n’est pas impossible que l’ampleur mélodique de certains adagios dans les symphonies, les sonates ou les quatuors soient le fruit de cet apprentissage. C’est cependant à propos des lieder qu’on pourrait tenter d’opérer quelques rapprochements : ils concerneraient probablement davantage les sources d’inspiration que l’œuvre elle-même. C’est en effet à Métastase qu’il emprunte les poèmes de dix-huit pièces vocales (lieder, ariettes, canzonettes, ensembles), dont le célèbre Ah ! Perfido entre 1793-1802 et le texte du canon Te solo adoro en 1824 ; certaines d’entre elles furent l’objet de trois versions (duo, trio, quatuor). En 1807, Giuseppe Carpani (1752-1825) lui fournit le texte de In questa tomba oscura ; Clemente Bondi (1742-1821) est à l’origine, en 1814, de la cantate Un lieto brindisi, écrite pour la fête du Dr J. Malfatti, qui compta avec le baron Pasqualati au rang des protecteurs et amis de souche italienne dont Beethoven éprouva jusqu’à sa mort la fidélité.

Si la diffusion des œuvres de Beethoven en Italie (notamment la sonate op. 106) se heurte à de multiples difficultés, la musique italienne, par contre, commence dès 1816 à submerger Vienne. Beethoven, cependant, s’efforce dans les jugements qu’il porte de rester juste envers ses rivaux.

En 1822, il reçoit même, sur sa demande, Rossini, lorsque celui-ci vient à Vienne savourer le triomphe de ses œuvres. À plusieurs reprises, Rossini a raconté sa visite, et les Souvenirs de Michotte relatent le récit qu’il en fit à Wagner en 1860 lorsqu’il le rencontra : « Ce qu’aucun burin ne saurait exprimer, c’est la tristesse indéfinissable répandue en tous ses traits. Relevant la tête, il me dit en un italien assez compréhensible : « Ah ! Rossini, c’est vous l’auteur du Barbier de Séville ? Je vous en félicite : c’est un excellent opéra bouffe ; je l’ai lu avec plaisir et je m’en suis réjoui... Ne cherchez jamais à faire autre chose que de l’opéra bouffe, ce serait forcer votre destinée que de vouloir réussir dans un autre genre... L’opera seria, ce n’est pas dans la nature des Italiens. Pour traiter le vrai drame, ils n’ont pas assez de science musicale... Dans l’opera buffa, nul ne saurait vous égaler, vous autres Italiens. Votre langue et la vivacité de votre tempérament vous y destinent. » Cette relation impartiale est le meilleur témoignage que nous possédions sur ce que Beethoven pensait de la musique italienne et des genres qui conviennent particulièrement à la nature du tempérament italien. Elle nous éclaire sur l’esprit de justice qui animait Beethoven à l’égard de tendances expressives qui n’étaient pas les siennes.


L’apport beethovénien


La musique vocale

• Le lied. Alors que Mozart apparaît comme l’un des plus grands maîtres du classicisme en cette matière, Beethoven s’engage dans les voies du romantisme. Si l’on excepte ses chants populaires d’inspiration folklorique, la plupart de ses lieder ne se distinguent guère, par leur niveau, des pièces similaires contemporaines. Adélaïde (1795) témoigne cependant d’un sens dramatique assez nouveau, qui s’épanouira dans le cycle de la Bien-Aimée lointaine en 1816. Beethoven ne néglige pas la romance ni la mélodie à couplets, mais il est l’un des premiers à réaliser une fusion étroite entre l’expression poétique et l’expression musicale dans In questa tomba oscura, en 1807, ce qui n’exclut nullement le tour descriptif du Cri de la caille, le ton humoristique du Bison ou l’accent élégiaque de Mignon. L’esprit symphonique de l’accompagnement et le sens de l’humain qui président au choix de ses thèmes rendent les lieder de Beethoven très proches de l’esprit romantique, dont les œuvres de Schubert témoignent éloquemment à cette époque.

• Les cantates et l’oratorio. Pour son unique oratorio, le Christ au mont des Oliviers, Beethoven s’en tient à la paraphrase de l’Évangile. Il n’en retient que deux épisodes essentiels, l’agonie de Jésus et son arrestation, qui donnent prétexte à des scènes estimables où le talent, à défaut d’un évident génie, se donne libre cours, surtout dans l’intervention du séraphin qui invite les hommes à méditer sur le mystère de la Rédemption. Le second oratorio que Beethoven projetait vers la fin de sa vie, la Victoire de la croix, ne vit pas le jour.

Parmi les cantates, le Moment glorieux (1814), écrit à l’occasion du congrès de Vienne, célèbre les joies de l’amour universel, et Romain Rolland n’hésite pas à reconnaître dans les deux cantates de 1790 sur la mort de Joseph II et l’avènement de Léopold II « l’imposant soubassement du génie beethovénien ».

• La musique religieuse. Dans ses deux messes, Beethoven oriente la musique religieuse vers des voies bien différentes de celles que ses prédécesseurs et ses contemporains ont suivies. La messe en ut reflète l’humilité autant que l’abandon du croyant qui met sa confiance dans la miséricorde de Dieu. La messe en , par contre, est davantage un drame humain qu’une œuvre liturgique. Le symbolisme musical du Credo et surtout le Crucifixus, qui est l’une des pages les plus humainement douloureuses de Beethoven, la plénitude du Sanctus, l’hymne à la Paix qui transparaît dans l’Agnus Dei témoignent de l’esprit humanitaire qui animait alors Beethoven.

Telle de ses notes marginales spécifie : « Il faut prier, prier, prier... » Cependant, malgré la pureté de ses intentions, il doute encore de la valeur religieuse de son œuvre et, bien après l’achèvement de cette messe, il confie à Freudenberg, organiste de Breslau : « La pure musique d’église devrait être exécutée seulement par les voix... C’est pourquoi je préfère Palestrina ; mais c’est une absurdité de l’imiter, sans posséder son esprit, ni ses conceptions religieuses. »